
On croyait avoir tout vu dans le feuilleton libanais du naufrage économique. Et pourtant, le gouvernement vient de livrer un nouvel épisode, au scénario si tordu qu’il ferait passer une série Netflix pour un documentaire sur la physique quantique. Un projet de loi de réforme bancaire, adopté à la va-vite en Conseil des ministres, propose tout simplement de faire porter aux déposants et aux banques locales le poids de l'effondrement, tout en blanchissant l’État de ses décennies de gestion calamiteuse et de corruption.
Parmi les pièges du projet, un «haircut» sur les dépôts des Libanais et des investisseurs étrangers. Cela fait des années que les déposants vivent avec des dollars fantômes, bloqués dans un système devenu une vaste salle d’attente sans issue. Mais cette fois, le gouvernement veut rendre leur perte officielle, légale et, surtout, définitive.
Au lieu d’assumer la dette abyssale qu’il a contractée auprès de la Banque centrale et, par ricochet, des banques commerciales, l’État préfère un tour de passe-passe législatif: transférer l'ardoise sur le dos de ceux qui ont justement cru au système – citoyens, expatriés, investisseurs du Golfe.
Et tant pis pour la confiance déjà en miettes. Les véritables marionnettistes de la débâcle ne sont pas derrière les guichets des banques, ce sont les dirigeants successifs de l’État, qui ont siphonné les ressources publiques à coups de clientélisme, de recrutements électoralistes et de projets sans queue ni tête, jusqu'à ce que le château de cartes s'effondre.
Aujourd’hui, ces mêmes dirigeants veulent se poser en «réformateurs» courageux, en démolissant un secteur bancaire déjà à terre, quitte à en reconstruire un autre sur des cendres encore fumantes. Le projet de loi implique des fusions, des fermetures et la création de nouvelles entités adossées à des acteurs internationaux qui œuvrent depuis 2019, et même avant, à l’implosion du système financier libanais afin de faire main basse sur le pays.
Dans le dernier épisode de ce feuilleton aux airs de déjà-vu, on assiste à une manœuvre pour réinitialiser le système sans passer par la case justice ni rendre des comptes.
Parmi les déposants lésés figurent de puissants investisseurs arabes, particulièrement du Golfe, qui voyaient dans le Liban une place régionale de liberté financière. Leurs dépôts dépasseraient les 15 milliards de dollars. Le projet de «haircut» les touche de plein fouet, et leur réaction ne va pas tarder à se faire entendre. Certains se préparent à attaquer l’État libanais devant des juridictions internationales. D'autres, plus cyniques, observent en silence, mais barrent déjà Beyrouth de leurs cartes de projets futurs. Une chose est sûre: ce n’est pas par ce type de traitement qu’on attire les capitaux nécessaires à une reconstruction.
Ce projet de loi n’est ni une réforme ni une solution. C’est une tentative de solder le passé sans jamais le confronter. Il ne touche ni la structure de l’endettement public, ni les responsabilités politiques, ni la gestion opaque. Il ne vise pas à réparer, mais à oublier. Ce qui se joue ici, c’est une grande illusion: faire croire à la communauté internationale, notamment au FMI qui promet un «généreux» prêt de 3 milliards de dollars (pour un «trou» estimé à 80 milliards), que le Liban avance, tout en sacrifiant les épargnants, les banques et ce qui reste de crédibilité institutionnelle. Un projet qui fait la part belle à la «cash economy» ancrée dans les tunnels sombres de la contrebande, des trafics de drogue et d’armes.
La véritable réforme, celle qu’on n’ose jamais écrire, consisterait à faire le procès du système politique dans son ensemble, pas juste à trouver des boucs émissaires pour effacer l’addition. Le Parlement libanais aura-t-il le courage historique de dire non?
Thomas Jefferson disait: «Le prix de la liberté est la vigilance éternelle.» Espérons que nos élus le seront.
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