Godard, le voleur de feu du cinéma français
©Jean-Luc Godard a reçu un César d'honneur lors de la 23e cérémonie des César, le 28 février 1998 au Théâtre des Champs-Élysées à Paris. (AFP)
Né en 1930 à Paris, Jean-Luc Godard est mort aujourd’hui à Rolle, en Suisse. Âgé de 91 ans, il aurait choisi le suicide assisté pratiqué en Suisse, selon le quotidien français Libération. Jean-Luc Godard est le géant incontestable du cinéma français. Scénariste, réalisateur, dialoguiste, producteur et écrivain, il portait plusieurs casquettes et ses films souvent iconoclastes ont révolutionné le septième art. Multi récompensé à travers le monde, il a obtenu deux Césars d'honneur en 1987 et en 1998, un Oscar d'honneur en 2010 pour l'ensemble de son œuvre, plusieurs Lions d’or à la Mostra de Venise et un Ours d’or et deux d’argent lors de ses diverses participations à la Berlinale. La dernière récompense, la Palme d'or spéciale, lui a été décernée en 2018 pour Le Livre d'image et pour son œuvre entière au festival de Cannes.

"A bout de souffle" avec Jean Paul Belmondo et Jean Seberg

Il a volé très haut et il a volé tout court

Depuis son adolescence, celui qui allait voler très haut, volait tout court. Autant il a été capable de génie, autant il a été également capable de délits. Jean-Luc Godard était kleptomane. A-t-il essayé de voler à la vie ce qu'elle ne lui a pas donné? Parmi les traumas vécus, son père médecin atteint de la maladie de Charcot, les différends qui éclatent dans la famille, la séparation de ses parents… Sa mère qui appartenait à une famille  de la haute bourgeoisie et qui, dans la tension mal gérée, a préféré retourner chez ses parents.  Godard déménage et échoue au bac deux fois. Il commence à fréquenter les ciné-clubs et la cinémathèque française. Son premier long métrage, «À bout de souffle», avec Jean-Paul Belmondo, inaugure cette nouvelle vague qui plaît autant au public qu’à la critique (1960). Il se démarque par l'emploi inconditionnel des citations littéraires et même philosophiques, musicales, artistiques et historiques.

Le nombre trois semble baliser sa vie et son parcours sentimental. Il voit le jour un 3 décembre, meurt ce 13 septembre et eut pour compagnes trois femmes portant le prénom d’Anne: Anna Karina qu'il épouse en 1961 et dont il divorce trois ans plus tard, Anne Wiazemsky, qu'il épouse en 1967 et dont il divorce en 1970, et Anne-Marie Mieville, qui partageait sa vie depuis 1971.

"Le Mépris" avec Brigitte Bardot et Michel Piccoli

Ses films sont les enfants qu’il n’a pas eus

Les films de Jean-Luc Godard ont connu des succès publics fulgurants, comme Le Mépris, en 1963, qui réunit deux monstres sacrés du cinéma français, Michel Piccoli et Brigitte Bardot, celle qui a incarné l’esprit soixante-huitard mieux que Simone de Beauvoir, comme l’affirme Michel Onfray. Le film est une adaptation du roman d’Alberto Moravia. Camille (Brigitte Bardot) est mariée au scénariste Paul Javal (Michel Piccoli). Elle part avec lui à Capri. Son mari est chargé de reprendre et d’achever le scénario d’un film joué à la villa Malaparte et inspiré de l’Odyssée. Paul encourage sa sculpturale épouse à rester seule avec le producteur. Celle-ci est complètement outrée. Elle voit d’un mauvais œil la réaction de son mari qu’elle interprète comme une faiblesse, voire une sorte de soumission devant le pouvoir matériel, d’où le titre évocateur du film. Mais les producteurs exigent de voir le «cul» de Bardot sous peine de ne pas payer la somme restante. Godard détourne la commande par le tournage de la scène culte du film: «Tu les aimes mes fesses, mes seins, mes pieds», en voilant le corps de la vedette par des filtres colorés (rouge, blanc et bleu), couleurs primaires qui vont marquer ses films de son empreinte spéciale. Jean-Louis Boris commente ainsi le film: «Le véritable Et Dieu créa la femme, c’est Godard qui l’a tourné, et ça s’appelle Le Mépris.»

