![Des ténèbres à la lumière: l’histoire cachée de \](/images/bibli/1920/1280/2/36web.jpg)
Derrière The Sound of Silence se cache bien plus qu'un chef-d'œuvre musical composé par Paul Simon. Une histoire poignante d'amitié et de dépassement de soi unit Art Garfunkel et Sandy Greenberg. Voici comment le lien indéfectible entre ces deux amis a marqué leurs destins et contribué, dans l'ombre, à l'ascension d'une chanson devenue légendaire.
Au début des années 1960, Paul Simon, alors jeune musicien inconnu du grand public, compose ses chansons dans un lieu insolite: la salle de bain de ses parents. Séduit par l’acoustique de cette pièce exiguë, il y affine les accords et les paroles de ce qui deviendra l’une des chansons les plus marquantes du XXᵉ siècle.
À cette époque, Simon et son ami d’enfance Art Garfunkel forment un duo folk prometteur, inspiré par la tradition musicale de Bob Dylan et des Everly Brothers. En mars 1964, ils enregistrent une version acoustique de The Sound of Silence, une ballade mélancolique portée par des paroles introspectives sur l’isolement et l’incompréhension.
Sortie en octobre 1964 sur leur premier album Wednesday Morning, 3 A.M., la chanson passe inaperçue. L’album est un échec commercial, et le duo semble condamné à l’oubli. Pourtant, ce n’est qu’un début: une histoire d’amitié hors du commun est sur le point de donner un tout autre destin à cette chanson.
Un pacte scellé dans l'adversité
En 1958, sur le campus de l’université Columbia, à New York, Art Garfunkel fait une rencontre qui va changer le cours de sa vie: celle de Sanford “Sandy” Greenberg, un étudiant brillant venu de Buffalo. Passionnés de musique et de littérature, les deux jeunes hommes nouent rapidement une amitié profonde et se font une promesse: être toujours présents l’un pour l’autre, quoi qu’il arrive.
Cette promesse est mise à l’épreuve lorsque Sandy, quelques mois après son arrivée à Columbia, commence à perdre la vue en raison d’un glaucome foudroyant. Les médecins sont formels: il deviendra totalement aveugle. Effondré, il décide d’abandonner ses études et de retourner chez lui à Buffalo, persuadé que tous ses rêves viennent de s’effondrer.
Mais Art Garfunkel refuse de laisser son ami sombrer. Il se rend à Buffalo, convainc Sandy de revenir à Columbia et lui fait un serment: il sera ses yeux et ne le laissera jamais tomber. Fidèle à sa parole, Garfunkel devient l’ombre de Sandy, l’aidant à se déplacer, lui lisant ses cours, l’accompagnant à chaque instant. En signe de cette amitié indéfectible, il se surnomme lui-même “Darkness”.
Garfunkel ne se contente pas d’un simple soutien moral. Un jour, il décide de mettre son ami à l’épreuve en le laissant seul dans le métro de New York. De loin, il observe Sandy se débattre, trébucher, tomber, puis finalement trouver son chemin. Une épreuve brutale mais déterminante, qui redonne à Sandy la confiance nécessaire pour affronter la vie malgré sa cécité.
Grâce à ce déclic salvateur, Sandy Greenberg refuse de se laisser abattre. Il obtient son diplôme de Columbia en 1962, épouse son amour de jeunesse, Sue, puis décroche une prestigieuse bourse Fulbright pour étudier à Oxford. Il poursuivra ensuite ses études à Harvard et deviendra un philanthrope reconnu. Une success story qu’il doit en grande partie au soutien indéfectible d’Art Garfunkel.
Un coup de fil décisif
Quelques années plus tard, les rôles s’inversent. Alors que Sandy étudie à Oxford, c’est Garfunkel qui a besoin d’un coup de pouce.
En octobre 1964, l’album Wednesday Morning, 3 A.M. est un échec commercial. Paul Simon, découragé, part tenter sa chance en Angleterre, tandis que Garfunkel reste à New York. Leur rêve musical semble s’éteindre.
C’est à ce moment-là qu’Art Garfunkel appelle son ami d’université. Lorsqu’il décroche, Sandy entend la voix hésitante de Garfunkel. Après quelques échanges sur leurs vies respectives, ce dernier finit par lui confier la raison de son appel: lui et Paul Simon ont besoin d’argent pour financer un nouveau projet musical.
Sandy, sans hésiter, demande combien il leur faut. La réponse tombe: 400 dollars – une somme importante pour deux musiciens fauchés.
Sans attendre, Sandy et sa femme Sue prennent une décision radicale: ils vident leur compte bancaire et envoient l’intégralité de leur argent à Art Garfunkel. Pour eux, il ne s’agit pas d’un simple prêt, mais d’un acte de foi, un juste retour après le soutien que Garfunkel avait apporté à Sandy dans ses heures les plus sombres.
Ce geste sacrificiel ne porte pas ses fruits immédiatement. L’album financé par cet argent ne rencontre pas le succès escompté et Simon & Garfunkel semblent condamnés à disparaître. Cependant, un an plus tard, une décision inattendue change le cours de leur destin.
En 1965, le producteur Tom Wilson, convaincu que la chanson a un potentiel inexploité, décide, sans en informer le duo, de la réenregistrer en y ajoutant une orchestration électrique. Sortie en single en septembre 1965, cette nouvelle version conquiert rapidement les radios.
Le 1ᵉʳ janvier 1966, soit plus de deux ans après l’appel de Garfunkel à Greenberg, The Sound of Silence atteint la première place du Billboard Hot 100. En quelques semaines, Simon & Garfunkel deviennent des stars internationales, propulsés au sommet de la scène musicale.
Quelque part entre la petite salle de bain de Paul Simon et les allées brumeuses de Columbia, entre les ténèbres de la cécité et la lumière d'une amitié sans faille, s'est écrite une des plus belles pages de la musique. Une page où chaque mot, chaque note, résonne comme une promesse. Celle que l'on fait à un ami, un soir, de ne jamais le laisser tomber.
Commentaires