À bord d’une machine à remonter le temps 
©MAHMOUD ZAYYAT / AFP

Les civils qui ont pris, dimanche, le chemin des villages frontaliers du Liban-Sud, encouragés sans doute en cela par le Hezbollah, ont fait preuve, à n’en point douter, de beaucoup d’audace. Les porte-étendards de la “résistance” présenteront vraisemblablement comme une “victoire” (encore une!) le simple fait que les habitants ont tenté de réintégrer certaines localités en bravant les mises en garde répétées de l’armée israélienne.

Remettre les pieds à Kafar Kila, à Houla ou à Markaba, pour ne citer que quelques exemples, sera brandi comme un exploit. Peut-être… Mais c’est vite oublier que le déclenchement des hostilités par le Hezbollah le 8 octobre 2023 – à l’instigation de Téhéran “pour préserver le régime iranien”, comme l’a clairement souligné le président Emmanuel Macron – avait pour leitmotiv “sur la route de Jérusalem”… Depuis, notre ambition, la “victoire” fièrement affichée, est d’atteindre Khiam et Odeisseh, ou pire encore, de retourner dans la banlieue sud.

Pour dresser une évaluation objective des développements démentiels subis par la population libanaise au cours des derniers mois, depuis ce 8 octobre 2023, faisons un rêve, embarquons dans une machine à remonter le temps… Nous sommes ainsi le 6 octobre 2023. Les habitants du Liban-Sud vivent depuis plus de… 17 ans (plus précisément depuis août 2006) dans le calme total, vaquant normalement à leurs occupations. Sur le plan politique, le Hezbollah bénéficie d’une forte position prépondérante sur l’échiquier local. Mais… le 8 octobre, le “parti de Dieu” déclenche sa petite guerre contre l’État hébreu. Raison invoquée publiquement: venir en aide au Hamas, englué dans un conflit à Gaza. En réalité, il s’agit de servir la raison d’État du régime iranien, comme le précisera par la suite le président Macron.

Le bilan de cette aventure guerrière enclenchée par la tête de pont des Pasdaran au Liban est effarant: assassinat du leader emblématique et charismatique du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et de son successeur présumé Hachem Safieddine; liquidation de la plupart des hauts responsables et d’une bonne partie des miliciens de la formation pro-iranienne; l’infrastructure militaire du parti largement annihilée; destruction totale de dizaines de villages dans la zone méridionale; des centaines de milliers d’habitants forcés de prendre le chemin de l’exode (à défaut de Jérusalem…), le directoire du Hezb n’ayant pas pris la peine de construire le moindre abri pour protéger la population, occupé qu’il était à édifier des dizaines de longs tunnels à des fins exclusivement militaires et à transformer les villages (et l’ensemble du pays, d’ailleurs) en d’immenses entrepôts de missiles, d’armes et de munitions, à l’insu de la population. Un important arsenal dont l’effet dans la confrontation est resté en définitive limité, mais qui a entraîné la destruction massive de centaines d’habitations par l’aviation israélienne un peu partout dans le pays.

Dommages collatéraux, dira-t-on sans doute à Téhéran, l’important étant que le régime des mollahs se dote d’un surcroît de cartes de marchandage dans son bras de fer avec les États-Unis et Israël, sans oublier l’Arabie saoudite. Dans ce contexte, le cas de Gaza est tout aussi édifiant. Pour s’en convaincre, faisons un autre voyage dans le temps… Nous sommes à Gaza le 6 octobre 2023. La population vit à l’ombre d’un calme, certes relatif, mais malgré tout à l’abri des bombardements et des opérations militaires.

Le Hamas règne en maître absolu sur ce territoire palestinien exigu. Jusqu’à la funeste opération du 7 octobre 2023, qui débouche sur un résultat tout aussi effarant que sur la scène libanaise: retour de l’armée israélienne dans toute la bande de Gaza, notamment dans les secteurs névralgiques le long de la frontière avec l’Égypte; liquidation du leadership, des cadres supérieurs et de milliers de miliciens du Hamas, sans compter les énormes pertes en vies humaines au sein de la population; destruction de 80 pour cent des habitations et des infrastructures de Gaza; les civils forcés à errer dans les rues, d’une zone à l’autre, en l’absence (là aussi) d’abris; perte de l’influence politique de la formation palestinienne… Mais qu’importe: le régime des mollahs de Téhéran s’est repositionné en force sur l’échiquier de la région.

Au-delà de ces deux cas spécifiques du Hezbollah et de Hamas, c’est en réalité toute l’histoire du conflit du Proche-Orient qui est jalonnée de la sorte d’occasions perdues, d’aventures guerrières manifestement stériles et de comportements politiques honteusement irrationnels. Un autre voyage dans le temps permettrait d’illustrer l’inqualifiable désastre, le vaste gâchis, qu’ont constitué les 75 ans du conflit israélo-arabe, qui auront été en tous points destructeurs, meurtriers et, surtout, répressifs pour les populations de cette région.  

 

 

 

 

  

Commentaires
  • Aucun commentaire