Un conte de deux Aoun
©Ici Beyrouth

Alors que Joseph Aoun entame son mandat à la présidence de la République libanaise, il hérite de bien plus qu’une fonction: il porte un nom chargé d’un lourd passif. Michel Aoun, son prédécesseur, a marqué l’histoire du Liban comme l’incarnation d’une gouvernance lamentable, allié indéfectible du Hezbollah et de son projet libanicide et exécutant docile des volontés du régime Assad.

Aoun, ou l’anti-Aoun

Avec son discours d’investiture, Joseph Aoun se démarque d’emblée par des promesses audacieuses et une posture réformatrice. À bien des égards, il semble vouloir incarner tout ce que son prédécesseur, Michel Aoun, n’a pas été. 

Là où l’ancien président avait laissé un État éclaté, miné par la corruption et paralysé par des alliances toxiques, le nouveau chef de l’État promet un retour à l’autorité institutionnelle et au respect des lois.

Là où l’allié du Hezbollah voyait une armée faible qui avait besoin du soutien de la milice pro-iranienne, le nouveau président prône le monopole des armes par l’État, pierre angulaire de toute société libérale, et donc civilisée.

Là où Michel Aoun voyait un pays en pleine descente aux enfers, Joseph Aoun y plante les graines d’un nouvel espoir pour les générations futures.

Si Michel Aoun avait choisi de s’aligner sur le Hezbollah sous prétexte de “protéger” la “résistance”, Joseph Aoun adopte une position qui fait de lui le potentiel architecte d’un Liban neutre en refusant d’enfoncer le pays dans des croisades vers Jérusalem via Jounieh.

Le monopole des armes

En adoptant un discours qui tranche radicalement avec celui de son prédécesseur, Joseph Aoun a taclé les pratiques tolérées, voire encouragées sous le mandat de Michel Aoun, en incarnant une vision qui redonne à l'État libanais son rôle central, longtemps éclipsé par des acteurs non étatiques. Ce faisant, il s'attaque à l'un des tabous les plus enracinés du paysage politique libanais: le monopole des armes.

La promesse de convoquer un débat autour d’une stratégie nationale de défense, définissant clairement le rôle exclusif de l’État dans la défense de la nation, est sans précédent dans l’histoire contemporaine du Liban. 

Michel Aoun, malgré son passé de militaire, avait soigneusement évité ce terrain, préférant consolider son alliance avec le Hezbollah, quitte à sacrifier la souveraineté nationale sur l’autel de ce qu’il appelait la “protection de la résistance”.

Joseph Aoun, lui, semble déterminé à briser cette dynamique en affirmant que la sécurité nationale ne peut plus être déléguée à des acteurs qui ont souvent œuvré contre l’intérêt même de l’État.

La fin du clientélisme?

Les engagements de Joseph Aoun, notamment concernant l’indépendance de la justice, la séparation des pouvoirs, la lutte contre la corruption et la fin des “îlots de sécurité”, sont des points sensibles qui font écho aux attentes des Libanais. 

Quant à Michel Aoun, il avait fini par renforcer un système de clientélisme et de privilèges pour son cercle proche (en commençant par son fameux gendre), laissant l’administration publique et le système judiciaire dans un état de délabrement avancé.

Le blocage des nominations judiciaires, mentionné par Joseph Aoun, est emblématique de l’héritage toxique laissé par son prédécesseur.

La Syrie et les relations arabes: un double défi

Le nouveau président a également insisté sur la nécessité de normaliser les relations avec la (nouvelle) Syrie tout en renforçant les liens avec les pays arabes. 

Cela n’est pas sans rappeler certaines contradictions de son prédécesseur. Michel Aoun avait été accusé de sacrifier les relations arabes sur l’autel de son alliance avec le Hezbollah et le régime syrien. 

Joseph Aoun, en revanche, tente de se positionner comme un interlocuteur équilibré, bien qu’il reste à voir comment il gérera ces dossiers délicats.

La tâche colossale qui l’attend

En définitive, Joseph Aoun arrive à Baabda avec un mandat lourd de symbolisme, mais aussi de défis herculéens. Il hérite d’un pays en ruine, d’une économie à genoux et d’un peuple à bout de souffle, surtout après la récente guerre. S’il a promis de tourner la page sur les années Michel Aoun, reste à savoir si son parcours ambitieux ne sera pas entravé par des obstacles importuns, domestiques ou étrangers.

Joseph Aoun a peut-être commencé son mandat avec une vision claire et des idées fermes, mais il marche sur un fil. Entre les attentes des Libanais, les pressions internationales et les résistances internes, il devra prouver qu’il est plus qu’une antithèse de Michel Aoun: il devra être un véritable agent du changement.

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