Elections municipales : quels arrangements stratégiques pour Amal et le Hezbollah?
©Ici Beyrouth

Pour le Hezbollah et le mouvement Amal, le mois de mai s’annonce décisif avec la tenue des élections municipales. D’autant plus que ce scrutin pourrait donner un avant-goût des résultats des prochaines législatives prévues pour mai 2026 et pour lesquelles l’enjeu sera majeur, au lendemain d’une guerre qui aura (ou non) provoqué une reconfiguration du paysage politique libanais.

Largement affaibli par le conflit dévastateur dans lequel il s’est engagé sous prétexte de «l’unité des fronts» et contre le gré de l’État libanais, on se demande comment le Hezbollah se prépare aux élections municipales. Surtout que son engagement dans cette bataille est indubitablement marqué par les cicatrices d’une guerre d’ampleur qui a notamment affecté sa structure tant politique, qu’économique et sociale. Quid de son allié, le mouvement Amal, dont le chef de file, Nabih Berry, également président du Parlement, se retrouve pris en étau entre, d’une part, ses affinités politiques avec le Hezb et, d’autre part, les pressions internationales pour un désarmement total de la milice pro-iranienne et à une reprise du contrôle par l’État libanais ?

Le Hezbollah: affaibli, mais toujours présent?

La guerre a coûté un lourd tribut au Hezbollah, avec des pertes humaines et matérielles considérables qui ont terni son image. Les opérations qu’il a menées – bien qu’elles soient, aux yeux de ses partisans, «symboliques» de sa résistance » contre Israël – ont montré les limites de ses capacités militaires, exacerbant les tensions internes au sein de la formation.

L'enjeu sera donc, pour lui, de maintenir son influence sur sa base populaire, tout en tentant de convaincre une partie de l'électorat plus large de sa capacité à assurer la stabilité et la protection de sa base populaire, malgré son affaiblissement militaire. La formation pourrait également chercher à capitaliser sur l'anti-israélisme qui reste une carte importante entre ses mains. Cela pourrait toutefois ne pas suffire face aux attentes accrues d'un électorat désireux de voir des résultats concrets en matière de gouvernance locale.

«Il n’en demeure pas moins que le Hezbollah reste un acteur incontournable au Liban-Sud et au sein de la politique libanaise», estime-t-on de source proche du dossier. «Loin de se retirer, le groupe tenterait aujourd’hui de regagner la confiance de sa base populaire, notamment en intensifiant sa présence sur le terrain et en poursuivant, tant bien que mal, sa politique de soutien aux populations chiites».

Ainsi, et toujours selon cette même source, l’influence du Hezbollah sur les municipalités, notamment au Liban-Sud et dans certaines zones de la Békaa, reste prégnante. Cependant, «la milice pourrait cette fois se montrer plus mesurée puisque consciente des défis à relever dans un climat politique plus tendu», signale-t-on.

Amal: une position embarrassée?

Dans le sud du pays, le mouvement Amal a, lui aussi, «une position bien ancrée», indique la source précédemment citée. Et celle-ci d’ajouter: «Il s'est toujours présenté comme le contrepoids au Hezbollah, tout en étant en alliance avec ce dernier». Une relation complexe qui, selon cette source, pourrait être mise à l’épreuve lors des prochaines élections municipales.

Si Amal a largement soutenu le Hezbollah pendant la guerre contre Israël, il doit désormais faire face aux frustrations croissantes de la communauté chiite et de la population libanaise, mais aussi aux pressions internationales accrues, le pays étant sous le joug d’une crise multidimensionnelle sans précédent. Il aura, par conséquent, à prouver qu’il peut aller au-delà de sa simple fonction d’allié du Hezbollah, en démontrant sa capacité à gérer les affaires locales avec efficacité et à répondre aux impératifs nationaux et internationaux.

Selon la source susmentionnée, le mouvement se préparerait à affronter cette échéance avec une double stratégie: d’une part, renforcer sa présence sur le terrain à travers ses réseaux locaux, notamment dans les régions à majorité chiite, et, d’autre part, diversifier ses alliances politiques afin d’élargir sa base électorale.

Une assertion à laquelle n’adhère pas le journaliste et politologue Ali Hamadé, qui considère que le paysage électoral pourrait bien se dessiner comme une continuation de l’alliance entre les blocs. Au lieu de se diviser, les deux groupes pourraient choisir de maximiser leurs forces communes, en formant des listes communes dans les régions clés. Et M. Hamadé d’expliquer que «cela permettrait non seulement de maintenir leur influence respective, mais aussi de donner une image de cohésion face à un électorat de plus en plus exigeant».

Listes communes?

«Il est évident que le Hezbollah et Amal aborderont ces élections en alliance. Ils présenteront des listes communes, mais la composition de ces listes s’avère complexe», explique-t-il. Selon lui, et contrairement aux législatives, les municipales sont dominées par des enjeux locaux où les rapports familiaux, claniques et les équilibres tribaux jouent un rôle déterminant. «On assiste parfois à des divisions à l’intérieur même des clans, ce qui rend la gestion électorale particulièrement difficile.»

Au-delà des calculs locaux, ces municipales revêtent un enjeu politique majeur pour le Hezbollah, surtout après ce qu’Ali Hamadé qualifie de «débâcle militaire». La formation cherche aujourd’hui à redorer son image et à réaffirmer son emprise sur la base populaire chiite. «Le Hezbollah a besoin de restaurer une forme de légitimité interne, de se représenter comme une force dominante sur le plan populaire», insiste-t-il.

Le mouvement Amal, de son côté, fait face à ses propres turbulences. Accusé à plusieurs reprises d’être impliqué dans des affaires de corruption, notamment au sein de l’appareil d’État, le parti du président du Parlement, Nabih Berry, souffre d’une forte érosion de sa crédibilité auprès de l’opinion publique. «Ces critiques ne peuvent plus être balayées du revers de la main», estime M. Hamadé. «Amal et le Hezbollah seront donc contraints de resserrer les rangs face à une base chiite de plus en plus critique.»

Autre facteur d’incertitude: la situation sécuritaire. «Rien ne garantit que le cessez-le-feu actuellement en vigueur tiendra jusqu’à la date des élections», signale-t-il. Et même si le scrutin est maintenu, certaines régions, comme la Békaa, pourraient réserver des surprises. Élaborant cette assertion, le politologue note que «plus encore que dans le Sud à l’exception des grandes villes comme Tyr ou Nabatiyé, on pourrait assister à des percées de listes indépendantes».

Enfin, en toile de fond, se profile déjà l’enjeu des législatives de l’année prochaine. Pour M. Hamadé, «le tandem Hezbollah-Amal risque de se heurter à des dissensions croissantes dans les villages et les petites circonscriptions». Le contrôle total sur les blocs de voix, qui leur semblait acquis, pourrait donc leur échapper.

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