Une élection présidentielle, pour quoi faire?
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Les observateurs de la scène politique libanaise posent une question tout à fait légitime: à quoi correspond l’élection présidentielle à un stade où la vie institutionnelle est réduite à des simulations et à des faux-semblants derrière lesquels s’abritent des jeux de pouvoir sordides et des gesticulations creuses qui renvoient la vie politique à des rapports de force et à la politique de domination chiite et à ses figurations multiples? L’État de droit et ses enjeux institutionnels servent de leviers à une politique de domination qui avance sans vergogne et de manière ostentatoire.

À la suite de deux années et demie de sabotage délibéré du mandat constitutionnel, les fascismes chiites reprennent l’échéance à leur compte et cherchent à court-circuiter les règles constitutionnelles et consociatives en vue de contrôler le scrutin, d’imposer leur candidat et de déjouer leur responsabilité dans le cadre des crises systémiques et de la guerre destructrice qui ont sapé les fondements mêmes de la République libanaise. Ils opèrent comme si les institutions n’étaient que des courroies de transmission, sans consistance propre, et dont le rôle se réduit à l’octroi d’une légitimité factice à un coup d’État en cours.

La liste des candidats, à elle seule, atteste la désinvolture du mécanisme de sélection, la sournoiserie des délibérations et le caractère éminemment non démocratique du processus électoral. Il s’agit, en somme, de figurants cooptés par Nabih Berry et ses affidés et dont le seul mérite tient à leur degré d’allégeance au potentat qui gère la soi-disant Assemblée nationale comme s’il s’agissait d’un territoire domanial réservé.

Les candidatures n’ont rien de démocratique dans la mesure où elles n’ont aucun caractère représentatif ou délibératif qui permettrait de les valider sur la base de programmes électoraux dûment reconnus; leur seul critère d’éligibilité tient à leur degré de vassalité. On finit par se demander à quoi servirait la prétendue élection qui n’a d’autre rôle que d’entériner des rapports de force et de faire aboutir des politiques de domination.

La trame explicative de l’élection en cours est celle d’instrumentaliser les mandats constitutionnels au service d’une politique putschiste qui cherche à déjouer les effets délétères de la défaite militaire et à renouer avec la stratégie de domination qui a été enrayée par la contre-offensive israélienne. Le contrôle d’un Parlement croupion, entièrement inféodé aux coalitions oligarchiques, étant le passage obligé afin de réhabiliter la prérogative politique, renflouer des politiques faillies, perpétuer la mainmise sur les politiques publiques et sur la diplomatie, tout en sachant qu’aucun des leviers de l’action publique ne peut se justifier à l’aune de l’État de droit et de ses critères d’investiture.

Cela dit, nous refaisons le trajet qui fut à l’origine de la décomposition de l’État libanais, de la défaisance du contrat social et de l’installation du pays dans les interstices d’une guerre civile larvée. Quelle différence feraient des présidentielles qui reproduisent les mêmes blocages institutionnels, reconduisent les conflits intentionnellement soustraits à tout échange et à toute recherche de consensus en vue de mettre fin à des conflits pérennes qui ont mené à l’effondrement de la civilité démocratique et aux emboîtements conflictuels des six dernières décennies?

Les tâches ardues qui attendent tout candidat à la magistrature suprême ne sont pas des moindres dans un pays entièrement délité qui sert de théâtre opérationnel à des conflits par procuration, où les extraterritorialités en tous genres évoluent au gré des politiques de puissance et finissent par asseoir des assises para-institutionnelles concurrentes et réfractaires. Il s’agit nommément de la prégnance des institutions, des attributs de souveraineté et des fonctions régaliennes de l’État. Le Hezbollah se pose en concurrent de l’État, contestant sa légitimité tant historique que constitutionnelle au nom d’une hétéronomie religieuse qui se veut aussi normative qu’opérationnelle.

Les enjeux institutionnels propres de l’élection projetée ne suffisent pas à eux seuls; à défaut d’un encadrement international, le processus électoral peut être délibérément subverti et faussé. Le véritable enjeu est loin d’être institutionnel, il s’agit d’une stratégie de contournement des nouveaux rapports de force induits par la guerre et de récupération de la dynamique putschiste qui a été enrayée. Toute politique d’accommodation avec le Hezbollah se trompe sur les véritables enjeux et finira par rendre impossible la réhabilitation de l’État libanais dans un ordre régional en pleine mutation.

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