
Les premiers mois de l'année 2025 ont vu le Liban se doter d'un grand espoir lorsqu’il a réussi à élire un nouveau président puis à former un gouvernement d'action. Les yeux des Libanais et du monde se sont alors tournés vers les décisions et les réformes impératives que le président de la République libanaise, Joseph Aoun, et son Premier ministre, Nawaf Salam, seraient appelés à mener durant leur mandat, en vue de redresser le pays et de le débarrasser de l'emprise d'une caste politique qui a dilapidé ses biens et ses fonds de fonctionnement.
Mais reconnaissons ici que les meilleures intentions de l'équipe au pouvoir ne peuvent pas suffire à remettre le Liban sur les rails, tant la pression est grande et les enjeux importants. Pour ce faire, elles devront inévitablement s'accompagner de courage et de fermeté politique.
Toutefois, notre regard devrait être posé avec beaucoup de sagesse et d'objectivité sur ces débuts de mandats. Avons-nous, en effet, la liberté d'exiger, aujourd'hui, du président de la République et du chef du gouvernement, en place depuis seulement le 8 février 2025, d'user de baguettes magiques de fortune afin de remettre promptement toutes les pendules à l'heure, après les vides constitutionnels répétés des vingt dernières années? La réponse tombe sous le sens évidemment.
Il serait ainsi de mauvaise foi, par exemple, de fermer les yeux sur la série des nominations arrêtées en un temps record et sur les mesures mises en place, en moins de 50 jours de pouvoir, dans la gestion de la défense nationale du territoire et de la sécurité aux frontières.
Les actions entreprises par l'armée libanaise, bien qu'incomplètes encore, pour le maintien du cessez-le-feu et l'application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité en sont la preuve indéniable. Il en est de même, par ailleurs, des dispositions prises rapidement par les autorités financières et économiques, afin de lancer un chantier de réformes, de restructurer le secteur bancaire et de redresser le système financier.
Un observateur averti constatera toutefois que cette précipitation finit malheureusement par semer le doute sur les choix que les autorités citées s'apprêtent à faire concernant un problème qui date de Mathusalem. Est-ce par manque de communication de leur part? Ou par désir d'assouvir la faim de la population libanaise en la matière? Ou encore pour s'aligner sur les exigences d’une pression internationale évidente? Cela n'est point exclu. Pourtant, le passé devrait nous servir d'exemple et nous inviter à la prudence. Y a-t-il besoin de le rappeler ici, à ceux qui l'oublient ou feignent de l'oublier, que la précipitation aurait pu conduire le pays à la faillite ces dix dernières années?
Dans ce contexte délicat, la réunion du Fonds monétaire international, session du printemps 2025, se tient du 21 au 25 avril à Washington DC, aux États-Unis. La délégation libanaise, déjà sur place, a pour objectif principal de prouver son engagement véritable en faveur des réformes. Elle devra, par la même occasion, entamer prochainement les négociations grâce auxquelles elle pourrait obtenir un prêt de 2 à 4 milliards de dollars américains du FMI. Bien entendu, un prêt de cette nature serait préconditionné par l'acceptation du FMI du plan de réformes avalisé par le Liban, lui procurant, à posteriori, la crédibilité nécessaire pouvant lui ouvrir la porte à d'autres sources de financement. Résultat des courses: des dettes ajoutées aux dettes déjà existantes. Hélas, chemin obligé pour l'accès aux emprunts internationaux. En clair, ce serait un visa de bonne conduite délivré au Liban. Mais aussi, un visa d'entrée aux marchés internationaux, le plus cher au monde.
Or, de telles démarches ne sont pas sans entraîner leur lot de souffrances et d'échecs. Observons un instant leurs conséquences fâcheuses en Grèce par exemple, plus près encore, à Chypre ou également en Argentine et dans plusieurs pays du tiers-monde.
L'ordonnance du FMI tient en effet d'une procédure extrêmement rigide qui porterait en elle le risque de ne pas restituer leurs dépôts bancaires aux déposants. En d'autres termes, la priorité du FMI n'est pas tant la relance économique du pays que l'assurance du Liban à rembourser sa dette en temps et en heure.
Dès lors, l'examen de la situation économique nous appelle à plus de sagesse et de pragmatisme. Pensons un peu à la synergie mise en place par les autorités françaises après l'incendie qui a ravagé la cathédrale Notre-Dame de Paris. Ne pourrions-nous pas nous en inspirer?
Des solutions se présentent. Il suffit de les mettre en application. Et pour l'exemple, rappelons que feu don Jose Abed, au Mexique, m'ayant succédé à l'époque à la tête du Conseil économique mondial auprès de l’Union culturelle libanaise dans le monde (UCLM), avait proposé de lancer une collecte internationale auprès des 9 millions de Libanais dans le monde, avec pour devise «One dollar per day per emigrant for Lebanon» (Un dollar par jour, par émigré, pour le Liban). Il nous suffirait de sécuriser la protection de la gestion des fonds pour que ce projet reste d'actualité. Cela permettrait au gouvernement en place aujourd'hui de bénéficier d'un levier non négligeable en la matière.
Par ailleurs, l'article 113 du Code de la monnaie et du crédit prévoit que l'État est appelé impérativement à rembourser ses dettes contractées auprès de la Banque du Liban, à l'instar de ce qui s'est passé en Australie ou en Suisse. Il est de ce fait fortement préjudiciable et impensable de faire porter aux déposants la lourde casquette des dettes contractées. D'autant plus, ce n'est plus un secret pour personne, que certains hommes du pouvoir politique et consorts ont largement profité de la crise financière pour servir leurs intérêts personnels et se décharger sur le dos du contribuable.
Dans ce contexte regrettable, L'État devrait donc, en premier lieu et très rapidement, faire le ménage au sein des administrations qui ont irrégulièrement englouti les fonds, puis, dans la foulée, mener une expertise sérieuse des biens dont il dispose: réserves d'or de la BDL qui atteignent aujourd’hui environ la barre des 30 milliards de dollars, lotissements propriétés de l’État, électricité, télécommunications, aéroport, port, transports, Foire de Tripoli, tourisme, pour ne citer que ceux-là….
Parallèlement, il apparaît vital que l'État actionne la mise en marche de la Privatisation public-privé (PPP) qui a déjà fait l'objet d'une loi votée par le Parlement. Cela ouvrirait la voie à l'utilisation d'une infime partie des bénéfices perçus à travers ce processus, au remboursement de tous les dépôts sans exception, instaurant le capital confiance sans lequel, rappelons-le encore, la machine économique ne se remettrait jamais en marche.
Notre Liban n'est pas sans ressources. Il est même très riche. Inutile de s'embrouiller dans une politique de dettes supplémentaires. Il est indispensable d'envisager l'avenir avec un sens aigu de la responsabilité nationale et une approche strictement loyale vis-à-vis des déposants. Le visa le plus cher au monde paraît une aubaine à court terme. Il risque cependant d'être très lourd à porter à l'avenir. Faisons confiance à l'équipe au pouvoir dans sa gestion de ce dossier épineux.
Faisons confiance à Dieu, à la vie, aux nouveaux gouvernants, mais aussi au potentiel humain dont jouit le Liban. Il nous sera quasi inutile d’obtenir le visa le plus cher du monde.
Antoine Menassa
Président de l’Association Halfa (Hommes d’affaires libanais de France).
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