Guerre et jeunesse: comment les enfants et les adolescents font face aux conflits
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La guerre qui se poursuit au Liban n'épargne personne, du moins sur le plan psychologique. Cela concerne particulièrement les parents, les enfants et les adolescents. Comment les mères parviennent-elles à gérer leurs propres émotions? Et surtout, comment réussissent-elles à apaiser leurs enfants?

De nombreux parents interrogés par Ici Beyrouth, en particulier les mères, affirment ne pas avoir peur ou, du moins, s'efforcent de réprimer leur peur.

Mamans, gestion de la peur, trauma du 4 août et pédagogie

"Étant mère de famille, je ne me permets pas d’avoir peur; du moins, elle est refoulée," confie Caroline, designer et mère de Yasmin, 14 ans, et d’Ella, 12 ans. Pour lutter contre tout sentiment de peur qui pourrait l’assaillir, elle déclare "travailler sans relâche et encadrer énormément ses filles".

Caroline raconte que sa famille a vécu de plein fouet la double explosion du port de Beyrouth en août 2020. Leur appartement a été détruit, et l’une de ses filles a été blessée. "Le trauma du 4 août nous a rendues plus fortes, je pense," a-t-elle révélé.

La designer explique également qu’elle essaie de garder une réaction mesurée et rationnelle. "Nous avons rapidement compris que les frappes étaient ciblées, même si parfois je me dis que nous ne connaissons pas tous nos voisins."

Même son de cloche pour Vanessa, politologue, qui indique qu’avec son conjoint, ils n’ont pas peur parce qu’ils ont vécu "le trauma du 4 août".

Qu’en est-il du jour de l’assassinat de Hassan Nasrallah? "Nous avons gardé notre calme, ce qui a rassuré nos enfants, Karl, 5 ans, et Tatiana, 2 ans et demi", confie-t-elle. Elle avoue cependant que, lors des deux soirs qui ont suivi, "Karl a fait des cauchemars. Avec sa sœur, ils m’ont demandé si les avions allaient détruire la maison". Prenant le taureau par les cornes, elle leur a alors expliqué "qu’il n’y avait pas de risque, car les bombardements sont loin et ciblés".

C’est surtout lorsque Karl lui a demandé pourquoi la rentrée scolaire était reportée qu’elle lui a expliqué "avec des mots simples" ce qu’est la guerre. "C’est quand deux camps différents se battent, et pour éviter de prendre des risques, l’école ferme. Quand ça ira mieux, elle rouvrira", a-t-elle poursuivi, rassurante. Elle lui a aussi montré des vidéos sur YouTube pour expliquer ce qu’est "un avion supersonique". Pour Vanessa, il faut "dire la vérité aux enfants, mais sans trop en parler". Cela a permis qu’ils ne ressentent plus de peur lorsqu’ils entendent un bombardement ou un avion supersonique.

D’autres parents, en revanche, disent avoir eu peur et avoir mis du temps à comprendre ce qui se passait.

C’est le cas de Dima, pharmacienne et mère de jumeaux, Karim et Jean, 11 ans. Elle révèle que lorsque la guerre a été élargie fin septembre à la banlieue sud de Beyrouth, alors qu’avant elle ciblait principalement le Liban-Sud et la Békaa, elle et son époux ont eu "peur et ont décidé de déménager". Quand ils ont compris que leur quartier n’était pas en danger, "nous y sommes retournés", poursuit-elle.

Quant aux jumeaux, la pharmacienne explique qu’“ils n’ont pas la même maturité et leur comportement diffère”.

Pendant la nuit, lorsqu’il y a des bombardements, "Karim, le moins éveillé des deux, vient dormir à côté de moi. Et pendant la journée, il a besoin de ma présence pour se sentir en sécurité, alors qu’en temps normal, il fait seul ses devoirs", confie-t-elle.

Hélène a aussi des jumeaux, Tarek et Thierry, 8 ans. "Tarek était devant la vitre au 30e étage à mes côtés, on se tenait par la main et il a tout vu quand tout a explosé le 4 août", se souvient sa maman. “Cela a bien entendu eu un impact sur son histoire et son angoisse, même s’il essaie de la refouler”, explique-t-elle.

Pourtant, depuis le début de cette guerre, confie Hélène, Tarek dit ne pas avoir peur. Mais parfois, "il sursaute à cause d’un bombardement nocturne et me dit qu’il aimerait dormir près de moi pour se sentir en sécurité, même si durant la journée, il est tout à fait à l’aise". Quant à son jumeau, Thierry, "il est plus en contact avec ses émotions, il reconnaît avoir peur lorsqu’il entend les bombardements; il tremble un peu, a la gorge sèche, et son cœur bat fort. Et lorsqu’on lui demande pourquoi, il répond qu’il pense aux gens qui meurent. Ce qui le rassure, c’est d’être à la montagne ou quand je suis à ses côtés", conclut la maman.

Ils ont demandé de revenir à l’école

En parallèle, de nombreuses écoles, surtout dans le secteur privé, ont rouvert leurs portes, tandis que dans le public, parce qu’elles accueillent un grand nombre de déplacés, elles n’ont pas encore pu toutes le faire.

