Comme partout ailleurs en Syrie, le renversement du régime totalitaire du président Bachar el-Assad a été accueilli avec une joie immense et des célébrations dans la province majoritairement druze de Soueida.
Bien qu'historiquement proches du régime, les druzes, une minorité ésotérique représentant environ 3 à 4% de la population syrienne – majoritairement sunnite et comptant 25 millions d’habitants –, sont restés largement neutres et à l’écart, se contentant de défendre leur région contre les attaques menées contre eux et ce, jusqu’en 2023.
Depuis, et jusqu’au renversement de Bachar el-Assad le 8 décembre, Soueida est devenue le point focal de manifestations antigouvernementales. Ce mouvement de protestation avait surpris, d’autant qu’il intervenait douze ans après le soulèvement de 2011 et qu’il était mené par la communauté druze.
“La majorité des habitants de Soueida vivent dans une pauvreté extrême. La province a été marginalisée pendant des décennies, manquant de services de base”, raconte à Ici Beyrouth Mahmoud, 54 ans, un druze de Soueida.
Il précise que depuis dimanche, avec la chute d’Assad qui a fui le pays alors que les rebelles prenaient le contrôle de Damas, les forces de sécurité du régime n’ont plus aucune présence à Soueida. Le bureau du parti Baas a été également abandonné. Aucun membre de Hay’at Tahrir al-Cham (HTC), le groupe islamiste qui a mené l’offensive rebelle contre Assad, n’est cependant entré dans la province, désormais placée sous le contrôle de groupes armés locaux qui en assurent la sécurité.
“Les groupes locaux, apparus après le début de la guerre civile, sont en train d’être regroupés sous un commandement unique”, souligne Mahmoud, qui utilise un pseudonyme. “Un conseil militaire réunissant des officiers druzes de l’armée à la retraite et des déserteurs a été établi pour gérer la sécurité de la province sous la supervision du cheikh Akl (plus haute autorité religieuse druze) Hikmat al-Hajari”.
“De hauts dignitaires druzes proches du régime ont également prêté allégeance au cheikh al-Hajari”, ajoute-t-il, précisant que les membres druzes du parti Baas et ceux qui occupaient des postes élevés au sein de l’État ont été isolés. Certains avaient même fui Soueida.
Comme la majorité des Syriens, les druzes ont souffert sous le régime d’Assad. Certains ont perdu des proches pendant le soulèvement, tandis que d'autres ont croupi en prison pendant des décennies ou sont toujours portés disparus. La possibilité que ces derniers aient été exécutés ne peut pas être écartée.
Malgré la joie ressentie dans la province druze après la chute d’Assad, l’incertitude quant à ce que réserve l’avenir alimente une certaine appréhension au sein de la population.
“Il y a un sentiment général d’inquiétude et d’anxiété quant à l’avenir, malgré les garanties apportées par HTC concernant la protection des minorités. HTC est un mouvement salafiste, après tout. Ils ont des traditions différentes et les druzes ont leurs propres coutumes: ils ne jeûnent pas, ne font pas le pèlerinage à La Mecque et disposent de leurs propres lieux de culte”, explique Mahmoud.
Il révèle qu’une réunion s’est tenue, il y a deux jours à Damas, entre une délégation des druzes de Soueida et le chef du HTC, Abou Mohammad al-Joulani, qui se fait maintenant appeler par son vrai nom, Ahmad el-Chareh. “Ce fut une rencontre positive et rassurante durant laquelle M. Chareh a souligné l’importance de préserver l’unité nationale et le tissu social de la Syrie. De belles paroles, certes, mais nous avons besoin de voir des actions concrètes”, note-t-il.
Dans les jours qui ont suivi la prise de Damas, Ahmad el-Chareh, un ancien d’Al-Qaïda et du groupe État islamique (EI), se veut le défenseur d’un islamisme politique modéré, du pluralisme et de la tolérance, appelant ses combattants à protéger les institutions officielles, comme les civils.
Cependant, l’appréhension des druzes vis-à-vis des islamistes sunnites est encore plus prononcée dans quatre villages druzes de la zone surveillée par l’ONU dans le Golan, où les troupes israéliennes sont récemment intervenues pour empêcher HTC de se déployer dans la région.
Dans un communiqué, les habitants de Hader et d'autres villes à la frontière israélienne ont appelé l’État hébreu à annexer la région comme il l’a fait avec le Golan: “Au nom de tous à Hader, si nous devons choisir, nous choisirons le moindre mal. Nous voulons être annexés au Golan israélien pour préserver notre dignité.”
À Beyrouth, une réunion extraordinaire de l’Assemblée générale du Conseil communautaire druze a eu lieu mardi pour discuter des développements en Syrie.
Balayant les craintes de l’émergence d’un régime islamiste, le leader druze et ancien chef du Parti socialiste progressiste (PSP), Walid Joumblatt, a salué “la victoire” du peuple syrien, indiquant que les druzes ne peuvent qu’interagir positivement avec la nouvelle administration syrienne.
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