Marianne Faithfull, l’élégance des maudits et la grâce des miraculés
La chanteuse britannique Marianne Faithfull sur scène à l'Olympia, à Paris, le 21 octobre 2002. ©Bertrand Guay AFP

Icône du Swinging London, muse des Rolling Stones, Marianne Faithfull s'est éteinte à 78 ans. De la gloire à la déchéance, de la rédemption à la consécration, retour sur le destin romanesque d'une légende du rock'n'roll au talent et à la résilience exceptionnels.  

Marianne Faithfull, icône du rock des années 1960 et muse des Rolling Stones, nous a quittés à l'âge de 78 ans. Retour sur le destin tumultueux d'une artiste hors norme, qui a traversé les époques et les épreuves sans jamais cesser de se réinventer.

Fille d'aristocrates, Marianne Evelyn Gabriel Faithfull voit le jour le 29 décembre 1946 à Hampstead, Londres. Son père, Robert, est un espion reconverti en professeur de littérature italienne. Sa mère, Eva, est la petite nièce du baron autrichien Leopold von Sacher-Masoch (dont le nom inspira le terme "masochisme").

Élevée dans un milieu bohème et anticonformiste, la jeune Marianne développe très tôt une personnalité singulière. Pensionnaire dans un couvent catholique, elle monte sur scène dès 17 ans et se produit dans les cafés et clubs londoniens. En 1964, sa route croise celle des Rolling Stones. Andrew Loog Oldham, leur sulfureux manager, est subjugué par sa beauté et son charisme. Il lui fait enregistrer As Tears Go By, une ballade écrite par Mick Jagger et Keith Richards. Le succès est immédiat et propulse Marianne au rang de star.

Pendant quelques années, elle mène une double vie: jeune première sage le jour, elle devient la nuit venue l'égérie d'une jet-set sulfureuse. Les excès s'enchaînent, les scandales s'ébruitent. Sa liaison tumultueuse avec Mick Jagger passionne la presse à scandale. L'héroïne fait des ravages et, en 1969, la descente aux enfers commence.

Séparée de Jagger, privée de la garde de son fils, ruinée, Marianne plonge dans une addiction dévastatrice pendant une décennie. Sans-abri, elle erre dans les rues de Soho, frôle la mort à plusieurs reprises. Sa carrière est au point mort, sa voix brisée par la drogue et l'alcool. “Je souffrais le martyre et je me soignais du mieux que je pouvais”, confiera-t-elle plus tard. “Ce n'était pas joli à voir, mais c'était ma façon de survivre.”

La résurrection (1979-2000)

Tel un phénix, Marianne renaît de ses cendres à la fin des années 70. Après une cure de désintoxication, elle enregistre Broken English, un album choc où sa voix rauque et brisée épouse des textes crus, témoins de ses années de déchéance. La critique est dithyrambique, le public au rendez-vous.

Dès lors, Marianne enchaîne les albums et les tournées triomphales. Sa voix de contralto, sculptée par les épreuves, irradie sur les scènes du monde entier. Elle devient une interprète majeure, piochant dans le répertoire de Kurt Weill, des poètes symbolistes ou de la littérature byzantine. Mais aussi une actrice talentueuse tant au théâtre qu’au cinéma, incarnant avec force des personnages torturés.

Malgré le succès et la reconnaissance, les vieux démons ne sont jamais loin. Au fil des années, Marianne traverse de nouvelles tempêtes. Les rechutes, les accidents, les hospitalisations s'enchaînent, sans jamais avoir raison de sa créativité. Chaque épreuve devient matière à créer, chaque blessure se mue en œuvre d'art.

Dans les années 90, elle s'installe à Paris et devient une figure incontournable de la scène artistique. Encensée par ses pairs, adulée par la critique, elle multiplie les collaborations de prestige avec Blur, Beck, Pulp ou Metallica. Sa cote n'a jamais été aussi élevée, sa voix aussi profonde. À 50 ans passés, Marianne est enfin devenue la grande dame du rock, celle par qui le scandale arrive.

