La Jordanie se trouve-t-elle sur une pente glissante?
Des manifestants à Amman, la capitale jordanienne, brandissent le drapeau national ainsi que des drapeaux des Frères musulmans lors d'un rassemblement de soutien aux Palestiniens, le 27 janvier 2023, au lendemain d'un raid israélien meurtrier sur le camp de Jénine, en Cisjordanie occupée. ©Khalil Mazraawi/AFP

La Jordanie, longtemps perçue comme un îlot de stabilité au cœur d'une région tourmentée, se retrouve aujourd'hui à la croisée des chemins. Entre menaces sécuritaires et recomposition politique interne, le royaume hachémite voit émerger de nouveaux défis qui pourraient se transformer en pente glissante.​

Un complot transfrontalier déjoué

Ce mardi, les autorités jordaniennes ont annoncé l’arrestation de 16 individus accusés de préparer des attaques à l’intérieur du royaume. Selon le département général du renseignement jordanien, ces suspects, affiliés aux Frères musulmans, avaient été entraînés et financés au Liban. Ils avaient mis en place un site de fabrication de roquettes et un atelier de production de drones. Au moins une roquette, d’une portée de 3 à 5 kilomètres, était prête à être lancée.​

Ces complots ont été suivis depuis 2021 par les services de renseignement jordaniens, qui ont fait état de la présence d'outils et de matériaux importés pour fabriquer des missiles et des drones, et de l’entraînement de certains suspects en dehors de la Jordanie, notamment au Liban.

Les suspects ont été déférés devant la cour de sûreté de l’État. Une source de sécurité a indiqué que le chef de la cellule responsable de la formation de certains d'entre eux était basé au Liban. De plus, Al-Hadath rapporte que des individus palestiniens au Liban ont avoué avoir formé des Jordaniens à la fabrication de missiles.​

Les autorités jordaniennes estiment que ce complot s’inscrit dans le cadre des efforts clandestins de l’Iran et de ses alliés visant à recruter des agents pour mener des actes de sabotage à l'intérieur du royaume, dans le but de déstabiliser l’un des alliés de Washington dans la région.​

Les réactions régionales

En réponse à ces révélations, le Premier ministre Nawaf Salam a contacté son homologue jordanien, Jaafar Hassan, afin de lui faire part de la solidarité du Liban envers la Jordanie et de réitérer l'entière disponibilité du pays à collaborer avec les autorités jordaniennes. Il a également réaffirmé le refus catégorique que le Liban serve de base ou de point de départ à toute action susceptible de menacer la sécurité d’un pays frère ou ami.​

Par ailleurs, l'Arabie saoudite a exprimé son soutien à toutes les mesures prises par la Jordanie pour contrecarrer toute tentative de porter atteinte à sa sécurité. Le ministère des Affaires étrangères saoudien a salué les mesures prises par les autorités de sécurité jordaniennes pour déjouer des complots visant à saper la sécurité de la Jordanie et à inciter au chaos.​

Une recomposition politique sous surveillance

En septembre 2024, le Front d'action islamique (FAI), principal parti d'opposition en Jordanie et bras politique des Frères musulmans, a remporté une victoire remarquable lors des élections législatives, obtenant 31 des 41 sièges réservés aux partis politiques. Cependant, cette percée s'inscrit dans un cadre politique où leur influence reste strictement contrôlée par l'État et où le Parlement jordanien joue un rôle limité dans la vie politique du pays.​

Le FAI, fondé en 1992 avec des racines remontant aux années 1940, vise à imposer l'islam dans la société par des moyens pacifiques. Toutefois, le gouvernement jordanien n’a pas hésité à réprimer les islamistes lorsqu'ils étaient perçus comme une menace pour la stabilité du régime. En 2015, les Frères musulmans ont été bannis de Jordanie, et leur licence gouvernementale a été transférée à une faction réformiste, le FAI, resté légal.​

La victoire du FAI a été alimentée par le mécontentement croissant des Jordaniens, dont la moitié est d'origine palestinienne, face à la guerre en cours à Gaza. Le FAI a cherché à tirer parti de cette colère pour renforcer son soutien.​

Une économie sous pression

La guerre à Gaza a affecté de manière significative le tourisme en Jordanie, un secteur qui contribue à hauteur d'environ 14% au produit intérieur brut du pays. Elle a également entraîné une baisse des revenus dans un pays où la dette publique approche les 50 milliards de dollars, et où le chômage a atteint 22% au premier trimestre de cette année.​

L'économie jordanienne est fortement tributaire de l'aide étrangère, en particulier des États-Unis et du Fonds monétaire international. En janvier 2025, la Jordanie a signé un accord de partenariat stratégique global avec l'Union européenne, comprenant un paquet d'aide financière de 3 milliards d'euros pour la période 2025-2027, dont 1,4 milliard pour le soutien aux investissements et 640 millions en subventions.​

La solidarité jordanienne envers le Liban

Malgré les tensions sécuritaires, la Jordanie continue de soutenir le Liban. En septembre 2024, un avion de la Royal Jordanian Air Force a livré huit tonnes de fournitures médicales et alimentaires à l'aéroport international de Beyrouth.

En octobre, une troisième cargaison d'aide humanitaire a été envoyée au Liban, comprenant des matelas en mousse, des couvertures et d'autres fournitures essentielles pour soutenir les personnes touchées par la guerre en cours.​

Une stabilité sous tension

La Jordanie se trouve à un carrefour critique, confrontée à des menaces sécuritaires transfrontalières et à une recomposition politique interne. La montée en puissance du FAI, bien que significative, reste encadrée par un régime qui maîtrise habilement les dynamiques du pouvoir pour préserver la stabilité du royaume. Dans ce contexte, la Jordanie continue de jouer un rôle stabilisateur dans la région, en soutenant ses voisins comme le Liban, tout en affrontant les défis sécuritaires et économiques qui se présentent à elle.​

À l'horizon 2028, les prochaines élections législatives offriront un nouveau test pour le FAI et les autres forces politiques du pays. Le royaume devra alors démontrer sa capacité à concilier sécurité, ouverture politique et résilience économique dans une région en perpétuelle mutation.

 

Commentaires
  • Aucun commentaire