Les mouvements étudiants à Science Po: répétition des erreurs idéologiques
Le campus de Sciences Po Paris ©www.sciencespo.fr

L'Histoire, telle une symphonie aux motifs récurrents, nous offre le spectacle fascinant, et parfois tragique, des erreurs humaines qui se répètent à travers les générations. Les mouvements étudiants, portés par leur fougue idéaliste et leur soif de justice, illustrent avec une acuité particulière cette propension à répéter les errements du passé, à succomber aux sirènes des idéologies, à confondre l'engagement sincère avec l'aveuglement dogmatique. Des rêves maoïstes des années 1960 au soutien actuel, parfois inconditionnel, à la cause palestinienne, un fil ténu – mais combien significatif – relie ces deux moments de l’histoire étudiante. Un fil tissé d'illusions généreuses, de simplifications dangereuses, d'une incapacité à saisir les nuances du réel et, finalement, d’une tragique déconnexion avec la complexité du monde.

Étudiants des années 1960 : ferveur maoïste et idéologie binaire

L'étudiant des années 1960, souvent issu d'un milieu bourgeois en rupture avec les valeurs de sa classe – bercé par les promesses d'un monde meilleur incarné par la pensée de Mao Zedong – embrasse l’idéologie maoïste avec une ferveur quasi-religieuse. Le Petit livre rouge véritable talisman d’une époque, brandit comme un étendard lors des manifestations étudiantes, lui offre des réponses simples et tranchées à des questions d’une infinie complexité. Le monde, vu à travers le prisme déformant de l’idéologie, se divise alors en blocs monolithiques : le camp du bien contre celui du mal, le prolétariat contre la bourgeoisie, l’Est contre l’Ouest. La réalité, infiniment plus nuancée, est brutalement simplifiée, réduite à un schéma binaire qui exclut toute forme de dialogue, toute possibilité de compromis. La nuance, – ce luxe de la pensée critique, cette exigence de la confrontation au réel dans toute sa complexité –, est perçue comme une faiblesse, voire une trahison. L’ennemi est clairement identifié, diabolisé ; la violence, – verbale ou physique –, apparaît comme un moyen légitime, voire nécessaire, pour atteindre le but ultime : la Révolution. Hannah Arendt, avec la lucidité prophétique qui caractérise son œuvre, mettait déjà en garde contre le danger d’une "pensée sans rampe", une pensée qui renonce à s’arrimer au réel, préférant les hauteurs vertigineuses mais illusoires des abstractions idéologiques. Cette "pensée sans rampe" – dangereusement coupée du monde sensible, du terreau concret de l'expérience humaine –, conduit inévitablement à des impasses politiques et morales, comme en témoigne la trajectoire tragique de nombreux mouvements révolutionnaires.

Étudiants et cause palestinienne : répétition des erreurs idéologiques passées

Aujourd’hui, dans un contexte géopolitique radicalement différent, un phénomène analogue se dessine dans le soutien inconditionnel apporté par certains étudiants des plus grandes universités mondiales à la cause palestinienne, et en particulier Sciences Po et La Sorbonne. La souffrance d’un peuple, – souffrance réelle et documentée –, l'injustice flagrante des situations vécues quotidiennement, suscitent, à juste titre, l’indignation et l’empathie. Le désir de justice, la volonté de défendre une cause qui apparaît comme noble et légitime, sont des moteurs puissants de l’engagement étudiant. Pourtant – et c’est là que le parallèle avec les étudiants maoïstes devient saisissant – la complexité du conflit israélo-palestinien, enchevêtrement inextricable d’histoires douloureuses, de revendications légitimes mais contradictoires, de narratifs conflictuels, exige plus qu’une adhésion émotionnelle, plus qu’une indignation légitime. Elle réclame, comme l'exigeait déjà Hannah Arendt face à la montée des totalitarismes au XXe siècle, un effort constant de compréhension, de contextualisation, de nuance. La pensée critique, ici encore, fait cruellement défaut. Les étudiants, animés sans doute des meilleures intentions – et parfois instrumentalisés par des forces politiques ou des leaders hystériques qui exploitent leur idéalisme – s’enferment dans une vision manichéenne du conflit, réduisant la complexité multiforme du réel à un schéma binaire, – oppresseurs contre opprimés – occultant les nuances essentielles, les responsabilités partagées, la tragique dimension humaine qui se joue des deux côtés du conflit. L’État d’Israël, démonisé et caricaturé, devient la cible de toutes les critiques, l’incarnation du mal absolu, tandis que la cause palestinienne est idéalisée, débarrassée de ses ambiguïtés et de ses contradictions. Le dialogue, condition sine qua non de toute résolution pacifique du conflit, devient derechef impossible.

La réflexion critique est essentielle face aux idéologies simplificatrices

Le danger, comme le soulignait Hannah Arendt dans son analyse pénétrante des Origines du totalitarisme, réside dans la simplification outrancière du réel, dans le refus d’admettre la pluralité des perspectives, dans la construction d’un ennemi unique et absolu. L’idéologie, quel que soit son "camp", offre le réconfort illusoire de certitudes absolues dans un monde incertain. Elle fournit des réponses toutes faites à des questions infiniment complexes, elle dispense de l’effort intellectuel, toujours exigeant de la pensée critique. Or, cet abandon du jugement, ce refus de penser par soi-même, – ce que Kant appelait "l’incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui" – ouvre la voie aux pires dérives. L’individu, dépossédé de sa faculté de discernement, devient un simple instrument au service d’une cause qui le dépasse, un rouage d’une machine idéologique dont il ignore les finalités ultimes. Il risque alors, sans même en avoir conscience, de reproduire les schémas mêmes de violence et d’oppression qu’il entend combattre. L’histoire des mouvements étudiants, des dérives maoïstes au soutien parfois aveugle à la cause palestinienne, est une illustration poignante de cette dialectique perverse.

Ils seront les décideurs, les leaders, les élites de demain. Et face à ce constat, nous avons de quoi frémir. Car si l’Histoire peut éclairer le chemin, elle peut aussi projeter les erreurs du passé sur l’avenir. L’université, lieu par excellence de la formation intellectuelle, de la transmission du savoir et de l’apprentissage de l’esprit critique, a un rôle crucial, – presque un devoir sacré –, à jouer afin d’éviter que les errements idéologiques, les illusions simplificatrices, les engagements aveugles qui ont marqué certaines générations d’étudiants ne se reproduisent. Il ne s’agit pas d’inculquer des dogmes, des vérités remâchées, de dicter aux étudiants quoi penser – ce serait reproduire le schéma même de l’endoctrinement que nous dénonçons. Il s’agit, au contraire, de leur apprendre comment penser, de leur fournir les outils intellectuels nécessaires pour décrypter la complexité du monde, pour naviguer dans l’océan tumultueux des informations contradictoires, pour distinguer le vrai du faux, l’authentique de l’artificiel, pour résister aux sirènes des manipulations idéologiques, aux chants envoûtants mais trompeurs des discours simplistes véhiculés dans l’immédiateté par les réseaux sociaux. Si les élites émergentes négligent la pensée critique, alors notre société pourrait se muer en une ombre déchue du passé. Mais n’est-ce pas déjà trop tard…

 

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