
Sur ses intentions d’une “démilitarisation totale” du sud de Damas, l’État hébreu a été ferme. “Nous n'autoriserons pas les forces de Hay’at Tahrir al-Cham (HTC, l’organisation qui a été à l’origine de la chute du régime de Bachar el-Assad le 8 décembre 2024, ndlr) ou la nouvelle armée syrienne à entrer dans la zone au sud de Damas”, a martelé dimanche le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, lors d'une conférence de presse à Holon, dans le district de Tel Aviv.
Depuis quelques jours, la situation dans le sud de la Syrie est de plus en plus tendue. Mardi soir, plusieurs frappes israéliennes ont été menées contre des cibles militaires, notamment à al-Kiswah (à Rif Dimachq), à Izraa et Tell al-Hara (à Deraa) ainsi qu’à Aïn al-Bayda (à Quneitra). Commentant ces attaques, le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, a affirmé que “toute tentative des forces du régime syrien et des organisations terroristes du pays de s'établir dans la zone de sécurité du sud de la Syrie aura des conséquences fâcheuses”. À cela, il a ajouté que ces manœuvres s’inscrivent dans le cadre de la “nouvelle politique” israélienne qui “vise à débarrasser la région de ces armes”. Et de poursuivre: “Le message est clair: nous ne permettrons pas que le sud de la Syrie devienne le sud du Liban.”
Si ces actions correspondent à une dynamique de sécurisation du territoire israélien face à la “montée de forces islamistes” près de ses frontières, d’autres desseins, non affichés, pourraient expliquer cette exacerbation des tensions. De quoi s’agit-il?
“Bien que soutenu par certaines factions locales, le gouvernement syrien dirigé par des islamistes est vu comme un foyer potentiel pour des groupes extrémistes proches des idéologies radicales, notamment en raison des alliances que certains de ses membres entretiennent avec des organisations terroristes”, souligne-t-on de source sécuritaire. “Israël craint que ces forces se consolident dans le sud du pays et menacent donc directement sa frontière”, explique-t-on de même source.
“Il faut dire que c’est grâce à Israël qu’Ahmad el-Chareh (le président syrien par intérim, ndlr) est au pouvoir aujourd’hui”, note Fabrice Balanche, maître de conférences à l’université Lyon 2, spécialiste de la géographie politique du Proche-Orient et auteur de Les Leçons de la crise syrienne. En effet et selon M. Balanche, “après le 7 octobre 2023 (date de l’offensive du Hamas contre Israël, ndlr), l’État hébreu a décidé de repousser les Iraniens le plus loin possible de ses frontières. Ainsi, après le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban, les forces israéliennes ont bombardé les infrastructures iraniennes en Syrie, ce qui a considérablement affaibli le régime Assad et permis à HTC de s’emparer du pouvoir”. Aujourd’hui, “la véritable stratégie israélienne (et celle américaine d’ailleurs) consiste à pousser Al-Chareh à faire la paix avec l’État hébreu sans pour autant toucher au Golan”, qui continuerait d’être sous emprise israélienne, suggère M. Balanche.
Un terrain stratégique
Le sud de la Syrie (qui englobe les gouvernorats de Soueïda, Quneitra et Deraa) est une région stratégique non seulement sur le plan militaire mais aussi au niveau démographique et social.
Soueïda est un bastion druze, une communauté religieuse qui représente 3% de la population syrienne. “Le gouvernorat de Soueïda compte 95% de druzes et 5% de chrétiens”, précise M. Balanche. Il rappelle que “durant la guerre en Syrie qui a été déclenchée en 2011, la région s’est protégée elle-même grâce à des milices locales. En novembre 2024, celles-ci se sont débarrassées de l’autorité du régime syrien à Soueïda, pour pouvoir contrôler la région. Elles n’ont actuellement aucune confiance dans la nouvelle administration syrienne dirigée par un ancien d’Al-Qaïda, soit Ahmad al-Chareh.”
À Deraa, berceau du soulèvement syrien en 2011, on retrouve une population majoritairement sunnite mais également une minorité de druzes, de chrétiens et d’alaouites. Pareil pour Quneitra, qui connaît une majorité de sunnites (90 à 95%). Dans cette zone, on retient une figure principale. Il s’agit du commandant de la chambre d’opérations du sud, Ahmad al-Awda, un chef rebelle qui, en 2018, se “réconcilie” avec le régime syrien et prend le commandement de la 8e brigade avant de se retourner contre Assad et de prendre Damas en décembre 2024, et ce bien avant HTC. “Soutenu financièrement par les Émirats arabes unis, Ahmad al-Awda cherche à maintenir le contrôle de Deraa et de Quneitra et à rejeter la présence de HTC dans les deux localités”, explique M. Balanche. Il continue: “Ainsi, et en démilitarisant la zone, les Israéliens protègeraient l’autonomie du sud, ce qui pourrait être perçu comme une introduction à un modèle politique fédéral en Syrie, leur permettant d’avoir la paix avec le pays et de garder pour eux le Golan.” Ils enverraient également un message fort à tous leurs adversaires: celui d’une politique de tolérance zéro face à toute présence militaire hostile à ses frontières.
Réponse syrienne
Malgré les frappes israéliennes, la Syrie n’a jusqu’ici pas engagé de confrontation militaire directe. La nouvelle administration, qui peine encore à stabiliser le pays après quatorze ans de guerre civile, a condamné les incursions israéliennes dans la zone tampon entre les deux pays, mais sa capacité de réaction reste limitée. Exprimant son indignation face à de telles manœuvres, la Syrie d’Ahmad el-Chareh a appelé à un retrait immédiat des forces israéliennes de la zone en question, conformément aux résolutions internationales.
Toutefois, ces appels ont peu d'écho sur la scène mondiale. Alors que l’issue de ce bras de fer demeure incertaine dans une région où s’entrelacent des enjeux militaires, géopolitiques et identitaires, le moindre faux pas pourrait déclencher une escalade aux conséquences dramatiques pour la région. Les jours à venir seront décisifs, et les événements en cours pourraient bien redéfinir les contours d’un conflit qui dure depuis plus d’une décennie.
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