
Les obsèques de Hassan Nasrallah et de son successeur Hachem Safieddine sont loin d’être un acte de clôture qui devrait sceller la fin d’une époque tumultueuse. Il s’agit plutôt d’un acte fondateur qui cherche à restituer un narratif qui scandait l’avènement d’une nouvelle ère entièrement coupée du récit national libanais. La cosmogonie politico-religieuse qui s’est déployée tout au long de cette cérémonie met la communauté chiite dans un état de rupture total avec le reste de l’hypothétique communauté nationale libanaise et rend impossible la reconstruction du processus étatique. On ne peut pas surfer sur des évolutions politiques aussi importantes et reprendre le cours de la vie politique comme si de rien n’était. La juxtaposition des trajectoires politiques est non seulement erronée d’un point de vue méthodologique, mais elle est à la base des illusions d’optique qui gouvernent la vie politique libanaise.
La chorégraphie funéraire a été conçue en vue de sceller les configurations d’un imaginaire politico-religieux et d’une temporalité qui se démarque ostensiblement des cadres de référence d’un État national pluraliste qui n’a d’autre transcendance que celle des stipulations constitutionnelles propres à un État de droit. La sanctification d’une figure politico-religieuse aussi équivoque que celle de Hassan Nasrallah relève des contresens propres aux messianismes politiques, à la sacralisation du politique et aux étayages religieux concédés à la violence et à la criminalité qui lui sont rattachées. L’indistinction des registres est non seulement source de conflit et d’instrumentalisation du corpus religieux, mais également de dérives totalitaires qui mettent en question la paix civile et la possibilité d’un régime de constitutionnalité dûment avalisé par les institutions d’un État de droit.
La coexistence entre des registres politiques aussi contrastés et la gérance des interfaces et des rapports d’extériorité est désormais inconcevable dans notre contexte à la suite d’un bilan lourd d’échecs répétés, de méconnaissance délibérée des différends politiques et normatifs et à un bilan lourd de six décennies de conflits ouverts. La figure de Hassan Nasrallah est étroitement liée au meurtre politique érigé en norme d’action, au terrorisme institutionnalisé et à la criminalité organisée soudés à la politique de subversion iranienne et ses variants sur l’ensemble du Moyen-Orient. Il est impossible de pouvoir se réconcilier autour d’un narratif aussi clivant où le totalitarisme et ses modulations politiques et religieuses servent de principe de gouvernance.
Les états de délire qui se sont étalés tout au long de cette cérémonie ont servi de plateformes d’embrigadement totalitaire où les affects primaires, les liens de sociabilité socio-agnatiques et les actes de foi politico-religieux laissent peu de place à la rationalité discursive, à la conversation libérale et à la pluralité normative en démocratie. La stratégie de contrôle du Hezbollah se restructure à la source qui lui a servi de point de départ, le chiisme militant propulsé par le régime iranien à un moment de l’histoire où ses récits fondateurs, sa légitimité et ses ancrages stratégiques sont remis en cause. Ceci est d’autant plus inquiétant que le régime iranien se joue de la carte chiite libanaise comme d’un ultime recours en vue de sauver ses béquilles défaillantes à la suite de la débâcle de la stratégie des “champs de bataille intégrés” et de la déroute de ses mandataires régionaux. La représentation massive des hauts cadres du régime islamique met en relief la tentative ultime de sauver la mise sur un échiquier qui a été pulvérisé par la contre-offensive israélienne.
Le Hezbollah se relance sur une nouvelle trajectoire qui reprend au pied de la lettre les éléments de la politique sécessionniste, des conflits continus et de l’instrumentalisation des institutions de l’État au profit d’une politique franche de domination. Alors que les effets dévastateurs de la politique de subversion tentée par l’Iran et ses mandataires ne prêtent plus à équivoque, la militance reprend le devant de la scène. Les dérogations à la règle constitutionnelle, la manipulation du discours victimaire, la revendication sans ambages de l’extraterritorialité militaire et politique et le rejet des clauses de la trêve finiront par discréditer cette dystopie meurtrière et par rendre caduques les chances de reconstruction de l’État libanais. L’état de délire qui prévaut en milieu chiite est un obstacle majeur au processus de pacification, de reconstruction et de normalisation, alors que les conséquences de la débâcle militaire ont atteint le point de non-retour. Le Liban n’est sûrement pas en mesure de s’accommoder des interims conflictuels sine die, il est déjà temps que les chiites libanais se rendent à l’évidence.
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