
Après plusieurs mois de cessation – partielle – des hostilités entre Israël et le Hezbollah, l’expiration du cessez-le-feu soulève des questions juridiques importantes sur la situation sécuritaire, notamment celle de savoir si les hostilités pourraient (ou non) reprendre.
Arrivé à terme mardi matin, l’accord de cessez-le-feu, qui avait été décrété en novembre 2024 pour une durée de soixante jours, a été renouvelé en janvier 2025. Quoique fragile, il a permis l’instauration d’une période de répit à la violence. Aujourd’hui, cette nouvelle échéance ouvre la voie à une phase d’incertitude, où Israël entend maintenir ses positions au niveau de cinq points stratégiques à la frontière libanaise et intervenir militairement dans les régions “à risque”, où l’armée libanaise ne s’est toujours pas déployée.
“Les actions de l’armée israélienne contre le Hezbollah se poursuivront avec intensité”, a martelé mardi le ministre israélien de la Défense, Israël Katz. “Nous maintiendrons notre présence dans cinq régions du Liban-Sud pour protéger les colonies du nord (d’Israël, ndlr)”, a-t-il poursuivi. Et d’ajouter que l’État hébreu ne permettra pas un retour à la situation d’avant le 7 octobre 2023 (date de l’offensive du Hamas).
Considérant qu’il s’agit d’une violation flagrante de sa souveraineté, le Liban a fermement dénoncé le maintien des forces israéliennes dans les régions du sud.
Cadre juridique
La résolution du Conseil de sécurité 1701 (2006) constitue, selon Antonios Abou Kasm, professeur de droit international à l’Université libanaise et avocat international plaidant près les juridictions internationales, “le cadre juridique essentiel pour le cessez-le-feu”, tandis que la “Déclaration (du 27 novembre 2024) sur la cessation des hostilités et les obligations connexes relatives au renforcement des dispositions de sécurité et à la mise en œuvre de la résolution 1701 est un accord qui constitue un mécanisme d’application de cette résolution”.
Toutefois, l’expiration du délai de soixante jours prescrit dans l’article 12 de l’accord sur la cessation des hostilités, et qui a été prolongé jusqu’au 18 février 2025, “n’implique pas que l’accord a pris fin ou qu’il est abrogé”, souligne-t-il. Il s’agit, d’après lui, “d’un accord continu qui prend fin à la suite de la mise en œuvre complète de la résolution 1701”. “Le non-respect des délais prescrits dans ledit accord constitue une violation d’une obligation conventionnelle”, affirme-t-il.
Aussi le Liban et Israël sont-ils tenus de respecter la résolution 1701 du Conseil de sécurité, qui est obligatoire et décidée sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies, explique M. Abou Kasm. “La résolution 1701 dispose d’une primauté vis-à-vis de l’accord de la cessation des hostilités car, en droit international, les décisions du Conseil de sécurité priment les accords bilatéraux conclus entre les parties au conflit”, ajoute-t-il.
Les hostilités pourraient-elles reprendre?
Aujourd’hui, étant donné les faits, la reprise effective des hostilités n’est plus “encadrée”. “Rien ne peut empêcher un tel scénario”, soulignent le magistrat Antoine Messarra, ancien membre du Conseil constitutionnel, et l’avocat Saïd Malek, interrogés par Ici Beyrouth. Il n’en demeure pas moins que, selon eux, et “compte tenu des capacités militaires réduites du Hezbollah et de la pression diplomatique exercée tant sur le Liban que sur Israël, une telle éventualité est quasi improbable”.
À la question de savoir ce que dit la loi, il convient de préciser que le droit international humanitaire impose des obligations aux parties en conflit, même après la fin d’un cessez-le-feu. Lorsqu’un tel accord expire, les parties ne peuvent pas automatiquement reprendre les hostilités de manière unilatérale sans déclencher une nouvelle forme de conflit armé, expliquent les juristes.
Toutefois, la reprise des combats pourra être juridiquement justifiée par une “autodéfense”, si l’une des parties considère qu’elle est attaquée ou menacée. Cependant, la question centrale est de savoir si cette reprise est conforme au droit international, en particulier à l’égard des principes du droit international humanitaire et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Selon François Dubuisson, professeur à l’Université libre de Bruxelles et chercheur au sein du Centre de droit international, largement consulté par l’Assemblée générale des Nations unies pour sa maîtrise du dossier relatif au conflit israélo-palestinien, “pour que toute reprise des hostilités soit ‘valable’, un fondement juridique au déclenchement des combats se doit”. Il rappelle, à cet égard, l’article 2, alinéa 4 de la Charte des Nations unies qui interdit le recours à la menace ou à la force contre un autre État, à moins qu’il ne s’agisse de légitime défense.
