La présidentielle libanaise : une échéance aux multiples enjeux
L’escalade verbale du secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah au sujet de la délimitation des frontières maritimes avec Israël a beau incité les acteurs locaux et internationaux à se perdre en conjectures sur la possibilité d’une guerre régionale, elle n’a pas réussi à occulter le dossier de la présidentielle. Celui-ci reste au centre de tous les intérêts dans les cercles publics ou privés, d’autant que d’autres échéances, comme la formation d’un nouveau gouvernement, en sont, bon gré mal gré, tributaires. La mise en place d’une nouvelle équipe ministérielle se trouve ainsi suspendue parce que certains croient que la priorité va à l’élection d’un nouveau chef de l’État qui déterminera le rapport de forces et fixera le cap pour les six années à venir.

D’aucuns considèrent que l'on se dirige inéluctablement vers un vide présidentiel qui serait le résultat du bouillonnement et des bras-de-fer internationaux et régionaux, alors que d’autres écartent le spectre d’un vide, en jugeant difficile une réédition du scénario de 2016. Et pour cause : aucune partie ne pourra assumer les conséquences d’un blocage de la présidentielle, quels qu’en soient les motifs, à l’ère du « grand effondrement ».

Quoi qu’il en soit, avec l’approche de l’échéance présidentielle début septembre, les forces politiques se trouvent contraintes de s’y préparer et de faire leur choix, même si elles ne le dévoilent pas, en attendant que leurs adversaires franchissent le pas en premier.

Dans ce contexte, l’activité constatée dans les milieux proches du Hezbollah montre que ceux-ci tendent à soutenir la candidature du chef des Marada, Sleiman Frangié, à la tête de l’Etat. Même le chef du Courant patriotique libre (CPL), Gebran Bassil, l’envisagerait sérieusement à condition bien entendu que le Hezbollah s’engage à soutenir sa candidature en 2028. En revanche, la position des forces opposées au Hezbollah reste nébuleuse, bien que celles-ci soient parfaitement conscientes du fait que leur incapacité à s’entendre sur un candidat confortera grandement les chances de M. Frangié à accéder à la Magistrature suprême. Le cas échéant, ce sera un échec retentissant de plus à mettre à l’actif de l’opposition qui a manqué toutes les échéances successives aux législatives, qui leur avaient pourtant octroyé une majorité au sein du nouveau Parlement.

De source politique, on indique qu’il faudra attendre les retombées de la tournée régionale du président américain, Joe Biden, et l’évolution du dossier de la délimitation de la frontière maritime pour pouvoir se faire une idée de l’orientation que prendra la présidentielle. «Si la tension augmente dans la région, le pays fera face à une impasse dans les négociations et la région sera exposée à plusieurs scenarii probables, dont la guerre», estime la source précitée. «Si un compromis était atteint, le Hezbollah se montrera alors plus ouvert s'agissant du dossier de la présidentielle et optera pour une figure consensuelle s’il n’arrive pas à placer son candidat», poursuit la même source.

Selon certaines informations, les ambassadeurs concernés par le dossier libanais tentent de s’enquérir sur le choix du candidat «favori» auprès des parties prenantes. De prime abord, les regards se tournent vers le patriarcat maronite à Bkerké qui dispose d’une liste de candidats. Cependant, le patriarche Béchara Raï s’est contenté d’évoquer le profil des candidats sans avancer de noms.

D’aucuns estiment que Bkerké opterait pour un candidat indépendant qui ne fasse pas partie des ténors chrétiens. L’ex-ministre Sejaan Azzi, proche du patriarche, affirme sur ce plan que «le Liban a plus que jamais besoin d’un homme fort à Baabda à condition de définir le terme ‘fort’. À l’heure actuelle, certains chefs de blocs parlementaires ne sont pas forcément en position de force, face à d’autres personnalités qui s’illustrent par leur charisme, leur vision stratégique et leur loyauté à l’égard de leur patrie.»


