Poliomyélite: l’éradication avortée d’une maladie évitable
Une jeune fille indienne reçoit une dose de vaccin oral contre la polio administrée par un professionnel de santé formé. ©CDC

Le 24 octobre a marqué la Journée internationale de la poliomyélite. Une nouvelle année s'écoule sans que l'éradication de cette maladie soit réalisée. La résurgence inquiétante des cas, en particulier en Afghanistan et au Pakistan, se poursuit avec la circulation du poliovirus sauvage. Parallèlement, des cas de poliovirus circulant dérivé d'une souche vaccinale suscitent de plus en plus des préoccupations, notamment à Gaza et en Indonésie.

La poliomyélite, communément appelée polio, est une maladie virale causée par le poliovirus qui envahit le système nerveux. Sa transmission se fait essentiellement par l'eau ou les aliments contaminés. Hautement contagieuse, cette pathologie touche principalement les enfants non vaccinés de moins de cinq ans, entraînant des symptômes allant de légères fièvres à des paralysies irréversibles des membres, voire la mort. Malgré des efforts mondiaux significatifs, la polio n’a pas encore été complètement éradiquée. Actuellement, seul le poliovirus sauvage de type 1 continue de circuler, et ce, uniquement dans les deux derniers pays endémiques: l'Afghanistan et le Pakistan. Au cours des trois dernières années, le monde était proche d'endiguer la transmission de ce virus, avec respectivement 5, 22 et 12 cas recensés, dans ces deux pays, en 2021, 2022 et 2023. Cependant, en 2024, une résurgence des cas a été observée, avec 62 infections enregistrées, remettant en question les progrès réalisés jusqu’alors. À l'occasion de la Journée internationale de la poliomyélite, célébrée le 24 octobre, un retour sur l'évolution de la lutte contre cette maladie s'impose.

Victoire inachevée

Tout commence au début des années 1950, lorsque Jonas Salk développe un potentiel vaccin antipoliomyélitique inactivé, et donc préparé à partir d’un poliovirus tué. Il l’administre à plusieurs volontaires, y compris à lui-même et à sa famille. En 1954, Salk lance une étude à grande échelle, impliquant plus d'un million d'enfants, et le 12 avril 1955, il annonce des résultats concluants: le vaccin est à la fois sûr et efficace. En cette année, les États-Unis recensent environ 29.000 cas de polio. Deux ans plus tard, avec la production et le déploiement du vaccin, ce nombre diminue significativement, tombant à moins de 6.000 cas. Le vaccin Salk sera adopté dans 90 pays en 1959. Ce premier succès est suivi par le développement d’un vaccin oral, vivant atténué cette fois-ci, par Albert Sabin en 1961. Cette méthode d'administration, à la fois rapide et efficace, permet alors de réduire drastiquement le nombre de cas à l'échelle mondiale. L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) intensifie ses efforts, en 1988, en lançant l'Initiative mondiale pour l'éradication de la poliomyélite, avec pour objectif l'an 2000. Bien que des avancées significatives aient été réalisées, cet objectif demeure inachevé, en raison de multiples obstacles.

Fausse campagne de vaccination

Divers facteurs complexes ont contribué à la résurgence sporadique des cas dans plusieurs régions du monde. Parmi les principaux obstacles figurent les résistances communautaires, particulièrement prononcées dans des pays tels que le Nigéria et le Pakistan. Des campagnes de désinformation ont véhiculé de fausses croyances selon lesquelles les vaccins seraient une manœuvre occidentale visant à provoquer la stérilité dans leurs pays. Ces allégations ont renforcé la méfiance envers les programmes de vaccination, compromettant ainsi les efforts déployés. Par ailleurs, une fausse campagne de vaccination contre l’hépatite B à Abbottabad au Pakistan, orchestrée par la CIA dans le but de collecter l'ADN de proches d’Oussama ben Laden avant son élimination en 2011, a eu des répercussions désastreuses. Dès lors, les programmes de vaccination ont été perçus comme des couvertures pour des opérations d'espionnage, rendant difficile l'accès des agents de santé à certaines zones et entraînant des attaques contre des médecins. Certains y ont même perdu la vie. Ces événements ont conduit à l'interruption des campagnes de vaccination soutenues par l'ONU, privant des millions d'enfants d'une protection essentielle au Pakistan mais aussi en Afghanistan, en Syrie et en Iraq.

Couverture vaccinale et surveillance

Les conflits armés et l’instabilité politique ont également entravé les efforts d’éradication de la polio. Le 23 octobre 2024, l'OMS a annoncé le report d'une campagne de vaccination contre cette maladie dans le nord de Gaza en raison des “bombardements intensifs” menés par l'armée israélienne, alors qu’un cas positif avait été signalé. Le premier en vingt-cinq ans. En outre, la couverture vaccinale varie considérablement à l’échelle mondiale. Dans des régions reculées ou du moins vulnérables (comme l'Afrique subsaharienne, certains pays de l'Asie du Sud et de l'Amérique latine), l'accès aux soins constitue jusqu’à présent un défi logistique majeur. Les infrastructures sanitaires y sont souvent inadéquates pour permettre la mise en œuvre de campagnes de vaccination efficaces. La gestion de la chaîne du froid, essentielle pour la conservation des vaccins à des températures adéquates, est fréquemment compromise. Dans d’autres pays, le manque de personnel médical et les défaillances de la surveillance épidémiologique ralentissent la réponse aux résurgences de la maladie, facilitant la propagation du virus avant la mise en place de mesures correctives.

Poliovirus dérivé de vaccin

La poliomyélite peut exceptionnellement résulter du vaccin oral lui-même. En effet, le poliovirus dérivé d'une souche vaccinale (PVDV) circule de manière similaire au poliovirus sauvage. Lorsqu'une personne reçoit le vaccin oral, le virus atténué se multiplie dans l'intestin. Il est ensuite excrété dans les selles. Dans des environnements où les conditions sanitaires sont déficientes et où la couverture vaccinale est insuffisante, ce virus peut se propager par la contamination de l'eau ou des aliments. Au fil du temps, lorsque le virus atténué circule au sein de populations insuffisamment immunisées, il peut accumuler des mutations génétiques, lui permettant éventuellement de regagner sa virulence. Entre janvier 2023 et juin 2024, 74 flambées de PVDV ont été signalées, totalisant 672 cas de poliomyélite confirmés dans 39 pays ou zones, selon des données publiées par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies aux États-Unis. Il faut savoir que chacun des deux types de vaccins (inactivé ou vivant atténué) présentent des avantages et des inconvénients, des risques et des chances. Le choix du vaccin dépend des contextes épidémiologiques, des objectifs de santé publique et des ressources disponibles.

En somme, l’éradication de la poliomyélite a connu des avancées majeures, mais elle demeure un défi mondial complexe. Des obstacles politiques, logistiques et financiers ont entravé cette ambition. Pour parvenir à l’élimination totale de cette maladie évitable, il est crucial de renforcer les systèmes de santé, d’améliorer la couverture vaccinale et de lutter contre la désinformation. L’avenir de la lutte contre la polio dépendra d’une mobilisation internationale durable et d’une coordination étroite avec les populations locales.

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