C’est aux usines Abroyan à Bourj Hammoud qu’a eu lieu, hier, dans une belle atmosphère et une fabuleuse énergie, Beyrouth, une ville à l’œuvre, un événement organisé à l’initiative de l’Institut français du Liban et qui réunit, jusqu’au au 9 octobre, une exposition en trois volets et une série de projections et de débats.
Ancienne manufacture désaffectée fondée en 1945 par l’industriel Abro Abroyan qui s’était lancé dans la fabrication de bas et de chaussettes, le vaste complexe industriel de plus de 14.000 m2 qui avait marqué l’histoire et le paysage industriel de Beyrouth conserve aujourd’hui son impressionnante architecture. Acheté il y a quelques années, le nouveau propriétaire y loge un bar, Union Marks, avec l’ambition plus large d’en faire un lieu dédié à la culture contemporaine. C’est dans cette friche industrielle entre ville et campagne, dans le quartier multiculturel de Bourj Hammoud, qu’a lieu aujourd’hui cet événement qui réunit architectes, urbanistes, réalisateurs, metteurs en scène, photographes, plasticiens et vidéastes autour d’une expérience de la ville.
Car c’est de la ville, ce lieu où l’on vit et qui est aussi celui d’une infinie poésie dont il est question ici. La ville avec ses rues, ses jardins, ses espaces désaffectés, reconvertis et qui intègrent, autrement, la dimension du vécu. C’est aussi la ville que l’on traverse et que l’on contribue à façonner. C’est enfin la ville comme un lieu de communication et d’échanges, la ville comme espace public qui devient également ici la place du débat et de la pratique démocratique.
La ville et l’espace public constituent donc le thème de l’exposition et de l’installation Rez-de-ville de Hala Younes et David Mangin, un parcours qui commence avec le grand plan de Rome de Giambattista Nolli gravé en 1748 et qui constitue une des premières représentations de ce qu’on pourrait appeler, d’après le néologisme inventé par David Mangin, un «rez-de-ville». La notion s’étend à tout ce qui se situe au niveau «rez-de-chaussée» des villes, places, cours intérieures mais aussi jardins, rues, trottoirs et commerces. Le concept, qui est à appréhender comme un outil critique, désigne un plan qui consiste à mettre en valeur les usages citadins, les pratiques piétonnes et les itinéraires quotidiens. Comparant la vie au «niveau de la rue» des villes comme Beyrouth, mais aussi Paris, Rabat, Santiago, Pékin ou Londres, ce projet de recherche coordonné par David Mangin interroge donc les usages au niveau du sol ainsi que les enjeux urbains, politiques, sociaux et commerciaux qui accompagnent et sous-tendent ces pratiques. C’est une manière aussi de penser une ville qui, à l’époque du numérique et des paris écologiques, serait une ville conçue pour être arpentée.
Quant au projet «Creative Collectives» de Sandra Frem et Boulos el Douaihy (Plateau) conçu pour la Biennale d’architecture et d’urbanisme de Séoul en 2019, il met en débat l’idée même du collectif dans l’espace urbain de Beyrouth qui est un espace polarisé depuis la guerre civile par des politiques confessionnelles et une économie ultra libérale. Le projet articule trois niveaux de la réflexion: l'histoire spatiale du collectif à Beyrouth depuis l'an 2000 qui retrace toutes les initiatives et manifestations qui peuvent être qualifiées de collectives. Une sélection ensuite de clusters créatifs à Beyrouth comme espaces producteurs du collectif dans la ville. Enfin, une réflexion prospective pour une réappropriation créative de l’espace urbain de Beyrouth. Ces dessins, photographies et plans de villes à travers les continents se déroulent de part et d‘autre d’un long ruban représentant les commerces et les enseignes qui ponctuent la route de Beyrouth à Jounieh, à la manière de Learning from Las Vegas (1972), l’essai de Venturi et Scott Brown qui a contribué à favoriser le développement de l'architecture postmoderne. Al Autostrade, donc, pose des questions relatives à la mobilité à Beyrouth et interroger la dimension sociale du projet urbain.