Par ailleurs, M. Azzi insiste dans son entretien avec Ici Beyrouth sur le fait que «l’heure n’est pas aux compromissions». «Le président doit pouvoir gouverner, souligne-t-il. Notre expérience passée prouve bien que le pays ne peut pas être dirigé sur base de compromis qui portent atteinte à sa souveraineté et à son indépendance». Selon lui, la nation a particulièrement besoin d’un président «fort», capable de s’attaquer à des dossiers épineux tels que la question des réfugiés syriens et palestiniens, le Hezbollah, les frontières poreuses, et les négociations sur la délimitation des frontières maritimes. Or, un président ‘faible’ qui siègerait à Baabda sera acculé à expédier les affaires courantes, ce qui menacera l’existence même du Liban qui se dirigerait vers un inconnu constitutionnel. Nous voulons un candidat hors pair, qui ne cautionnera pas l’échec politique au Liban», ajoute l’ancien ministre.

Pour M. Azzi, le président doit œuvrer pour la décentralisation. En effet, la fracture est béante entre les composantes de la société libanaise qui, pour certaines, sont complètement en phase avec les temps modernes et font preuve d'une loyauté indiscutable au Liban, tandis que d'autres, relèvent d’un autre temps, et sont complètement inféodées à l’étranger», affirme-t-il.

M. Azzi souligne d’ailleurs qu’il existe une différence notable entre un président «consensuel» et un président fruit d’une  «compromission». Selon lui, le premier est de fait accepté par toutes les forces politiques alors que le second renonce à ses principes afin d’accéder à la présidence de la République. «Un consensus tripartite (libanais, arabe, et international) autour d’un nom pourra profiter au pays, bien que les indicateurs ne laissent pas entrevoir cette éventualité, mais plutôt un compromis qui comportera des concessions laissant craindre pour l'avenir de la présidentielle.»

«Le Patriarche tient au concept du président fort. D’ailleurs, évoquant l’échéance de 2016, Bkerké n’avait pas limité la candidature exclusivement aux quatre leaders chrétiens», déclare M. Azzi. D’après l’ex-ministre, les chefs de fil chrétiens se sont accordés entre eux et le patriarche a béni leur décision.  Aujourd'hui, les circonstances sont différentes et les positions des partis sont divergentes. Les appels au rassemblement ou au dialogue sont restés lettre morte, ce qui explique pourquoi Bkerké a ouvertement déclaré que la priorité n'est pas au candidat partisan.

Le patriarche a en vue un président capable de sauver le Liban et de transformer les différences entre les composantes politiques en éléments fédérateurs. «L’élu doit être un négociateur crédible auprès de la communauté internationale afin de restaurer la vraie identité du pays du Cèdre. Le chef de l’Église maronite a deux ou trois candidats à l’esprit, mais attend le moment opportun pour dévoiler leurs noms», poursuit-il.

Sejaan Azzi renvoie l’échec du président Aoun à ses positions politiques et non à sa représentation populaire et parlementaire, tandis que Naïm Aoun, activiste politique et ancien cadre aouniste, considère que l’échec du mandat du général Aoun repose sur «une mauvaise gestion des affaires internes et la primauté donnée par son entourage aux intérêts personnels au détriment de l’intérêt national suprême». «Nous avions tous soutenu les principes prônés par le général Michel Aoun. Hélas, le moment venu, ces principes n’ont pas été mis en œuvre ou l’ont été, mais de manière erronée», s’exclame-t-il. «Peu importe qu’un président soit fort. Le plus important est de pouvoir mettre à profit cette force pour gouverner et tisser des relations qui permettent d’implémenter son agenda et ses objectifs au service de l’intérêt du pays», poursuit M. Aoun dans son entretien avec Ici Beyrouth. Selon lui, «personne ne peut se définir comme l’homme fort dans un pays dominé par les alliances et les alignements politiques. L’expérience du président Michel Aoun a complètement balayé ce postulat», ajoute-t-il.

Se penchant sur les prérequis pour le prochain président de la République, M. Naïm Aoun a signalé que «l’élu doit être accepté sur la scène nationale et internationale. Il doit, au même titre, œuvrer à normaliser les relations avec les différentes entités politiques, et ce, dans l'intérêt du Liban». « Il doit également bénéficier d’une assise populaire, même indirecte, au sein de sa communauté. Il n’est pas nécessaire qu’il dispose d’un bloc parlementaire, puisqu’il peut être soutenu par plusieurs blocs, ce qui lui confèrera une légitimité dans sa communauté», renchérit-il, en soulignant la nécessité de «disposer d'un plan et d'une vision clairs pour accélérer les réformes économiques et politiques pressantes pour le pays».
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