
L'accueil fastueux réservé à Nawaf Salam lors de sa récente visite en Arabie saoudite suscite beaucoup d’interrogations. Cette invitation en grande pompe, marquée par une hospitalité à nulle autre pareille, cache des enjeux politiques majeurs qui dépassent largement le cadre protocolaire. Pour en décrypter les véritables motivations, Ici Beyrouth a consulté le politologue Ali Hamadé, expert des affaires politiques moyen-orientales.
Les intérêts saoudiens
Selon M. Hamadé, l'intérêt premier de l'Arabie saoudite est de “préserver l'unité du gouvernement libanais et de la nouvelle classe dirigeante, c'est-à-dire de la tête de l'exécutif, le président et le Premier ministre”. Cette démarche s'inscrit dans une stratégie plus large visant à “pousser le Liban vers une sortie de sa crise politique, sécuritaire et économique”. Toutefois, le Royaume wahhabite entend bien délimiter les contours de son engagement, refusant catégoriquement de “jouer au Père Noël” – une option que l'expert qualifie de "hors de question”.
Pour le Liban, fragilisé par des années d'instabilité politique et économique, cette ouverture saoudienne représente une opportunité inestimable. "Nous avons tout intérêt à toutes les ouvertures", souligne M. Hamadé. L'Arabie saoudite constitue dans ce contexte la “grande porte” d'accès au monde arabe, incarnant “la tête de file du monde arabe sur la scène libanaise”. Cette position prédominante confère au Royaume un pouvoir d'influence considérable: si l'Arabie saoudite maintient ses distances vis-à-vis du Liban, le reste du Conseil des pays du Golfe fera de même.
La dimension régionale de cette initiative diplomatique ne doit pas être sous-estimée. M. Hamadé explique que “l'Arabie saoudite a tout intérêt à stabiliser la Syrie” et qu'en “œuvrant pour la stabilité de la Syrie et du Liban”, elle cherche à “parrainer l'ouverture entre les deux pays”. Cette volonté de médiation régionale s'est manifestée concrètement par “cette réunion entre les deux ministres libanais et syrien de la Défense, à Jeddah” – un événement significatif qui témoigne de l'ambition saoudienne de jouer un rôle de premier plan dans la reconfiguration des relations syro-libanaises.
L’unité de l’exécutif libanais
L'invitation de Nawaf Salam a alimenté les spéculations quant à une possible tentative saoudienne de le positionner dans le camp du président Joseph Aoun. M. Hamadé nuance cette interprétation: “Placer Nawaf Salam dans le camp du président, non, peut-être pas”, précise-t-il, “mais faire tout pour préserver une unité, une fluidité de travail et de ne pas mettre en danger la nouvelle donne au Liban”. Cette “nouvelle donne” se caractérise par son orientation souverainiste, comme le souligne l'expert. L'enjeu consiste donc à “empêcher une implosion de l'exécutif dans les quelques semaines à venir si ce clash n'est pas endigué”.
Contrairement à certaines analyses selon lesquelles cette invitation représente une forme de pression ciblée sur Nawaf Salam, M. Hamadé affirme qu'il s'agit plutôt d'une “pression sur tout l'exécutif libanais”. Ce que l'Arabie saoudite cherche à délivrer est avant tout “un message d'unité”, visant à consolider “l'unité de l'exécutif libanais”. Cette démarche s'adresse à “toutes les parties en lice, les parties prenantes sur l'échiquier politique”, auxquelles Riyad signifie clairement que “la présidence du Conseil est sous l'égide ou sous la protection de l'Arabie saoudite”. Un message que l'expert qualifie de “très important”, s'inscrivant dans une tradition politique établie.
L'objectif fondamental de cette manœuvre diplomatique est de maintenir “un jeu d'équilibre et de préserver cet équilibre entre le président Aoun et M. Salam”. Selon M. Hamadé, l'Arabie saoudite est convaincue que cette harmonie institutionnelle “doit se faire”, qu'elle “n'est pas impossible du tout”, et qu'elle constitue même “la chose la plus naturelle qui soit”.
Les conséquences potentielles d'un échec de cette médiation saoudienne seraient particulièrement préoccupantes pour l'équilibre des forces au Liban. M. Hamadé l'affirme sans détour: “Tout clash entre le président de la République et le président du Conseil profiterait au Hezbollah, au tandem chiite, à toutes les parties qui se sentent lésées par la nouvelle donne politique et géopolitique au Liban.” Dans cette perspective, la stabilité institutionnelle représente un enjeu stratégique majeur, et les différentes parties ont “tout intérêt à ce que les choses reviennent en place”.
En fin de compte, l'accueil réservé à Nawaf Salam dépasse le simple cadre diplomatique pour devenir un symbole de l'influence que l'Arabie saoudite espère exercer dans la région. Alors que les enjeux politiques continuent de se complexifier, cette invitation pourrait bien être l'une des pierres angulaires d'une nouvelle ère de dialogue entre le Liban et ses voisins arabes, sous l'œil vigilant de Riyad.
Reste à savoir si ce ballet diplomatique parviendra à rétablir l'harmonie tant souhaitée au sein du gouvernement libanais ou s’il ne sera qu'une note de passage dans une symphonie politique encore inachevée.
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