Une patiente atteinte du VIH a été déclarée en rémission après une greffe de moelle osseuse en 2020, devenant ainsi la première en France et la huitième au monde à guérir de cette infection. Ce cas pave la voie à une nouvelle ère de traitement contre le Sida, bien que cette solution reste, pour le moment, difficilement généralisable à grande échelle.
Une patiente atteinte du syndrome de l'immunodéficience acquise (Sida) a été déclarée en rémission après avoir bénéficié d'une allogreffe de moelle osseuse en 2020, selon un communiqué de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM), publié le vendredi 17 janvier. Ce cas représente la première réussite de ce type en France et la huitième au niveau mondial.
Suivie depuis 1999 pour une séropositivité, la patiente avait développé, il y a quelques années, une leucémie aiguë. Dans le cadre de son traitement, elle avait reçu une greffe de cellules souches dites hématopoïétiques. Ces dernières, responsables de la production des trois principales lignées de cellules sanguines de l’organisme – les globules rouges, les globules blancs et les plaquettes –, ont permis de régénérer le système sanguin de la patiente et ainsi traiter son cancer.
Les examens récents ont également confirmé l’absence de réservoirs viraux, attestant ainsi de sa (probable) guérison de l’infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). Cette nouvelle rémission, un phénomène rare, suscite des espoirs de traitements curatifs pour d’autres personnes vivant avec cette maladie virale.
Une perspective thérapeutique qui demeure néanmoins, à ce jour, très spécifique et difficilement applicable à une population plus large de patients. Alors, qu'est-ce qui explique que cette femme ait pu être guérie du Sida?
Solution généralisable
Afin de mieux saisir cette victoire scientifique, il serait opportun de retracer l'histoire en portant une attention particulière aux détails. Ainsi, après vingt ans de gestion efficace de son Sida grâce au traitement antirétroviral, la patiente a développé une leucémie myéloïde aiguë.
En effet, l'infection par le VIH augmente le risque de complications infectieuses et tumorales chez les individus immunodéprimés. Une greffe de moelle osseuse lui a alors été recommandée, étant la seule option thérapeutique potentiellement curative pour son cancer après l’échec des traitements médicamenteux.
Elle a ainsi reçu une allogreffe provenant d’un donneur porteur d’une mutation génétique bien documentée: CCR5-Δ32. Cette dernière empêche le VIH de pénétrer dans les cellules immunitaires, un mécanisme clé qui, selon plusieurs études, pourrait être lié à la guérison de l’infection. À la suite de la greffe, la patiente a continué de recevoir une thérapie antirétrovirale pendant trois ans, jusqu’à ce que des tests ultrasensibles montrent l'absence totale du virus, suggérant une rémission fonctionnelle complète.
Il convient de souligner, une fois de plus, que cette stratégie ne constitue en aucun cas une solution généralisable. Au contraire, elle représente un défi médical majeur, nécessitant l'identification d'un donneur compatible sur le plan immunogénétique afin de prévenir le rejet.
Par ailleurs, étant donné que moins de 1% de la population présente la mutation protectrice contre le VIH, la probabilité de trouver un donneur compatible porteur de celle-ci est extrêmement faible. En conséquence, la réalisation et la réussite d'une telle greffe demeurent un phénomène rare et difficile à reproduire.
Choix plus large de donneurs
Depuis le premier cas de guérison documenté à Berlin en 2007 avec Timothy Ray Brown, la greffe de cellules souches a suscité un grand intérêt en tant qu'option potentielle pour éradiquer le VIH. Dans la plupart des cas, les donneurs sélectionnés étaient porteurs de deux copies de la mutation CCR5-Δ32, une héritée de la mère et l'autre du père. Ces individus sont alors dits homozygotes.
Cependant, le septième cas de rémission, identifié en juillet 2024, a remis en question cette tendance, le donneur étant porteur d’une seule copie de ladite mutation. Selon les données statistiques en Europe du Nord, la possibilité de retrouver une personne porteuse de CCR5-Δ32 est d’environ 16% pour une copie unique contre 1% pour deux copies.
Ce cas suggère que le nombre de donneurs potentiels pourrait être élargi, la rémission de l’infection par le VIH étant envisageable même avec une forme moins marquée de résistance naturelle au virus. Cette victoire thérapeutique s'ajoute aux cas précédents, comme ceux d'Adam Castillejo, patient de Londres, et de Marc Franke à Düsseldorf, qui ont tous arrêté leur traitement antiviral sans aucune rechute.
Interaction complexe
L’émergence de cas de guérison, dont celui de la patiente de Marseille, met en lumière l'importance potentielle de la mutation CCR5-Δ32. Cependant, les chercheurs estiment qu'il existe probablement plusieurs facteurs en jeu dans la rémission fonctionnelle du VIH. La susceptibilité individuelle des globules blancs (notamment les lymphocytes T), la taille du réservoir viral et la réponse immunitaire spécifique de chaque patient semblent jouer un rôle crucial.
Ainsi, il est possible que les résultats ne soient pas uniquement liés à la mutation, mais plutôt à une interaction complexe entre les différents éléments immunologiques du patient et les caractéristiques du greffon. Des études supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes de rémission, en particulier dans les cas où les donneurs ne possédaient pas la mutation CCR5-Δ32.
Par exemple, en février 2022, des chercheurs ont rapporté le cas d'une patiente séropositive de New York, atteinte de leucémie, qui a reçu une greffe combinée de cellules sanguines de cordon ombilical portant la mutation CCR5-Δ32 et de cellules souches adultes sans cette mutation. Trois ans plus tard, la patiente, qui représente le troisième cas mondial de rémission, ne présentait aucune trace de VIH, et ce, après avoir arrêté son traitement antirétroviral. Les résultats ont été publiés en mars 2023 par Hsu et al. dans la revue Cell.
Cette observation est particulièrement pertinente, car la greffe de cellules souches issues du cordon ombilical n’exige pas une compatibilité parfaite avec le receveur, ce qui la rend plus accessible que les cellules souches provenant de la moelle osseuse.
Manipulation génétique
Ces progrès ravivent l'espoir d'une guérison pour près de quarante millions de personnes vivant avec cette maladie à travers le monde, selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la Santé. Les scientifiques s'accordent à dire que plusieurs facteurs sont probablement en jeu, et une compréhension plus approfondie des mécanismes sous-jacents est essentielle pour pouvoir appliquer ces découvertes à une plus grande échelle.
Toutefois, si la chance de trouver un donneur compatible porteur de CCR5-Δ32 reste rare, certains chercheurs sont allés plus loin en modifiant génétiquement les cellules des donneurs pour y insérer cette mutation. Les “ciseaux moléculaires”, baptisés CRISPR/Cas9, ont été utilisés avec succès pour introduire la modification dans les cellules souches.
Une étude clinique menée par Xu et al., publiée en septembre 2019 dans The New England Journal of Medicine, rapporte le cas d'un patient infecté par le VIH-1 et atteint de leucémie aiguë lymphoblastique, qui a reçu une greffe de moelle osseuse modifiée génétiquement à l’aide de CRISPR/Cas9.
Les cellules du donneur se sont bien intégrées, et le patient est resté en rémission complète de sa leucémie pendant dix-neuf mois après la greffe, période durant laquelle les cellules modifiées ont persisté. Aucun effet secondaire lié à l’édition génétique n’a été observé.
Cependant, cette approche n'a pas été suffisamment efficace pour guérir l'infection par le VIH. Les années à venir seront probablement déterminantes à cet égard. Croisons les doigts!
Commentaires