Parmi ces établissements scolaires, un système hybride d’enseignement a été mis en place, offrant ainsi le choix, explique la pharmacienne. "Au début, les jumeaux étudiaient en ligne, mais lorsque leurs amis sont revenus à l’école, ils ont eu envie d’y retourner. Je les ai alors encouragés à reprendre une vie normale", poursuit-elle. Depuis, "Karim et Jean prennent l’autocar, étudient, jouent au basket dans la cour de récréation avec leurs copains et reprennent une vie plutôt normale", raconte Dima, apaisée.

Karl, le fils de la politologue, a lui aussi repris le chemin de l’école. Un jour, en rentrant à la maison, il a dit à sa maman: "J’ai entendu un boom! C’était où?" Pour le rassurer, Vanessa lui a expliqué que "ces bombes ont explosé dans une région de Beyrouth qui est loin de l’école, qui n’est pas en danger".

De son côté, Caroline explique que ses deux filles ont entendu les frappes à Araya lorsqu’elles étaient en classe. "Les professeurs ont ressenti de la peur alors que Yasmin et Ella essayaient de consoler les autres enfants qui avaient peur", raconte-t-elle.

Témoignages d’adolescents sous le regard rassurant de leurs mamans

Yasmin aura 15 ans dans quelques jours. Depuis le début de cette guerre, elle confie ne pas être "très affectée", même si elle prend des "précautions".

"J’ai juste eu peur lorsqu’il y a eu l’énorme bombe" (qui a tué Nasrallah).

Et qu’a-t-elle ressenti physiquement à ce moment-là ? "J’ai senti que ma peau me brûlait là où j’ai été blessée le jour de l’explosion du 4 août", raconte-t-elle sous le regard rassurant de Caroline. "Mais je savais que c’était mental et pas physique", ce que la jeune fille dit avoir compris par la suite.

En effet, Yasmin a "très gravement" vécu le 4 août; elle a été blessée et a dû se soigner durant des mois. Elle confie avoir eu "des traumatismes énormes". Mais aujourd’hui, quatre ans plus tard, elle va bien, a grandi et fait la part des choses.

Nathalie, 13 ans, dit également ne pas avoir peur. Pourtant, "le son des bombardements me réveille la nuit, et je ne me rendors que quand ça s’arrête", tempère-t-elle, sans se rendre compte que c’est un mécanisme de défense pour se dire qu’elle n’est pas affectée, comme l’explique Sonia, sa maman.

"La guerre a chamboulé ma vie, et ce chamboulement m’a affectée", reconnaît toutefois Yasmin. Elle raconte qu’"en une nuit, avec mes parents, nous avons changé de région et d’appartement. C’est comme si je changeais de vie".

C’est donc une perte de repères que ressentent un bon nombre d’adolescents rencontrés, qui n’ont plus toujours les mêmes activités extrascolaires en raison des mesures de sécurité imposées par la guerre en cours, même lorsqu’ils habitent des régions plutôt sûres.

Des comportements différents entre enfants et adolescents

Selon la psychologue clinicienne et psychologue scolaire Cynthia Samneh, les comportements des enfants et des adolescents "ne sont pas les mêmes en période de guerre". L’enfant ressent la peur "de manière plus directe qu’un adolescent", explique-t-elle.

Quand l’enfant ressent une menace, il "réagit immédiatement sans forcément comprendre la situation. Il peut pleurer, crier ou avoir besoin d’un câlin en se rapprochant de l’adulte pour se sentir protégé", ajoute-t-elle.

Parmi les autres comportements observés, les enfants peuvent "régresser". Celui qui ne suçait plus son pouce, par exemple, va recommencer, et un autre voudra serrer un jouet. Pour Mme Samneh, cela est considéré comme une "zone de confort" pour l’enfant qui n’a pas encore acquis "de stratégie qui le rende plus autonome".

Concernant le comportement des adolescents, la psychologue scolaire l’estime "plus complexe" en raison de leur maturité. "Ils comprennent mieux ce qui se passe, ce qui leur permet de réfléchir aux conséquences possibles. Parfois, ils anticipent et imaginent peut-être le pire", soutient-elle. Cela a pour conséquence de rendre l’adolescent "plus anxieux".

Mais ce dernier opterait pour "cacher sa peur pour ne pas paraître vulnérable" et ainsi "sauver la face". Cependant, ce type de réaction, ajoute Mme Samneh, peut rendre l’adolescent "plus fermé, plus irritable, voire chez certains, plus colérique".

Au niveau des symptômes physiques, les angoisses ressenties par l’adolescent se manifestent notamment par "des tensions musculaires, des maux de tête et de ventre, qu’il cherchera parfois à dissimuler". Mais, contrairement à l’enfant, certains ne se tourneront pas vers leurs parents pour se rassurer.

"Certains adolescents choisiront plutôt leurs amis avec lesquels ils passeront des heures au téléphone à discuter ou à blaguer, ou opteront pour d’autres échappatoires comme faire de la musique ou du sport."

Pour la psychologue clinicienne, c’est ce qu’on appelle des comportements "d’évitement", qui peuvent offrir "momentanément un répit face à l’angoisse ressentie".

Ce qui est certain, c’est que cette guerre en cours affecte tous les enfants et adolescents rencontrés, et surtout leurs parents. Ce qui les taraude tous, c’est "l’instabilité dans laquelle nous vivons", qui rend si impuissant.

*Les noms des enfants, des adolescents et des parents ont été modifiés. De plus, toutes les interviews des enfants et des adolescents se sont déroulées en présence de leurs mères.
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