Équivoques de transition
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La défaite du Hezbollah et la chute du régime syrien nous renvoient aux dilemmes de transition et aux mutations géostratégiques et politiques induites par la contre-offensive israélienne. On ne peut comprendre les intrications multiples du changement en cours à moins de les replacer dans le cadre d’un continuum géostratégique inédit à partir duquel se structurent les dialectiques internes et externes. 

Le facteur israélien est, en effet, à l’origine des déblocages respectifs, de l'émergence d’un nouveau rapport de forces et de la remise en perspective des nouveaux enjeux géostratégiques, politiques et d’ingénierie institutionnelle. Ces nouveaux axes sont tributaires de la nouvelle dynamique qui a permis de casser les verrouillages militaires et politiques imposés par la politique impériale iranienne, les effets dévastateurs du terrorisme islamiste et ses avatars successifs, le blocage des régimes politiques et les anachronismes idéologiques d’une modernité arabe faillie.

La défaite du Hezbollah peut être à l’origine d’une nouvelle ère qui mettrait fin à des cycles clos de conflits qui ont détruit la possibilité d’État et remis en cause le projet national libanais. Les enchevêtrements conflictuels ne sont pas les effets du hasard parce qu’ils relèvent de mouvances idéologiques qui remettent en cause la légitimité nationale du pays et l’autonomie morale et politique de la vie politique libanaise. Les politiques putschistes qui se sont alternées tout au long des six dernières décennies ont rendu impossible toute possibilité de réconciliation nationale, de réformes institutionnelles et de rupture avec les politiques de domination dans leurs doublures interne et externe. 

Les hypothèques palestinienne, syrienne et iranienne se jouaient des registres idéologiques et stratégiques et de leurs prolongements au sein du paysage politique libanais. Les effets délétères des interventionnismes régionaux ont fini par convaincre les Libanais de la nécessité de redonner au cadre national sa prégnance et de valoriser son apport sui generis. La politique de subversion chiite et ses effets dévastateurs ont redonné à la question nationale toute son actualité brûlante et à la question de la souveraineté et de l’ingénierie institutionnelle toute sa centralité. L'ampleur de la défaite a rendu incontournable la médiation internationale et l'application des résolutions internationales comme gage de paix civile et de réforme.

Les louvoiements des politiques chiites et du nouvel Exécutif portent un coup fatal à la dynamique de normalisation ainsi qu’à la paix domestique et régionale. Les seuils de tolérance de la sécurité nationale israélienne se sont beaucoup amenuisés pour redonner de nouvelles chances à la politique de subversion chiite pilotée par le régime iranien. Le Liban n’est plus à même de s’installer dans des équivoques dont les marges se rétrécissent, alors que les options alternatives sont désormais disponibles: les scénarios du chaos et les réaménagements géopolitiques en font désormais partie. Le nouvel Exécutif procède du déni, de l’oblitération idéologique et d’une démarche résolument partisane qui mettent en relief son inopportunité.

La nouvelle Constitution syrienne est conçue sur la base d’un ensemble de paralogismes qui discréditent sa normativité. Une Constitution n’est pas un construit idéologique dérivé qui tire sa légitimité d’a priori idéologiques qui la contredisent, c'est le propre des régimes totalitaires. Le bricolage de la Constitution en question n’est pas suffisamment étayé sur le plan juridique, une hétéronormativité islamique est loin de suffire. La réponse à cette objection est le caractère temporaire de cet arrangement constitutionnel qui devrait paver la voie à une transition progressive vers l’État de droit. La mutation politique en Syrie est le résultat du changement opéré par la dynamique de subversion israélienne, de l'usure prolongée de la dictature syrienne et de l'aspiration à la normalisation d’une population éprouvée par une décennie de conflits ouverts et de sauvagerie débridée. 

La constitutionnalisation hypothétique de la vie politique est un pas dans la bonne direction en dépit et malgré les imperfections nomothétiques et les aléas de la transition. Le caractère relativement pacifique de la première transition, les politiques de libéralisation à géométrie variable et l’intention de normalisation sous-jacente au processus politique en cours doivent poursuivre leur cours afin de consolider la transition démocratique. La mise en œuvre des réformes démocratiques, l‘affermissement des engagements sécuritaires, la liquidation des formations militaires, la poursuite des négociations avec les minorités ethno-nationales sont obligatoires si l’on veut éviter les dérapages sécuritaires majeurs qui se sont produits dernièrement. 

Il est inconcevable de parler de sécurité nationale en la présence d’une internationale terroriste islamiste qui se saisit des velléités du pouvoir, de l'effondrement de l’armée et du radicalisme religieux pour exécuter des pogroms ou en vue donner libre cours à des massacres de revanche. Ce sont les actes qui vont pallier les déficiences d'une Constitution inachevée, d’un islamisme d’État, des consensus aléatoires entre des mouvances terroristes qui n’ont pas rejoint de manière formelle les mutations en cours. 

La prégnance des institutions dépend de la fermeté des engagements sécuritaires, des négociations avec l’État d’Israël, de la solution apportée à la question ethno-nationale et de la consistance de l’État de droit. La justice de transition est le seul mécanisme à envisager afin d'éviter les sauvageries en cours et les politiques de rétribution; le processus de normalisation et de réintégration de la communauté internationale en dépend. C'est l'unique voie afin de reconstruire la Syrie et de stabiliser un ordre régional sans ancrages.

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