C’est dans ce vaste ensemble que s’inscrit également le projet «Ateliers d’artistes», douze vidéos de Wissam Charaf réalisées suite à l’explosion du port du Beyrouth, documentant les entretiens de Pascal Odille avec des artistes et galeristes libanais. Véritable cartographie des ateliers et des galeries de Beyrouth, ces entretiens vidéo montrent ces lieux bien particuliers de la création artistique et donnent la parole à ceux qui les habitent.
Une table-ronde, «De quoi l’espace public est-il encore le nom?», avec David Mangin, François Delarozière et Sandra Frem, modérée par Hala Younes, fait le pendant de l’exposition. Elle part de la définition donnée par Christian Devillers «l’espace public est libre et gratuit d’accès», et pose le constat que cet espace dit public est en crise partout dans le monde.
Cet événement propose également un temps fort avec François Delarozière, «le magicien des villes» et la projection du film Les Machines de ville. François Delaroziere est le directeur de la compagnie de théâtre de rue La Machine. Avec sa compagnie, il construit des machines monumentales, sorte d’architectures mécaniques – araignée géante, dragon ou minotaure – destinées à évoluer dans les villes et à les transformer parfois, avec l’idée de rendre les cités plus attractives, et aussi plus mystérieuses.
Pour ceux qui auront la possibilité et la chance d’y aller faire un tour, mentionnons également:
Oh Liban!, exposition photographique de Frédéric Stucin, sur un commissariat de Marine Bougaran, qui dresse un portrait de la jeunesse libanaise dans une période troublée par les mois de pandémie et de crise que traverse le pays, ainsi que Vous (les adolescents), film documentaire réalisé en 2021 par Valérie Mréjen avec le soutien de l’Institut français du Liban, et qui donne la parole à des adolescents libanais, filmés dans onze collèges à travers tout le Liban.
L’expérience se poursuivra avec, à partir du vendredi 30 octobre, d’autres expositions, documentaires, tables rondes et rencontres ainsi qu’une pièce de théâtre du 5 au 9 octobre.
«Révolu le temps du commerce et des banques, du port et de la finance. Face à une page de l’histoire qui se tourne (…). il n’est plus seulement question de reconstruire. Il faut repenser, réécrire», dit Bénédicte Vigner, attachée culturelle à l’ambassade de France au Liban qui organise cet événement, sur un commissariat de Hala Younes. «Beyrouth, une ville à l’œuvre» est un projet sur, dans et pour la ville, une invitation à voir autrement.
Nayla Tamraz
nayla.tamraz@gmail.com
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Ancienne manufacture désaffectée fondée en 1945 par l’industriel Abro Abroyan qui s’était lancé dans la fabrication de bas et de chaussettes, le vaste complexe industriel de plus de 14.000 m2 qui avait marqué l’histoire et le paysage industriel de Beyrouth conserve aujourd’hui son impressionnante architecture. Acheté il y a quelques années, le nouveau propriétaire y loge un bar, Union Marks, avec l’ambition plus large d’en faire un lieu dédié à la culture contemporaine. C’est dans cette friche industrielle entre ville et campagne, dans le quartier multiculturel de Bourj Hammoud, qu’a lieu aujourd’hui cet événement qui réunit architectes, urbanistes, réalisateurs, metteurs en scène, photographes, plasticiens et vidéastes autour d’une expérience de la ville.
Car c’est de la ville, ce lieu où l’on vit et qui est aussi celui d’une infinie poésie dont il est question ici. La ville avec ses rues, ses jardins, ses espaces désaffectés, reconvertis et qui intègrent, autrement, la dimension du vécu. C’est aussi la ville que l’on traverse et que l’on contribue à façonner. C’est enfin la ville comme un lieu de communication et d’échanges, la ville comme espace public qui devient également ici la place du débat et de la pratique démocratique.
La ville et l’espace public constituent donc le thème de l’exposition et de l’installation Rez-de-ville de Hala Younes et David Mangin, un parcours qui commence avec le grand plan de Rome de Giambattista Nolli gravé en 1748 et qui constitue une des premières représentations de ce qu’on pourrait appeler, d’après le néologisme inventé par David Mangin, un «rez-de-ville». La notion s’étend à tout ce qui se situe au niveau «rez-de-chaussée» des villes, places, cours intérieures mais aussi jardins, rues, trottoirs et commerces. Le concept, qui est à appréhender comme un outil critique, désigne un plan qui consiste à mettre en valeur les usages citadins, les pratiques piétonnes et les itinéraires quotidiens. Comparant la vie au «niveau de la rue» des villes comme Beyrouth, mais aussi Paris, Rabat, Santiago, Pékin ou Londres, ce projet de recherche coordonné par David Mangin interroge donc les usages au niveau du sol ainsi que les enjeux urbains, politiques, sociaux et commerciaux qui accompagnent et sous-tendent ces pratiques. C’est une manière aussi de penser une ville qui, à l’époque du numérique et des paris écologiques, serait une ville conçue pour être arpentée.
