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Un bâtiment endommagé est photographié sur l'île soudanaise de Tuti, presque déserte après deux ans de guerre entre l'armée soudanaise et les Forces paramilitaires de soutien rapide (RSF), le 19 avril 2025. ©AFP

Perchés sur une montagne près de la frontière avec le Tchad, dans l'ouest du Soudan, des journalistes scrutent l'horizon, téléphone en main, tentant désespérément de capter ne serait-ce qu'une bribe de réseau venue de l'autre côté.

Parfois, c'est leur seul espoir pour témoigner des atrocités de la guerre qui dévaste le pays et a plongé la vaste région du Darfour dans une totale obscurité médiatique.

Depuis deux ans, le conflit oppose le chef de l'armée soudanaise, le général Abdel Fattah al-Burhane, à son ancien adjoint, le général Mohamed Hamdane Daglo, qui commande les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR).

La guerre a tué au moins 28 journalistes, selon leur syndicat. Des dizaines d'autres ont été emprisonnés et torturés, tandis que la quasi-totalité de leurs confrères a fui. La plupart de ceux qui sont restés sont privés d'électricité, d'eau et d'internet.

Noun, une journaliste de 35 ans, a confié à l'AFP qu'elle devait « parcourir à pied de longues distances » pour charger son téléphone à l'aide de panneaux solaires improvisés.

À El-Geneina, la capitale du Darfour occidental, elle a couvert en 2023 des massacres ethniques commis par les FSR et leurs alliés.

Selon l'ONU, entre 10.000 et 15.000 civils, principalement de la tribu des Massalit, ont été tués, ce qui a donné lieu à des accusations de génocide.

Son travail lui vaudra plusieurs perquisitions. « Ils ont pris tout mon matériel, mes caméras, ils ont tout volé », raconte-elle à l'AFP par téléphone.

Lors de la troisième intrusion, « l'un d'eux m'a appelée par mon nom et m'a demandé où se trouvaient les caméras ».

C'est à ce moment-là qu'elle prend la décision de fuir. Avec sa famille, elle parcourt environ 1.800 kilomètres pour rejoindre l'État de Gedaref, à l'autre extrémité du pays, près de la frontière éthiopienne.

Là, alors qu'elle couvre une manifestation de déplacés, elle est arrêtée et accusée de collaborer avec l'ennemi.

Pour retrouver la liberté, elle signe un engagement à soumettre tous ses écrits à l'armée avant publication.

Depuis plus d'un an, Noun n'a pas écrit.

« Le plus grand des crimes »

En 2024, le Soudan figurait parmi les endroits les plus meurtriers pour les journalistes, derrière Gaza, selon le décompte annuel du Comité pour la protection des journalistes (CPJ).

Selon Reporters sans frontières, plus de 400 journalistes ont fui le pays depuis le début de la guerre. Ceux qui sont restés luttent pour survivre.

Dans l'État d'Al-Jazira, dans le centre du pays, qui fut le grenier à blé du Soudan, Youssef, un journaliste de 62 ans, n'a pas touché de salaire depuis début 2024, lorsque son journal a déménagé ses bureaux au Caire.

Pour subsister, il élève des chèvres et cultive du sorgho.

« Je continue d'envoyer mes reportages dès que je peux capter un signal », raconte-t-il.

Pendant des mois, Youssef a été coupé du monde extérieur, alors que les FSR prenaient le contrôle de Wad Madani, la capitale de l'État.

En février 2024, les paramilitaires ont fait irruption chez lui, le ligotant et lui bandant les yeux.

Être journaliste, « c'est le plus grand des crimes », lui a dit un des hommes.

Il ne sera relâché qu'après avoir signé une assignation à résidence. Ce n'est qu'en janvier, lorsque l'armée a repris Wad Madani, qu'il a pu quitter son domicile.

Dans l'ombre

Parmi ceux qui ont choisi de rester, beaucoup ont renoncé à signer de leur vrai nom.

À Tawila, au Darfour-Nord, Ibrahim, un photojournaliste de 30 ans, continue de documenter le quotidien des civils pris en étau entre la famine et les violences.

Selon les employés humanitaires, la ville accueille des dizaines de milliers de rescapés qui ont fui les attaques des FSR.

« Personne ne doit savoir ce que je fais », confie à l'AFP Ibrahim, originaire d'El-Facher, la capitale de l'État.

« S'ils m'attrapent, ils m'arrêteront et saisiront mon téléphone » – son dernier outil de travail.

En juillet, accusé par les FSR d'être un agent de l'armée, il a été emprisonné et torturé pendant cinq jours. « Ils ont pris tout mon matériel, mes papiers et mon argent. »

Depuis, le journaliste a envoyé sa famille hors du Darfour et s'est installé à Tawila.

Ni Youssef, ni Ibrahim n'ont reçu de protection de la part d'organisations professionnelles, qu'elles soient locales ou internationales.

« Qui rapportera ce qui se passe au Darfour si nous partons tous ? », s'interroge Ibrahim, qui a branché son téléphone à la multiprise d'un café de Tawila pour s'entretenir avec une journaliste de l'AFP au Caire. « Personne d'autre ne le fera ».

Par Lobna MONIEB / AFP

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