La fatalité syrienne et ses métonymies 
©Ici Beyrouth

La reprise des hostilités en territoire syrien ne fait que marquer le nouveau départ d'un conflit qui n'a jamais discontinué. Le régime d'Assad n'a jamais pu asseoir une légitimité sur la base d'un projet de réconciliation nationale qui aurait permis au régime alaouite de survivre et de réamorcer le dialogue avec les diverses composantes du peuple syrien. Or, il n'en est rien, car le régime syrien n'était en aucun cas dans une posture de réconciliation nationale et de réformes systémiques rendues impératives par l'épilogue incertain de la guerre civile et ses multiples intrications locales et internationales.

Assad, en somme, ne doit sa survie qu'à la double tutelle russo-iranienne qui lui avait permis de perpétuer sa dictature au prix d'un immobilisme, doublement pénalisant, en créant l'illusion d'une fin de guerre qui ne faisait que reproduire les impasses d'une dictature loin d'être concernée par la paix civile, la reconstruction de la Syrie sur de nouvelles bases et le pilotage des réformes mandatées par la cessation des hostilités.

L'éclatement irréversible de la Syrie et son partage devraient bénéficier principalement à la Turquie, aux islamistes djihadistes qui sont à la recherche d’une voie médiane qui leur éviterait les déboires de l’islam militant et ses effets délétères. Alors que la politique expansionniste de l'islamisme chiite se heurte désormais à la contre-offensive du sunnisme militant qui cherche à détruire les plateformes opérationnelles qui se sont installées dans la durée. Le retournement radical qui s'opère en Syrie atteste l'état d'usure du pouvoir syrien, la faillite abyssale de l'après-guerre et l'état de délabrement avancé d'une Syrie qui n'a jamais réussi à mettre sur les rails l'ébauche d'une politique de transition.

Le régime alaouite est resté prisonnier d'une vision politique aussi sectaire que mafieuse qui rendait impossible l'émergence d'une structure étatique autonome et dotée d'une légitimité de principe. L'État syrien n'est que la métonymie d'une politique de domination qui avance sans vergogne. La chute progressive de grandes villes comme Alep, Hama et Homs scelle de manière décisive le partage des territoires syriens entre les islamistes du terrain et le régime islamiste d'Ankara, mettant au défi la mainmise de la République islamique iranienne. Ce qui, en d'autres termes, nous met en phase avec de nouvelles reconfigurations géostratégiques.

Le Proche-Orient poursuit une trajectoire où s'alternent la décomposition et l'affaissement de toutes formes de restructuration étatique, quelles qu'en soient la trame ou la configuration institutionnelle. La dynamique créée par la contre-offensive israélienne a fini par détruire le schéma régulateur “des plateformes opérationnelles intégrées” du régime iranien, qui a été relayé par celui des friches sécuritaires qui ont succédé à la première phase de l'effondrement du système étatique régional. Les projections stratégiques de l'islamisme iranien butent une fois de plus sur les sables mouvants de sociétés segmentaires où les clivages de tous ordres réduisent à néant les chances d'une réglementation négociée des conflits ou de solutions pacifiques faites de réciprocité morale.

La Syrie et les pays du Moyen-Orient
Ce sont désormais des cas d'école qui témoignent de la fragilité des schémas étatiques et de leur prégnance heuristique et opérationnelle. Nous sommes devant des sociétés où la notion d’État évolue entre les variantes du non-État, de l’impossibilité d’État et celle de l’État prédateur qui doit sa survie à la violence, au pillage sectaire et individuel et à la patrimonialisation des ressources de l’État. La Syrie est le parangon où se sont succédé les trois variantes.

La guerre de Sécession en cours redonne perspective au caractère fallacieux de l'hypothèse de fin de guerre, alors qu'aucun des problèmes n'a été non seulement résolu, mais simplement abordé. Nous sommes là devant un cas typique de conflit gelé où les équilibres macrostratégiques tiennent lieu de pendant à l'absence d'équilibres internes.

Nous sommes face à une dynamique de dépècement qui ne débouchera que sur une stasis institutionnalisée, une extension des friches sécuritaires et des politiques d'instrumentation alternées. Assad, en cas de survie, finira par s'accommoder de son statut de caïd régnant sur un domaine où la criminalité organisée et les luttes pour le pouvoir s'articulent au croisement des conflits transversaux. Le schéma syrien finira par déteindre sur l'ensemble de la région et marquera la seconde étape de l'implosion du système étatique au Moyen-Orient.

Les incidences sur le Liban sont directes de par leur impact destructeur sur les possibilités de restructuration étatique, de constitutionnalité de la vie politique et de l'éventualité d'une réconciliation nationale dans un pays où l'extrémisme chiite déborde vers le fascisme et la violence sacralisée. La désintégration de la Syrie est une des figurations de la crise de la modernité arabe où la vie politique ne fait que répercuter les apories de sociétés où les rapports de force, la sauvagerie la plus élémentaire et les dérives d'une religiosité totalitaire nous renvoient aux débridements de la violence, aux politiques de domination et aux guerres civiles institutionnalisées.

La question étatique demeure intacte avec ses enjeux institutionnels, de frontières et de sociabilité politique primaire: arrivera-t-on à des consensus qui se substitueraient aux rapports de force, à la sauvagerie et à l'absence de toute rationalité qui donnerait lieu à la parole échangée, aux solutions négociées et à la diplomatie en vue d'aboutir à des arrangements équitables? Rien n'est moins sûr.

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