Alors que Joseph Aoun semble en pole position, son mandat de commandant en chef de l’armée – un poste de 1ʳᵉ catégorie – l’empêcherait constitutionnellement de se porter candidat à la présidence. En effet, selon l’article 49 de la Loi fondamentale, “les magistrats et les fonctionnaires de la première catégorie, ou son équivalent dans toutes les administrations publiques, établissements publics, et toute autre personne morale de droit public, ne peuvent être élus pendant l’exercice de leur fonction et durant les deux années suivant la date de leur démission ou de la cessation effective de l’exercice de leur fonction ou de leur mise à la retraite”. Or, Joseph Aoun est toujours en fonction et son mandat a été renouvelé pour la seconde fois le 28 novembre dernier.
Pour qu’il puisse être élu, faut-il amender la Constitution? Le Parlement en a-t-il le pouvoir?
La Chambre des députés: la seule détentrice du pouvoir législatif
La révision ou l’amendement d’une Constitution dépend des lois et pratiques en vigueur dans chaque pays. Ces modifications peuvent être simples ou complexes, selon les systèmes constitutionnels.
Par exemple, au Royaume-Uni, qui n’a pas de constitution écrite, mais seulement des principes constitutionnels développés au fil des siècles, le Parlement – composé de la Chambre des communes et de la Chambre des Lords – est souverain et peut légiférer comme il le souhaite. Aux États-Unis, l’amendement de la Constitution est un processus complexe: un amendement doit être proposé par le Congrès (les deux chambres, avec 2/3 des voix dans chaque chambre) ou par les législatures de 2/3 des États qui convoqueront une convention. Cet amendement doit ensuite être ratifié par les 3/4 des États. En France, l’article 89 de la Constitution distingue trois étapes: l’écriture du texte, son vote identique par l’Assemblée nationale et le Sénat, puis son adoption soit par référendum, soit par un vote du Congrès – les deux chambres réunies à Versailles – à la majorité des 3/5ᵉ des suffrages exprimés.
Dans le cas libanais, en l’absence d’un Sénat depuis 1927, le pouvoir législatif est exercé uniquement par la Chambre des députés, comme l’indique l’article 16 de la Constitution. Selon les articles 76 et 77 de la Loi fondamentale, la Constitution peut être révisée sur l’initiative du président de la République ou de la Chambre des députés.
Révision constitutionnelle: procédure libanaise
L'article 76 stipule que la Constitution peut être révisée à l'initiative du président de la République, qui saisit le gouvernement d’un projet de loi constitutionnelle. L’article 77 prévoit que la révision peut également être initiée par la Chambre des députés. Cette révision doit être approuvée par une majorité des deux tiers des députés présents. Si le gouvernement approuve la proposition de la Chambre, il soumettra un projet de loi dans un délai de quatre mois. En cas de désaccord, la Chambre peut insister à la majorité des trois quarts, et le président de la République peut alors accepter la révision ou dissoudre le gouvernement pour organiser de nouvelles élections dans un délai de trois mois.
Lorsqu’un gouvernement est en place et qu’un président est élu, un amendement constitutionnel nécessite un consensus entre les pouvoirs exécutif et législatif. Si un tel consensus n’est pas atteint, le législatif peut passer en force, ce qui peut entraîner la dissolution du Parlement.
Exemples d’amendements antérieurs
En 1995, le mandat du président Elias Hraoui a été prorogé de trois ans par un projet de loi préparé par le gouvernement de Rafic Hariri et voté par le Parlement. En 1998, un amendement à l’article 49 a permis l’élection d’Émile Lahoud, alors commandant en chef de l’armée. En septembre 2004, un autre projet de loi du gouvernement Hariri, soutenu par le régime syrien, a permis de proroger le mandat de Lahoud pour trois ans.
Le blocage des institutions depuis 2006
Avec la fin de l’occupation syrienne en 2005, remplacée par l’influence croissante du Hezbollah, les institutions libanaises se sont effritées. Le président de la Chambre de l’époque, Nabih Berry, a pris en otage le Parlement, refusant de reconnaître le gouvernement de Fouad Siniora et bloquant l’élection présidentielle après la fin du mandat de Lahoud, en 2007. Ce n’est qu’en mai 2008, après les affrontements du Hezbollah à Beyrouth et dans le Mont-Liban, que l’accord de Doha a permis l’élection du commandant de l’armée Michel Sleiman à la présidence.
La jurisprudence Berry-Tabbara
Lors de l’élection de Michel Sleiman, en 2008, plusieurs députés ont souligné l’absence de modification de la Constitution pour permettre l’élection d’un fonctionnaire de 1ʳᵉ catégorie. Le président de la Chambre, Nabih Berry, s’est appuyé sur une étude de l’ancien ministre de la Justice BahijTabbara. Ce dernier estimait qu’en cas de vacance de la présidence, l’élection pouvait se dérouler selon l’article 74 de la Constitution, qui stipule que l’Assemblée se réunisse immédiatement en cas de vacance présidentielle pour élire un nouveau président. Cela permettait de contourner les restrictions d’éligibilité pour un fonctionnaire de 1ʳᵉ catégorie.
Le débat actuel: amender la Constitution pour élire Joseph Aoun
Le débat est toujours d’actualité sur la nécessité d’amender la Constitution pour permettre l’élection de Joseph Aoun. Ses opposants dénoncent l’inconstitutionnalité de la démarche et affirment que la Chambre des députés, en tant que collège électoral, ne peut pas amender la Constitution. Toutefois, certains admettent que le Parlement pourrait se réunir en session législative pour voter des lois en cas de vacance.
Même si la jurisprudence Berry-Tabbara de 2007 n’est pas invoquée cette fois-ci, Joseph Aoun pourrait tout de même être élu. En effet, un amendement constitutionnel nécessite l’approbation de 2/3 des députés, comme le stipule l’article 79. Il suffirait donc à Joseph Aoun, ou à tout autre candidat inéligible, d’obtenir plus de 87 voix pour amender la Constitution avant l’élection, ou d’être élu directement si le Parlement considère que l’obtention de cette majorité de 2/3 revient à un amendement tacite de la Constitution.
Le quorum et les perspectives
Quelle que soit la méthode choisie, tout candidat doit obtenir 87 voix pour que le quorum soit atteint et que l’élection puisse avoir lieu. Il reste à voir si les députés obstructionnistes permettront l’élection d’un président qu’ils ne contrôlent pas, ou si le Liban restera, après le 9 janvier, sous la domination d’une milice, avec des institutions bloquées et une crise présidentielle persistante.
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