La remise en cause du droit du sol entreprise par Donald Trump risque, en cas de succès, de remodeler profondément les Etats-Unis, en effaçant un principe fondateur appliqué depuis plus de 150 ans par cette puissance mondiale, selon plusieurs experts.
A peine investi comme 47e président américain, le milliardaire républicain a signé une flopée de décrets majeurs, notamment sur sa priorité absolue: l'immigration.
Le plus frappant d'entre eux ordonne de revenir sur le droit du sol, un principe consacré par le 14e amendement de la constitution américaine.
"Toutes les personnes nées ou naturalisées aux États-Unis, et soumises à leur juridiction, sont citoyens des États-Unis et de l'État dans lequel elles résident", stipule ce texte, ratifié en 1868, dans une Amérique cherchant à se réconcilier après la Guerre de Sécession.
Déjà contesté en justice, ce décret interdirait au gouvernement fédéral de délivrer des passeports, des certificats de citoyenneté ou d'autres documents aux enfants dont la mère séjourne illégalement ou temporairement aux Etats-Unis, et dont le père n'est pas citoyen américain ou résident permanent - titulaire de la fameuse carte verte.
De quoi remettre complètement en cause les fondements de l'Amérique, selon Gil Guerra, analyste du Niskanen Center.
Le droit du sol "a favorisé l'assimilation en donnant aux gens nés ici un sentiment immédiat d'appartenance", rappelle-t-il à l'AFP. "Cela impose également aux enfants d'immigrés la responsabilité de se considérer comme des Américains et d'être patriotes."
Contrairement à d'autres nations plus fragmentées, les Américains sont réputés pour leur attachement à la bannière étoilée, à l'hymne national - chanté avant chaque match de football américain - ou à l'armée et ses vétérans.
Revenir sur le droit du sol pourrait fragiliser la cohésion sociale, selon M. Guerra.
Là où la Russie compose de longue date avec des régions séparatistes, peuplées d'habitants qui n'ont pas le sentiment d'appartenir à la nation, "les États-Unis ont réussi à éviter complètement cela", rappelle-t-il.
"Notre identité politique repose depuis des siècles sur le principe que si vous êtes né aux États-Unis, vous êtes un Américain", insiste-t-il.
Le 14e amendement est "clair comme de l'eau de roche", estime de son côté Aaron Reichlin-Melnick, chercheur au sein de l'American Immigration Council.
Selon lui, la remise en cause du droit du sol ne bouleverserait pas seulement la vie des enfants d'immigrés en situation irrégulière.
"Avant, tout ce dont vous aviez besoin était un acte de naissance prouvant que vous êtes né ici. Maintenant, vous devez présenter de nombreux documents sur votre ascendance et la citoyenneté de vos parents", observe-t-il auprès de l'AFP. "Cela rend la vie de tout le monde plus difficile."
Les partisans de Donald Trump sont souvent angoissés par l'évolution de la démographie aux Etats-Unis. Ils accusent régulièrement les immigrés et leurs enfants de capter des bénéfices sociaux qui devraient selon eux revenir en priorité aux citoyens américains.
Mais cette situation, permise par le droit du sol, bénéficie aussi largement au pays, reprend M. Guerra. L'immigration permet notamment d'avoir suffisamment d'actifs pour financer les programmes de sécurité sociale, et pour répondre aux pénuries de main-d'oeuvre, fréquentes dans des secteurs comme l'agriculture ou le BTP.
Elle permet aussi de compenser un taux de natalité en chute libre, un avantage crucial pour cette superpuissance et son armée.
"Ne pas avoir une population jeune susceptible de servir dans l'armée, en cas de conflit (...) pourrait potentiellement mettre les États-Unis en danger", pointe M. Guerra.
Dès mardi, le décret signé par Donald Trump a été contesté en justice par 22 États américains, dont la Californie et New York. Portée par les démocrates, l'affaire a toutes les chances de remonter jusqu'à la Cour suprême.
Jusqu'ici, les juristes semblaient s'accorder sur le fait que le droit du sol était un principe inaliénable, impossible à remettre en cause.
Mais depuis que la plus haute juridiction du pays dispose d'une majorité de juges conservateurs, façonnée par Donald Trump lors de son précédent mandat, les certitudes absolues n'existent plus.
Le maintien du décret présidentiel par ces magistrats n'est pas une hypothèse "inconcevable, contrairement à ce que j'aurais dit en 2019", a confié au New York Times Amanda Frost, professeur de droit à l'Université de Virginie. "Les choses bougent."
Avec AFP.
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