Mobilisation des dirigeants druzes pour parer à toute éventualité
Des druzes libanais examinent une route endommagée par des frappes aériennes israéliennes, le 3 août 2006, à Rachaya. ©Photo by HASSAN JARAH / AFP

Les forces politiques et communautaires au Liban ne peuvent pas aborder la guerre actuelle avec Israël de la même manière qu’elles l’ont fait avec les conflits précédents, y compris l’invasion de 1982, même si celle-ci avait atteint Beyrouth. Ce conflit pourrait bouleverser les règles d’engagement actuelles entre les composantes communautaires libanaises et établir de nouveaux équilibres. Partant, tous se préparent pour l’après-guerre.

Dans ce contexte, les dirigeants druzes se sont réunis à Baadaran, samedi dernier, initiant leur propre démarche pour accompagner les transformations en cours et à venir. Ils sont convaincus, comme l’a souligné Walid Joumblatt, que la guerre sera longue.

Concrètement, cette réunion jette les bases d’un leadership collectif temporaire pour la communauté, une approche prudente qui mise sur une répartition des rôles et une coordination des actions afin de parvenir à une situation plus stable sans heurts.

Cette démarche est souvent adoptée par les autorités spirituelles et politiques druzes dans les moments critiques. La réunion de Baadaran rappelle ainsi l’union des chefs de la communauté après les événements des 7 et 8 mai 2008, lorsque M. Joumblatt craignait que le Hezbollah ne prenne le contrôle de la montagne. 

À cette époque, les dirigeants avaient mis de côté leurs clivages politiques des camps du 8 et du 14 mars ainsi que leurs rivalités traditionnelles, et M. Joumblatt avait même confié temporairement à Talal Arslan, proche du Hezb, la gestion de la communauté, en attendant jusqu’à ce que la situation s’apaise.

Aujourd’hui, M. Joumblatt a souhaité que cette réunion se tienne dans un lieu symbolique, en dehors de sa résidence de Moukhtara, sous l’égide spirituelle de cheikh Akl Sami Abi el-Mona et autres dignitaires, afin de renforcer la confiance entre les différentes parties.

La question se pose alors de savoir qu’est-ce qui a poussé les dirigeants druzes à se mobiliser et à considérer cette période comme cruciale.  En fait, tout le monde sait quand et comment la guerre israélienne a commencé, mais personne ne peut prévoir quand et comment elle se terminera. 

À ce jour, elle a provoqué le déplacement de centaines de milliers de personnes du Liban-Sud, de la banlieue sud de Beyrouth et de la Békaa vers la montagne et d’autres régions, ainsi que des destructions massives. 

 

Si cette guerre se prolonge, comme le laisse présager le cours des événements, des changements démographiques seront inévitables au Liban. Israël poursuit sa politique de destruction systématique dans certaines régions, aggravant davantage la situation.

Compte tenu des tensions internationales et régionales qui entraveront les aides à la reconstruction des zones détruites, les déplacés pourraient s’établir de façon permanente dans la montagne et d’autres régions. Cela aura certainement des répercussions démographiques et sécuritaires pour le pays. 

Partant, les participants à la réunion de Baadaran ont souligné la nécessité de gérer cette crise avant qu’elle ne dégénère, mettant notamment en garde les membres de la communauté contre la vente de leurs biens immobiliers en cette période. Ils ont également exhorté l’armée et les forces de sécurité à assumer leurs responsabilités pour éviter tout conflit communautaire qui pourrait éclater entre déplacés et populations hôtes. Quelques heures après la réunion et malgré les appels au calme et à la raison, un incident sécuritaire a éclaté à Baakline entre des habitants et des déplacés, mais il a été rapidement contenu. 

On craint cependant que de tels affrontements ne se reproduisent sous la pression des tensions croissantes entre déplacés et hôtes, d’autant plus que des agents provocateurs pourraient exploiter la situation pour susciter des troubles indésirables.

Jusqu’à récemment, M. Joumblatt s’efforçait de prévenir personnellement les frictions entre le Parti socialiste progressiste et le Hezbollah dans certaines zones de la montagne grâce à un réseau de communication préventive. Les comités de coordination entre les deux partis sont mobilisés pour gérer tout problème éventuel. Cependant, les inquiétudes montent face à une crise de déplacés qui s’annonce prolongée, et l’efficacité de ces comités conjoints s’étiole.

Par ailleurs, certains analystes craignent que les campagnes de dénigrement et de méfiance menées par certains membres du Hezb contre leurs adversaires, accompagnées de menaces de représailles après la guerre avec Israël, n’engendrent des tensions supplémentaires. 

Dans ce contexte, l'armée libanaise apparaît comme la seule institution en mesure de contenir une éventuelle sédition. Cependant, les sensibilités politiques de la communauté chiite, majoritairement affiliée au Hezbollah, à l'égard du commandement de l’armée compliquent la situation.

Le danger auquel la communauté druze commence à faire face est également ressenti par les chrétiens et les sunnites. La pression des déplacés se fait également sentir sur les plans démographique, économique et sécuritaire. S’ils ne réagissent pas rapidement en adoptant des mesures similaires à celles des druzes, il deviendra difficile de gérer la situation. 

En effet, le programme de Benyamin Netanyahou pour les mois à venir prévoit une transformation profonde du Moyen-Orient, y compris le Liban. Un tel changement ne pourra se faire facilement, et le prix à payer sera lourd.

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