![Gouvernement: rupture avec les effets du 7 mai 2008](/images/bibli/1920/1280/2/2michel-touma-web.jpg)
La roue tourne… surtout en politique. Surtout dans une zone en pleine ébullition comme le Moyen-Orient. Il est bien connu qu’aucune puissance, aucune faction ne peut maintenir dans la durée – sur le moyen ou long terme – une position prépondérante. La composition du premier gouvernement du mandat du président Joseph Aoun a bien reflété ce paramètre pour ce qui a trait au cas spécifique du Hezbollah.
Le nouveau cabinet s’inscrit nettement en rupture avec les effets politiques entraînés par le sanglant coup de force milicien exécuté le 7 mai 2008 par le parti pro-iranien. Pour le Hezbollah, il s’agissait à l’époque de renverser la vapeur, de stopper net la dynamique nationale enclenchée par les gouvernements 14-marsistes (souverainistes), nés de la Révolution du Cèdre – avec pour leitmotiv Le Liban d’abord – initiée à la suite de l’assassinat, le 14 février 2005, de Rafic Hariri. Les miliciens fidèles à Téhéran avaient alors envahi les régions de Beyrouth-Ouest et de la montagne du Chouf et de Aley contrôlées par le Courant du futur et le Parti socialiste progressiste.
Le coup de force funeste de ce 7 mai, qui avait fait plus d’une centaine de morts, avait débouché sur la tenue au Qatar de la conférence de Doha, en présence des chefs de file de toutes les formations et factions libanaises qui avaient convenu, au terme de longs débats, d’une feuille de route en vue d’une sortie de crise: élection du général Michel Sleiman à la présidence de la République; formation d’un “gouvernement d’union nationale” présidé par Saad Hariri avec l’octroi au tandem Hezbollah-Amal et ses alliés (le courant patriotique libre, les Marada et les personnalités proches du régime Assad) du tiers de blocage au sein du Conseil des ministres en contrepartie d’un engagement ferme de la part du camp du Hezbollah à ne pas faire chuter le gouvernement ni entraver son action. Un engagement que le Hezb a superbement ignoré par la suite…
Cette conférence de Doha avait constitué un point d’inflexion au niveau de l’exercice du pouvoir exécutif. Dans tous les gouvernements qui se sont succédé depuis, le parti pro-iranien et les factions qui gravitaient dans son orbite obtenaient le tiers de blocage ou contrôlaient totalement l’action du Conseil des ministres. C’est précisément au niveau de ce point que le cabinet Salam constitue une rupture avec les effets du coup de force du 7 mai 2008, dont les retombées se sont ainsi maintenues pendant près de 17 ans, au cours desquels le Hezbollah jouait le rôle de chef d’orchestre de l’exécutif grâce à la complicité de ses suppôts locaux.
Il ressort de la composition du gouvernement rendue publique le 8 février que pour la première fois depuis mai 2008, le parti pro-iranien est loin de contrôler le cabinet. Le tandem Hezbollah-Amal paraît en effet isolé et mis en minorité au sein de l’équipe ministérielle. Et pour cause: ses alliés traditionnels – le CPL, les Marada et les personnalités proches de la mouvance iranienne – ont été mis à l’écart, à l’instar d’officines de l’ancien régime syrien, telles que le Parti syrien national social (PSNS) et la branche locale du parti Baas qui était au pouvoir à Damas.
En schématisant, il apparaît que ce gouvernement Salam comprend quatre composantes: le tandem Hezbollah-Amal; les Forces libanaises, les Kataëb et des ministres proches de la mouvance souverainiste; des ministres proches du président de la République; et un groupe désigné directement par le chef du gouvernement. En termes de répartition des responsabilités, le camp du Hezbollah a perdu le contrôle de nombreux ministères-clés: les Affaires étrangères, l’Énergie, l’Industrie et les Télécommunications (tenues désormais par les Forces libanaises et alliés); la Justice (Kataëb); les Travaux publics et l’Agriculture (PSP); et la Défense (un proche du président Aoun).
Ce double revers, quantitatif et qualitatif, subi par le Hezbollah est à l’évidence une conséquence directe (et inéluctable) d’un cumul de facteurs, tant internes qu’externes: une cuisante défaite militaire; la déconfiture de l’appareil politique et sécuritaire du parti; le désastre humain et matériel causé par la guerre irresponsable lancée contre Israël le 8 octobre 2023 sous des prétextes fallacieux; la chute de Bachar el-Assad; la perte par les mollahs iraniens de l’espace vital stratégique que représentait pour eux la Syrie; la dislocation du “croissant chiite” s’étendant de Téhéran à la banlieue-sud en passant par Bagdad et Damas; et, surtout (cerise sur le gâteau), l’arrivée au pouvoir du président Donald Trump et son équipe de faucons républicains, avec la réactivation de la politique de “pression maximale” sur le régime des mollahs.
La voie à suivre reste longue, certes, et le temps presse. L’enjeu désormais porte sur la mise sur rails d’un ambitieux programme de redressement institutionnel, politique, socio-économique et diplomatique (le ministère des Affaires étrangères est appelé à cet égard à jouer un rôle majeur et crucial pour repositionner le Liban sur l’échiquier arabe et international en effaçant les multiples impairs causés dans ce domaine durant la longue phase post-7 mai). La ligne directrice d’un tel redressement demeure – passage obligé – la concrétisation de tous les fondamentaux définis par le président dans son discours d’investiture. Un objectif dont la réalisation nécessite la conjonction des efforts de toutes les factions et personnalités conscientes de la nécessité impérieuse de faire prévaloir l’édification de l’État sur la logique milicienne et le projet transnational du mini-État de fait accompli.
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