Une icône éternelle (2000-2023)

Mais l'horloge tourne et la santé s'effrite. Au début des années 2000, Marianne est diagnostiquée d'un cancer du sein puis d'une hépatite C. S'ensuivent des années de lutte, entre chimio, opérations et annulations de tournée. Mais, à chaque fois, avec une résilience hors du commun, elle revient plus forte, portée par un appétit de vivre intact.

En 2007, la sortie de son album Before the Poison marque un nouveau pic dans sa carrière. L'opus, où les textes de Marianne côtoient ceux de Nick Cave ou PJ Harvey, est un triomphe critique et commercial. À 60 ans passés, la chanteuse prouve qu'elle a encore des choses à dire et à transmettre. Comme un pied de nez à la vieillesse et à la maladie.

Les années 2010 seront celles d'un automne triomphal, ponctué de récompenses et d'hommages. En 2011, Marianne est faite commandeur des Arts et des Lettres par le gouvernement français. L'année suivante, les Anglais lui décernent l'ordre de l'Empire britannique pour services rendus à la musique. Comme si le temps était venu de faire entrer au panthéon cette survivante d'une époque révolue, dernière braise encore ardente des sixties.

Les coups durs s'enchaînent pourtant. Une lourde chute lui brise le dos en 2013, l'obligeant à annuler tous ses engagements, y compris une performance très attendue au prestigieux festival de Baalbeck au Liban. En 2020, elle contracte la Covid et passe de longues semaines à l'hôpital, entre la vie et la mort. Mais, une fois de plus, elle s'en sort et trouve la force d'enregistrer un ultime album dans la foulée. She Walks in Beauty, dans lequel elle pose sa voix envoûtante sur des poèmes britanniques du XIXe siècle, sort en 2021. Il sera son chant du cygne.

Le 30 janvier 2025, Marianne Faithfull s'éteint paisiblement dans son sommeil, à l'âge de 78 ans. Ses proches sont là, sa mort est douce. Comme une ultime pirouette d'une vie romanesque, faite de tumultes et de passions, de vertiges et de résurrections.

En plus de cinquante ans de carrière, Marianne Faithfull aura tout connu: la gloire et la déchéance, le succès et l'oubli, l'amour et la trahison. Mais, de ce parcours en montagnes russes, elle aura su tirer une œuvre à son image: entière, viscérale, habitée. Une œuvre où la petite chanteuse blonde des sixties à la voix d'ange aura muté en grande prêtresse du rock à la voix rauque et brisée. Mais toujours avec cette intensité dévorante, ce magnétisme animal qui forçait le respect.

Avec la disparition de Marianne Faithfull, c'est un peu de la fureur des sixties qui s'éteint. L'époque où pop rimait avec insouciance, où le rock était une arme de contestation massive. Plus que la muse d'une génération, elle laisse l'image d'une femme libre ayant survécu à son mythe, d'une artiste ayant toujours refusé d'être là où on l'attendait.

Son épitaphe pourrait être ce vers librement inspiré du poète Arthur Rimbaud qu'elle aimait tant: “Étrange beauté, huit jours de larmes, rien n'est tel que je l'imaginais, je m'éveille dans un enfer différent chaque jour.” Cet amour de la poésie française, notamment pour Baudelaire et Rimbaud, que Marianne cultivait depuis les années 1960 et qu’elle partageait avec Mick Jagger, influença leur art et leur relation. Même si elle regrettait de ne pas maîtriser suffisamment la langue pour les interpréter, ces poètes l'ont accompagnée toute sa vie. Alors oui, lui offrir ce vers en guise d'épitaphe prend tout son sens. Il dit son génie et son mystère: avoir traversé mille enfers et en être toujours revenue pour les sublimer en art. Avec l'élégance des maudits et la grâce des miraculés.

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