Quant au projet «Creative Collectives» de Sandra Frem et Boulos el Douaihy (Plateau) conçu pour la Biennale d’architecture et d’urbanisme de Séoul en 2019, il met en débat l’idée même du collectif dans l’espace urbain de Beyrouth qui est un espace polarisé depuis la guerre civile par des politiques confessionnelles et une économie ultra libérale. Le projet articule trois niveaux de la réflexion: l'histoire spatiale du collectif à Beyrouth depuis l'an 2000 qui retrace toutes les initiatives et manifestations qui peuvent être qualifiées de collectives. Une sélection ensuite de clusters créatifs à Beyrouth comme espaces producteurs du collectif dans la ville. Enfin, une réflexion prospective pour une réappropriation créative de l’espace urbain de Beyrouth. Ces dessins, photographies et plans de villes à travers les continents se déroulent de part et d‘autre d’un long ruban représentant les commerces et les enseignes qui ponctuent la route de Beyrouth à Jounieh, à la manière de Learning from Las Vegas (1972), l’essai de Venturi et Scott Brown qui a contribué à favoriser le développement de l'architecture postmoderne. Al Autostrade, donc, pose des questions relatives à la mobilité à Beyrouth et interroger la dimension sociale du projet urbain.
C’est dans ce vaste ensemble que s’inscrit également le projet «Ateliers d’artistes», douze vidéos de Wissam Charaf réalisées suite à l’explosion du port du Beyrouth, documentant les entretiens de Pascal Odille avec des artistes et galeristes libanais. Véritable cartographie des ateliers et des galeries de Beyrouth, ces entretiens vidéo montrent ces lieux bien particuliers de la création artistique et donnent la parole à ceux qui les habitent.
Une table-ronde, «De quoi l’espace public est-il encore le nom?», avec David Mangin, François Delarozière et Sandra Frem, modérée par Hala Younes, fait le pendant de l’exposition. Elle part de la définition donnée par Christian Devillers «l’espace public est libre et gratuit d’accès», et pose le constat que cet espace dit public est en crise partout dans le monde.
Cet événement propose également un temps fort avec François Delarozière, «le magicien des villes» et la projection du film Les Machines de ville. François Delaroziere est le directeur de la compagnie de théâtre de rue La Machine. Avec sa compagnie, il construit des machines monumentales, sorte d’architectures mécaniques – araignée géante, dragon ou minotaure – destinées à évoluer dans les villes et à les transformer parfois, avec l’idée de rendre les cités plus attractives, et aussi plus mystérieuses.
Pour ceux qui auront la possibilité et la chance d’y aller faire un tour, mentionnons également:
Oh Liban!, exposition photographique de Frédéric Stucin, sur un commissariat de Marine Bougaran, qui dresse un portrait de la jeunesse libanaise dans une période troublée par les mois de pandémie et de crise que traverse le pays, ainsi que Vous (les adolescents), film documentaire réalisé en 2021 par Valérie Mréjen avec le soutien de l’Institut français du Liban, et qui donne la parole à des adolescents libanais, filmés dans onze collèges à travers tout le Liban.
L’expérience se poursuivra avec, à partir du vendredi 30 octobre, d’autres expositions, documentaires, tables rondes et rencontres ainsi qu’une pièce de théâtre du 5 au 9 octobre.
«Révolu le temps du commerce et des banques, du port et de la finance. Face à une page de l’histoire qui se tourne (…). il n’est plus seulement question de reconstruire. Il faut repenser, réécrire», dit Bénédicte Vigner, attachée culturelle à l’ambassade de France au Liban qui organise cet événement, sur un commissariat de Hala Younes. «Beyrouth, une ville à l’œuvre» est un projet sur, dans et pour la ville, une invitation à voir autrement.
Nayla Tamraz
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