À deux mois de l’expiration du mandat du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, la même question qui se posait fin 2023 refait surface: réussira-t-on à éviter une vacance à la tête de l’institution militaire, la seule qui demeure opérationnelle dans un pays paralysé et confronté à une profonde crise sécuritaire, politique et économique?
Dans le contexte de guerre actuel et à l’heure où l’État souffre d’un vide institutionnel à plus d’un niveau, le danger guette les forces armées libanaises. Le 10 janvier 2025 devrait normalement marquer le départ à la retraite du numéro un de la Troupe, dont le mandat avait été prorogé une première fois le 15 décembre 2023, soit un mois avant l’expiration de son mandat le 10 janvier 2024.
“Le maintien à leur poste de hauts responsables militaires est crucial pour la stabilité du pays”, soulève un ancien ministre, sous couvert d’anonymat. “Toutefois, ce dossier est en lien avec les rapports de force au sein des principaux partis politiques libanais”, signale-t-il.
Dans le viseur du CPL et du Hezb
À la tête de l’armée libanaise depuis 2017, le général Joseph Aoun a réussi à jouer un rôle central dans le maintien de l’ordre et de la stabilité, dans le cadre d’une conjoncture marquée par des divisions politiques internes, des tensions avec Israël et des vagues massives de déplacements. S’il jouit d’une grande popularité au local et à l’international, il reste celui contre qui le Courant patriotique libre (CPL) mène campagne depuis des années pour des considérations liées aux ambitions présidentielles de son chef, Gebran Bassil. Ce dernier voit dans le chef de la Troupe un rival redoutable.
Farouchement contestée par le parti de Gebran Bassil, la reconduction du général Aoun ne constitue pas non plus une option raisonnable pour le Hezbollah, qui le considère proche des Américains.
La formation pro-iranienne mène depuis quelque temps, notamment depuis l’opération de commando israélienne à Batroun, le 1ᵉʳ novembre, une campagne de dénigrement soutenue contre le commandant en chef de l’armée, à travers ses médias et des réseaux sociaux. Elle lui reproche de n’avoir pas “anticipé” l’enlèvement, par les commandos de la marine israélienne, de Imad Amhaz, un capitaine de la marine civile qui serait impliqué dans un trafic d’armes pour le compte du Hezbollah, via la Syrie. Un moyen pour cette formation de prendre position contre toute prorogation du mandat du général Aoun.
Avec le CPL, la rivalité remonte à longtemps. Elle s’est surtout cristallisée lorsque le leader du parti orange, Gebran Bassil, s’est déchaîné contre le général Joseph Aoun en 2023, alors que son nom était avancé parmi les candidats potentiels à la succession de l’ancien président Michel Aoun. Il l’avait qualifié d’“infidèle”, l’accusant d’irrégularités financières sur les contrats et les adjudications de l’armée, sans donner la preuve de ces accusations gratuites qui relevaient de la diffamation. Il lui avait également reproché d’être “à la merci de l’Occident”, estimant qu’il “ne pouvait en aucun cas être un candidat consensuel à la présidence”.
Il va sans dire que dans l’éventualité d’une prorogation de son mandat, le CPL s’y opposera fermement. Il serait, dit-on, prêt à présenter un recours en invalidation de sa reconduction si cette décision venait à se concrétiser. Un recours en invalidation devant le Conseil constitutionnel si le Parlement vote pour son maintien à la tête de l’armée; un recours devant le Conseil d’État dans l’hypothèse où un décret serait adopté en Conseil des ministres, démarche très peu plausible, étant donné les questions d’ordre politique, mais aussi de fond.
Selon la coutume, le chef de la Troupe devrait être proche du président de la République qui, aujourd’hui, n’existe pas (le poste étant vacant depuis 31 octobre 2022).
Pour le Hezbollah, la situation est plus complexe, en raison de la position que son allié, le président du Parlement, Nabih Berry, prendra à ce sujet. À l’occasion d’un échange récent avec les Forces libanaises (FL) qui ont présenté, le 28 octobre dernier, une proposition de loi prorogeant d’un an (jusqu’en janvier 2026) le mandat du général Aoun, Nabih Berry avait déclaré vouloir “consulter ses députés”. Or, il n’est de secret pour personne que les parlementaires affiliés à M. Berry se plient toujours à ses décisions. En réalité, ce dernier serait, selon une source proche du dossier, dans l’attente du mot d’ordre régional et international pour se prononcer à ce sujet.
La proposition de loi FL s'inscrit dans une logique de stabilité et de continuité au niveau de la direction des forces armées, alors que le Liban traverse une crise multidimensionnelle.
Les FL et leurs alliés estiment, selon une source au sein du parti, que le maintien du chef de la Troupe à son poste est susceptible d’offrir une certaine sécurité politique face à l'incertitude grandissante, surtout qu’il est inconcevable, selon eux, de procéder à des changements en temps de guerre.
Or, ce projet de loi pourrait facilement faire l’objet d’un recours en invalidation, estime-t-on de source parlementaire, puisqu’il ne concerne que le mandat du général Aoun et non de celui de tous les chefs des appareils de sécurité, comme cela avait été le cas en 2023.
Pour contrer cette situation, plusieurs autres blocs, notamment ceux du Renouveau et de la Modération nationale mènent des tractations pour présenter dans les jours qui viennent un projet de loi plus général. Celui-ci porterait sur la prorogation pour une durée de deux ans des mandats de tous les chefs des appareils de sécurité, y compris celui des forces régulières. Une démarche à laquelle ne s’opposeront pas les FL.
Si à Aïn el-Tiné, on ne s’est pas encore prononcé sur la question, en attendant peut-être que les autres propositions de loi soient soumises au Parlement, il n’en demeure pas moins que tout tend à aller dans le sens d’une prorogation des différents mandats susmentionnés, afin d’éviter une plus grande vacance au sein des institutions de l’État.
Le maintien des responsables militaires et sécuritaires à leurs postes s’avère nécessaire, alors que le Liban traverse une zone de fortes turbulences et que la stabilité au niveau des différents appareils militaires est indispensable pour préserver la stabilité dans le pays.
D’autant plus qu’entre le 15 et le 20 novembre prochains, la visite d’un responsable américain est attendue, avec pour objectif principal le renforcement du soutien à l’armée libanaise et la nécessité d’appliquer la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies.
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