Les Libanais espéraient une naissance rapide du gouvernement, une fois Nawaf Salam désigné pour former la première équipe ministérielle du mandat. Mais les obstacles sont vite apparus. Dès la première semaine.
Nawaf Salam devrait soumettre la composition de son gouvernement au président Joseph Aoun cette semaine. Le retard accusé est toujours dû aux conditions et aux exigences du duopole Amal-Hezbollah, alors que le Premier ministre désigné s’efforce de trouver un terrain d’entente dans le respect de sa politique axée sur l’application de la Constitution et de l’accord de Taëf.
Or cette orientation va à l’encontre des ambitions du tandem qui veut garder son emprise sur l’État et, surtout, du Hezbollah, pour qui l’important reste de légitimer et de conserver ses armes.
Dans son discours d’investiture, le président Joseph Aoun a été clair sur ce point, en mettant en relief le droit des services officiels à monopoliser le port d’armes. Il a réaffirmé son engagement en faveur d’une politique de défense intégrée, dans le cadre d’une stratégie de sécurité nationale couvrant les dimensions diplomatique, économique et militaire. Cette stratégie vise notamment à renforcer l’État libanais pour l’habiliter à mettre fin à l’occupation israélienne et repousser toute agression.
Selon un ancien responsable, les armes illégales constituent un danger non seulement pour tout projet d’édification de l’État, mais aussi pour l’économie et le développement du pays. Normalement, c’est à l’État de défendre le pays et ses citoyens. La présence d’armes qui échappent à son contrôle affaiblit sa position sur la scène internationale.
De toute façon, ces armes n’ont pas empêché Israël d’effectuer des incursions au Liban-Sud et de contrôler certaines localités frontalières. Elles en ont même été la cause principale.
Le Hezbollah a historiquement utilisé les déclarations ministérielles pour légitimer ses armes en s’appuyant sur le triptyque “peuple, armée, résistance”, invoquant la libération de territoires occupés.
Depuis la guerre de 2006, qu’il avait lui-même provoquée en enlevant deux soldats israéliens à la frontière, il refuse de débattre de la stratégie de défense ou du sort de ses armes. Pourtant, le président du Parlement, Nabih Berry, avait appelé à un dialogue national pendant la vacance présidentielle (2006-2008) visant à faciliter l’élection d’un président et à discuter de questions nationales controversées, y compris la stratégie de défense.
À ce moment-là, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait présenté son projet aux participants, tandis que les autres parties soumettaient leurs propositions par écrit. Cependant, le sujet n’a jamais été débattu en profondeur, ce que Nasrallah a interprété comme une acceptation tacite de sa vision. Depuis, le Hezbollah rejette toute discussion sur ladite stratégie de défense, estimant que les forces politiques ont approuvé sa vision, qu’il applique par conséquent sans restriction aucune, et sans en référer à l’État.
Sous le mandat de l’ancien président Michel Sleiman, une commission nationale de dialogue avait été établie à Baabda, rassemblant les représentants des forces politiques. Un ancien ministre ayant participé à ces dialogues rapporte que M. Sleiman avait distribué à toutes les personnes présentes un projet de stratégie nationale pour discussion, après l’adoption unanime de la déclaration de Baabda. Cependant, cette initiative avait été bloquée lorsque les représentants du Hezbollah et des forces du 8 Mars avaient refusé de participer aux réunions, ce qui avait mené à leur suspension.
Le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, avait alors qualifié la Déclaration de Baabda de nulle et non avenue.
Cette attitude a conduit à une rupture entre le Hezbollah et Sleiman, lorsque ce dernier a qualifié le triptyque du Hezb (peuple, armée, résistance) de “langue de bois”. Le mandat de Michel Sleiman s’est ainsi terminé sans l’adoption d’une stratégie de défense pour encadrer les armes du Hezbollah.
Sous le mandat de Michel Aoun, la commission nationale de dialogue n’a pas été convoquée et la stratégie de défense n’a jamais été mise à l’ordre du jour; le Hezbollah n’avait aucun intérêt à participer à de telles discussions. Le mandat de Michel Aoun a d’ailleurs été marqué par une complaisance sans limites à l’égard de la formation pro-iranienne. Face aux pressions nationales et internationales pour encadrer les armes du Hezbollah et les placer sous l’autorité de l’État, Michel Aoun avait promis, à la veille des élections législatives, que “la stratégie de défense sera discutée après le scrutin et la formation d’un nouveau gouvernement”. Mais il n’a pas honoré cette promesse, justifiant l’absence de débat par le fait que “les paramètres de la stratégie de défense ont changé”. “J'ai étudié la stratégie de défense de manière académique et ce que j’ai proposé auparavant reste valable pour le Liban pour un siècle. Ceux qui abordent la stratégie de défense aujourd’hui cherchent uniquement à désarmer le Hezbollah, dans un but politique, et non dans une logique de défense nationale”, avait-il dit.
Le mandat d’Aoun s’est, lui aussi, achevé sans aucun progrès sur la question.
Après l’ouverture du front de soutien au Hamas et la guerre lancée par Israël qui a décapité le Hezb et détruit 70% de son arsenal militaire, ce dernier a tenté de relancer la discussion sur la stratégie de défense après l’accord de cessez-le-feu. Il a insisté sur le maintien de ses armes sous prétexte de libérer les fermes de Chebaa, les collines de Kfar Chouba et le village de Ghajar.
À la lumière des récents développements au Liban et dans la région, le Hezbollah veut conserver ses armes pour renforcer sa position politique, persuadé que les circonstances pourraient évoluer en sa faveur. Or, c’est loin d’être le cas aujourd’hui. Un diplomate occidental affirme que toute aide au Liban reste conditionnée par les réformes structurelles et le désarmement des groupes armés.
Même au niveau local, de plus en plus d’appels sont lancés pour un désarmement de la formation pro-iranienne. Les forces politiques locales et internationales soulignent que le Liban dispose déjà d’une armée forte qui a fait ses preuves au Liban-Sud face aux agressions israéliennes. Rien ne justifie la présence de groupes armés autonomes, dotés de missiles fournis par des puissances régionales, qui prétendent défendre le pays en agissant au service de puissances extérieures.
Le désarmement inclura également les armes palestiniennes, présentes dans les camps ou ailleurs. Ce dossier sera discuté entre le président Joseph Aoun et son homologue palestinien, Mahmoud Abbas, lors de la prochaine visite de ce dernier au Liban. L’on confirme même que “toutes sortes d’armes illégales, échappant au contrôle de l’État, seront éradiquées”.
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