Le Mépris

Au bout de souffle, sorti en 1960, raconte l’histoire d’un délinquant qui devient criminel. Michel Poincard (Jean-Paul Belmondo) vole une voiture pour se rendre à Paris. Sur la route, il est pris en chasse par des policiers et en abat un avec un revolver trouvé dans le véhicule. À Paris, il retrouve Patricia Franchini (Jean Seberg), une étudiante américaine avec qui il a une liaison. Mais la police retrouve sa trace et Patricia finit par le trahir pour l’obliger à la quitter. Le film se termine sur l’obstination de l’antihéros à rester auprès d’elle au risque de sa vie. Dans la dernière scène, on le voit s’écrouler sous les balles du policier en murmurant «dégueulasse» en allusion à l’amour ou à la vie alors qu’il avait joué sa vie à bout de souffle. Godard confie la musique du générique au pianiste de Jazz Martial Solal en insistant sur la seule utilisation d’un banjo. Raymond Cauchetier, photographe de plateau raconte Godard en ces termes: «Avec lui tout était improvisé ou presque […] Godard écrivait ses dialogues sur une table de bistrot, soufflait leur texte aux comédiens pendant les prises et arrêtait le tournage quand il n’avait plus d’idées. Le délire complet pour les tenants du cinéma classique».

En mai 1968, Godard privilégie les opinions très tranchées sur la politique et défend la position palestinienne, ce qui lui vaut une réputation d'antisémite. Il essaie avec Jean-Pierre Gorin de se lancer dans le cinéma politique sous le pseudonyme collectif de «Dziga Vertov».


Le Livre d’image, sélectionné au festival de Cannes 2018,  reçoit une Palme d’or spéciale, une première dans l’Histoire du cinéma. Le dernier film de Godard représente par excellence l’art des collages, des montages d’emprunts tirés d’autres films, de documentation de fragments littéraires et musicaux. Il met l’accent sur l’irréversible répétition des guerres qualifiées de «divines» et les conflits calamiteux qui ont scandé l’Histoire. Godard se focalise également sur le thème du Moyen-Orient. Toute civilisation est fondée sur un génocide: «C’est une brève histoire que celle de l’extinction en masse des espèces».

Durant cette soixante-onzième édition du festival de Cannes, Jean- Luc Godard a répondu aux questions des journalistes, lors d'une conférence de presse via Face time. Interrogé sur le Moyen- Orient, il aurait déclaré d'après un entretien rapporté par Paris Match, qu'il " ne s'intéresse qu'aux faits. Non seulement ce qui se fait mais ce qui ne se fait pas. Ce qui ne se fait pas aboutit à une catastrophe". Inspiré comme il le dit d'un roman d'Albert Cossery, il a voulu exprimer" comment les Arabes s'occupent d'eux- mêmes et n'ont pas besoin des autres. Ils ont inventé l'écriture , ont du pétrole, si jamais il en faut". Belle allusion en filigrane à nos ancêtres phéniciens, inventeurs de l'alphabet.

Réactions en France et en Suisse

Sur Twitter, des personnalités françaises ont salué la mémoire de cet homme d’exception.

«Ce fut comme une apparition dans le cinéma français. Puis il devint un maître. Jean-Luc Godard, le plus iconoclaste des cinéastes de la Nouvelle Vague, avait inventé un art résolument moderne, intensément libre. Nous perdons un trésor national, un regard de génie», a écrit le président français, Emmanuel Macron.

«Et Godard créa Le Mépris et c’est à bout de souffle qu’il a rejoint le firmament des derniers grands créateurs d’étoiles», a commenté pour sa part l’ancienne actrice Brigitte Bardot.

«Le cinéma n’est pas à l’abri du temps. Il est l’abri du temps. Jean-Luc Godard 1930-2022», a cité La cinémathèque suisse.

"Le Picasso du cinéma français s'en est allé, laissant le cinéma mondial orphelin. Avec ses fulgurances et ses intuitions en avance sur son temps, il a joué avec les mots, les images et les couleurs. Il improvisait des films- jalons, obscurs et séduisants" Gilles Jacob, l’ancien président du festival de Cannes.





 
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