Le secteur de la restauration résiste entre tourisme et économie pour un “nouveau Liban”
©Ici Beyrouth

Avant la guerre, soixante compagnies aériennes desservaient Beyrouth, alors qu’aujourd'hui, seule la Middle East Airlines (MEA) maintient ses vols. Bien que les avions de la MEA affichent un taux de remplissage de 80 à 90%, cela ne représente que 20% du trafic des années précédentes, notamment pendant les fêtes de Noël et du Nouvel An. Le marché des voyages vers le Liban a ainsi chuté de 80% en raison de la guerre en cours par rapport aux années précédentes.

Le secteur du tourisme figure parmi les plus touchés à cause d'une “guerre de soutien” dans laquelle il n’a reçu aucun appui, l’État restant une fois de plus absent. C’est donc encore une fois sur le secteur privé que repose la responsabilité de panser les plaies et de compenser les pertes. Le Liban comptait sur une saison touristique prometteuse pour relancer son économie en crise depuis 2019, après avoir généré 5,4 milliards de dollars en revenus touristiques, selon la Banque du Liban (BDL). Or, depuis le déclenchement de la guerre à Gaza, le 7 octobre 2023, et son extension au Liban, l’activité touristique s’est complètement arrêtée.

Parmi les secteurs touristiques les plus touchés par la guerre figurent les restaurants, les cafés, les discothèques et les pâtisseries. En 2022 et 2023, ce secteur avait récupéré 20.000 emplois en provenance du Golfe, après avoir perdu une grande partie de ses cadres à cause de la crise économique qui a frappé le pays en 2019. Il a connu une croissance notable en 2023, avec l’ouverture d’environ 300 nouveaux restaurants et cafés, suivie de près de 100 autres au début de l’année 2024. Ce secteur employait 160.000 Libanais enregistrés à la Sécurité sociale, ainsi que 45.000 travailleurs saisonniers, principalement des étudiants universitaires. Il reste l’un des principaux moteurs pour l’investissement, l’emploi et la contribution fiscale de l’État libanais. 

Cependant, l’intensification du conflit a conduit à l’annulation de leurs vols vers Beyrouth par plusieurs compagnies aériennes, sans compter les appels des ambassades étrangères et arabes exhortant leurs ressortissants à quitter le pays. L’escalade des hostilités et les attaques menées sur Beyrouth et ses environs ont entraîné une chute vertigineuse de l’activité touristique – de plus de 90% –, paralysant ainsi les restaurants et autres établissements.

Le président du Syndicat des propriétaires de restaurants, cafés, discothèques et pâtisseries au Liban, Tony Rami, déclare: “Après cinq années de crises successives et l'absence de réformes, nous avons sombré dans une guerre totale et une économie de guerre, sans ressources ni capacités. Notre priorité est désormais de maintenir en vie le secteur privé et de préserver nos employés et nos cadres professionnels, qui sont nos partenaires dans la production, afin de pouvoir relancer l’économie dès la fin des hostilités, tout en garantissant qualité, excellence et service.”

Et M. Rami d’ajouter: “Les dommages et les pertes ne peuvent être pleinement évalués qu’après la fin de la guerre. En revanche, les pertes actuelles sont estimées à 2 milliards de dollars cette année, contre 6 milliards en 2023, ce qui représente une chute dramatique. Toutefois, il est essentiel de noter que l’économie libanaise est une économie libre, et ces chiffres reflètent la réalité du secteur des restaurants, cafés, discothèques et pâtisseries.”

La période des fêtes, qui représente plus de 35% des revenus touristiques et sur laquelle les employés comptent pour leurs salaires et pourboires, ne pourra malheureusement pas offrir les mêmes perspectives cette année. Il n’y aura pas de grandes fêtes ni de soirées de luxe. Cependant, le syndicat fait de son mieux pour préserver, dans la mesure du possible, un semblant de dynamisme et d’espoir dans les zones sûres du Liban. Et Rami de conclure: “Notre résistance est à la fois touristique et économique.”

En observant la situation des restaurants, on constate que 60 à 70% des établissements du centre-ville de Beyrouth sont fermés. Dans la vallée de la Békaa et le Sud, les établissements sont naturellement paralysés. Toutefois, un léger regain d'activité est perceptible dans des zones touristiques comme Bhamdoun, Antélias et Naccache, offrant ainsi une lueur d'espoir. Rami poursuit: “Nous nous tournons désormais vers l’après-guerre au Liban. Le Liban sera-t-il en mesure de se réinventer? Un Liban stable, tant politiquement que sécuritairement, où le processus de reconstruction et les réformes pourront enfin démarrrer, et où le secteur touristique pourrait vraiment devenir durable. Si une solution politique, permettant l’émergence d’un véritable État ne se profile pas, aucun investissement ne pourra voir le jour et nous nous contenterons de maintenir les établissements restants. Nous aspirons donc à un Liban nouveau, car il le mérite. Un Liban de tourisme durable, qui met en valeur ses quatre saisons, sa beauté naturelle, ses étoiles et sa cuisine renommée à l’échelle mondiale.”

Le secteur touristique a été parmi les premiers à adopter la “dollarisation”, convertissant les salaires des employés en dollars américains afin de préserver le capital humain et intellectuel. Aujourd'hui, les propriétaires d'établissements peuvent couvrir les salaires pendant un ou deux mois au maximum, mais certains risquent de voir leurs revenus réduits, voire de perdre leur emploi, ce qui pourrait entraîner la fermeture de plusieurs établissements. Les activités sont quasi inexistantes et ne suffisent plus à couvrir les coûts, tandis que le pouvoir d'achat des citoyens a chuté, comme en témoigne la baisse des factures. La priorité pour les restaurateurs est de maintenir leurs équipes durant les mois à venir, surtout avec la demande croissante dans les pays du Golfe. Une gestion minutieuse et durable de cette crise est essentielle pour assurer la pérennité des établissements.

La guerre a exacerbé les difficultés des propriétaires d'établissements touristiques dans un pays où le secteur n'a bénéficié d’aucun soutien depuis plus de 20 ans: ni incitations fiscales, ni mesures d'accompagnement face aux crises successives, ni aucune forme d’aide. Ces entreprises ont dû affronter seules les conséquences des guerres, des crises politiques, des manifestations, de l'explosion du port, de la pandémie de la Covid-19 et de la crise économique. Aujourd’hui, les établissements touristiques au Liban luttent pour leur survie, pleinement conscients qu'une fois la guerre terminée, personne ne viendra compenser les pertes engendrées par cette guerre d’usure.

 

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