M. Abou Kasm confirme ces propos: “Les parties au conflit n'ont pas le droit de recourir à la force sauf en cas de légitime défense. En d’autres termes, l’armée israélienne n’a pas le droit de violer la Déclaration sur la cessation des hostilités, à moins d’une attaque militaire de la part du Liban, comme préconisé par l’article 51 de la Charte de l’ONU.”
L’expiration du cessez-le-feu ne rétablit donc pas automatiquement un état de guerre, mais elle ouvre effectivement la voie – sous condition – à une reprise des hostilités si l’une des parties estime que ses intérêts sont menacés, ce qui pourrait être le cas pour Israël. L’État hébreu a, à maintes reprises, prétexté le danger que constituent pour lui l’arsenal et les sites du Hezbollah que l’armée libanaise n’a pas réussi à démanteler, toujours selon les propos tenus par les autorités israéliennes.
Le Hezbollah pourrait, lui aussi, considérer que l’expiration du cessez-le-feu lève les restrictions qui pesaient sur ses actions militaires, notamment s’il estime que ses intérêts sont menacés par des actions israéliennes. Si tel est le cas, une nouvelle escalade militaire pourrait survenir, ce qui risquerait de relancer un cycle de violence dans la région.
Pour résumer, afin d’engager une nouvelle action militaire, Israël – ou le cas échéant, le Hezbollah – devrait justifier ses actes au regard du droit international, en invoquant par exemple des raisons de légitime défense, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations unies. Dans ce contexte, et pour se prémunir, Israël, qui a annoncé son intention de maintenir des forces dans des points stratégiques le long de la frontière libanaise, pourrait invoquer des menaces contre sa sécurité pour justifier une intervention militaire, notamment dans les zones non couvertes par le déploiement de l’armée libanaise. Or, en continuant d’occuper de la sorte des zones frontalières, Israël commet ce qu’on appelle en droit “une agression armée à l’égard du Liban”, comme l’explique M. Dubuisson. Cela ouvre la voie, d’après lui, à une possibilité “non pour le Hezbollah, certes, mais pour l’État libanais, de mobiliser ses forces armées et revendiquer, par les moyens militaires, sa souveraineté”, souligne-t-il.
“Selon la Déclaration sur la cessation des hostilités, face à toute violation, la partie lésée doit saisir le mécanisme (le comité de supervision du cessez-le-feu, ndlr) et non pas intervenir militairement”, explique M. Abou Kasm. Il poursuit: “Outre le fait qu’elle équivaut à une violation de ladite déclaration, la présence de l’armée israélienne dans ces cinq points constitue une occupation du territoire libanais et une violation des résolutions 425 (1978) et 1701 (2006) et autres résolutions du Conseil de sécurité”. Par conséquent, “toute violation israélienne de l’article 2 de la déclaration susmentionnée, en vertu duquel Israël s’engage à ‘ne mener aucune opération militaire offensive contre des cibles libanaises, y compris des cibles civiles et militaires ou d’autres cibles étatiques, sur le territoire libanais par voie terrestre, aérienne ou maritime’, permettrait au gouvernement libanais de saisir le mécanisme et la Finul en vertu de l’article 10 de la Déclaration sur la cessation des hostilités”, note M. Abou Kasm.
Le rôle de la communauté internationale et des Nations unies
L’expiration du cessez-le-feu pourrait également entraîner une réaction de la communauté internationale, en particulier des Nations unies. Selon les résolutions en vigueur, notamment la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), toute nouvelle escalade du conflit entre Israël et le Liban, en particulier impliquant le Hezbollah, pourrait conduire à une intervention internationale pour tenter de restaurer l’ordre et de protéger la population civile. Le rôle des Casques bleus pourrait ainsi être renforcé pour éviter la reprise des combats.
“Il est également possible que des discussions diplomatiques soient initiées pour parvenir à un nouvel accord de cessez-le-feu ou pour négocier des mécanismes permettant de désamorcer les tensions, en particulier si les hostilités risquent de dégénérer en un conflit plus vaste”, précisent MM. Malek et Messarra.
Dans quelle mesure la diplomatie internationale et une vigilance militaire accrue de la part de tous les acteurs impliqués peuvent-elles jouer un rôle clé pour tenter de prévenir une guerre à grande échelle?
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