En Irak, les autorités resserrent la vis pour étendre l'interdiction de l'alcool
Un homme vend de l'alcool à travers une petite vitrine dans un magasin de Bagdad le 5 décembre 2024. ©AHMAD AL-RUBAYE/AFP

Dans un quartier du centre de Bagdad, une odeur d'humidité et de poussière imprègne les locaux d'un club privé fermé par les autorités pour avoir servi des boissons alcoolisées, dans le cadre d'une répression croissante de la consommation d'alcool en Irak.

Dans ce pays de plus de 45 millions d'habitants, aux confessions et ethnies multiples, la consommation d'alcool demeure un sujet controversé.

Son interdiction, longtemps critiquée par les minorités chrétienne et yazidie, reste impopulaire dans une société conservatrice où une partie de la population, y compris musulmane, continue de consommer de l'alcool.

Adoptée en 2016, une loi interdisant la vente et l'importation d'alcool n'a été appliquée que depuis début 2023.

Son application est restée d'abord partielle, contredisant par exemple une décision gouvernementale de février 2023, qui impose, pour une durée de quatre ans, une taxe douanière de 200 % sur les "boissons alcoolisées importées".

Cependant, ces derniers mois, les autorités ont durci les mesures, soutenues par une majorité parlementaire conservatrice.

En novembre, des clubs privés "sociaux" opérant depuis des décennies à Bagdad ont reçu une lettre officielle leur "interdisant la fabrication et la vente de tous les types de boissons alcoolisées", sous peine de "poursuites judiciaires".

Avant cela, plusieurs autres dizaines d'établissements avaient déjà été contraints de fermer depuis le début de l'année, et leurs propriétaires, souvent yazidis, manifestent régulièrement dans le centre de Bagdad.

En février, un club organisant des tournois de bingo et des soirées musicales a été fermé "parce qu'il servait de l'alcool", affirme à l'AFP un des propriétaires, chrétien, qui a requis l'anonymat.

"Nous avons contacté toutes les instances de l'État, mais personne ne nous a écoutés", déplore-t-il, soulignant que son club "ne dérangeait personne" dans le quartier, désormais quadrillé par les forces de sécurité.

Déserté par ses clients, l'établissement ne compte plus qu'un seul employé pour garder les lieux, où traînent encore des cartes à jouer et des verres sales sur des tables couvertes de poussière.

"Jeu du chat et de la souris"

L'alcool peut toutefois toujours être acheté librement dans la région autonome du Kurdistan ou dans les magasins hors taxes de l'aéroport international de Bagdad.

Dans la capitale, l'alcool peut encore être commandé via des services de livraison ou acheté en cachette auprès de quelques commerces, en apparence fermés.

"Nous jouons au jeu du chat et de la souris avec les autorités", lance un vendeur derrière une petite fenêtre métallique.

Pour continuer à faire tourner leur affaire, l'un des employés d'un magasin vendant de l'alcool joue les guetteurs, fermant la fenêtre à chaque passage de patrouille.

"La société est hypocrite, car les fonctionnaires ferment nos magasins, puis viennent acheter de l'alcool en civil", explique-t-il.

Non loin de là, un club social comptait plus de 50 000 membres, principalement des étrangers, des chrétiens et des yazidis, attirés par le bar de l'établissement, selon l'un des gérants.

Aujourd'hui, "nous n'avons plus de clients", déplore-t-il depuis son bureau surplombant les restaurants vides du club, dénonçant une décision motivée "par des considérations politiques".

Sollicités par l'AFP, des responsables du ministère de l'Intérieur n'ont pas répondu.

En septembre, le porte-parole du ministère de l'Intérieur, le général Miqdad Miri, a expliqué que les autorités fermaient "les bars et les salles de jeux" qu'elles considéraient comme des "foyers de criminalité (...), de gangs, de criminels, de trafiquants d'organes et de meurtriers".

Ce n'est pas la première fois que la question de l'alcool suscite la controverse en Irak.

Ces dernières années, des groupes armés ont attaqué et fait exploser des débits d'alcool, généralement tenus par des chrétiens et des yazidis.

Razaw Salihy, chercheuse sur l'Irak pour Amnesty International, estime que "les politiques de prohibition ont prouvé leur inefficacité" et qu'elles "favorisent souvent la violence et les marchés illégaux".

Mahma Khalil, député yazidi de 58 ans, a déposé, avec trois autres personnes, une plainte contre la constitutionnalité de la loi, mais la justice a rejeté leur requête.

Cette loi a affecté "entre 150 000 et 200 000 Irakiens" travaillant dans des secteurs liés à la vente d'alcool, affirme-t-il, estimant à plusieurs millions de dollars par mois les pertes subies par les entrepreneurs.

"Les grands entrepreneurs yazidis et chrétiens, établis à Bagdad depuis les années 1960, envisagent désormais de quitter la capitale pour l'étranger ou pour la région kurde", affirme-t-il.

"En tant que yazidis, tout comme les chrétiens, nous avons le droit constitutionnel (...) de pratiquer nos coutumes, de vendre, d'importer et de consommer des boissons alcoolisées."

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