Pédophilie: la réparation commence par la justice
Les abus sexuels commis contre des mineurs restent peu signalés au Liban, notamment lorsqu’il s’agit d’un abus intrafamilial. Or le signalement est d’autant plus important que c’est un moyen de reconnaître le mal qui a été fait au mineur. Le processus de réparation commence en fait par la justice.

Pendant plusieurs jours, les actes de pédophilie commis par un ancien militaire à la retraite sur des mineurs du village de Qaa, dans le caza de Baalbeck-Hermel, ont défrayé la chronique. L’affaire qui a éclaté au grand jour il y a près de deux semaines, lorsque l’une des victimes a fait part à ses parents de l’abus sexuel exercé sur elle, a secoué l’opinion publique, notamment les habitants du village. La justice s’est saisie de ce dossier. Mais, au-delà de l’aspect légal de l’affaire, c’est la question de l’aide aux victimes et de la protection de l’enfance qui est aujourd’hui remise sur le tapis, d’autant que les conséquences de ces actes pédophiles sont lourdes pour les mineurs les ayant subis.

Au Liban, il n’existe pas de chiffres officiels sur la pédocriminalité. «Les chiffres disponibles sont ceux avancés par les associations qui luttent pour la protection de l’enfance, auprès desquelles des cas de pédophilie sont signalés, ainsi que ceux obtenus par le département des mineurs au ministère de la Justice», explique à Ici Beyrouth Roula Lebbos, assistante sociale et spécialiste en protection juvénile. Les derniers chiffres du département des mineurs remontent à 2019. Cette année-là, 374 dossiers de protection de mineurs en danger, victimes d’abus sexuels ou d’autres formes de violence, ont été présentés sur l’ensemble du territoire. Par ailleurs, selon une étude menée en 2008 par Kafa, ONG qui lutte pour la protection de la femme et de l’enfant, en collaboration avec l’ONG Save the Children et le ministère des Affaires sociales, un enfant sur sept est victime d’abus sexuels.

Or ces chiffres ne reflètent pas la réalité. «Malgré tout le travail effectué par les ONG qui luttent pour la protection de l’enfance, le signalement des cas de pédophilie reste insuffisant, bien qu’il se soit amélioré», constate Roula Lebbos, qui a exercé pendant près de quinze ans au sein de l’Union de la protection de l’enfance (UPEL), association mandatée par l’État pour assurer la protection judiciaire de l’enfant, dont huit en tant que directrice du bureau du Mont-Liban. «De fait, depuis la promulgation, en juin 2002, de la loi 422 sur la protection de l’enfance au Liban et grâce aux campagnes de sensibilisation, un grand progrès a été noté au niveau du signalement, fait-elle remarquer. On le constate en observant les chiffres qui ont augmenté, non pas parce qu’il y a plus d’abus, mais parce que le signalement s’est amélioré. Il n’en reste pas moins qu’un long chemin reste encore à parcourir. Les parents dont l’enfant a été victime d’abus sexuel ont toujours peur de déclarer le cas, soit par crainte du scandale, soit parce qu’ils ne veulent pas que leur enfant soit entraîné en justice. Idem pour les enfants. Ils ont peur d’en faire part à leurs parents. Par conséquent, le pédophile tarde à être identifié. Ce n’est qu’après avoir fait au moins trois ou quatre victimes qu’il est dénoncé.»

Reconnaître le mal fait à l’enfant

Or la justice est l’un des piliers du processus de réparation. «C’est une manière de reconnaître le mal qui a été fait à l’enfant ou au mineur», insiste Myrna Gannagé, psychologue et doyen de la faculté des lettres et des sciences humaines à l’Université Saint-Joseph, qui souligne que «la symptomatologie du traumatisme n’est pas univoque chez l’enfant». Aussi, un enfant victime d’abus sexuel peut-il présenter «une hyperactivité, des troubles du comportement, une inhibition totale, des troubles psychosomatiques». «Il peut ne présenter aucun symptôme, comme il peut avoir des troubles du sommeil ou de l’appétit, des cauchemars, des rêves répétitifs, des troubles de la concentration, des difficultés scolaires», avance Mme Gannagé. «Il peut présenter également des symptômes de l’état de stress post-traumatique (PTSD). Dans des cas rares, l’abus peut avoir un impact sur l’orientation sexuelle de l’enfant.» Plus encore, «l’enfant peut se sentir coupable, comme il peut être envahi par la honte». D’où la nécessité de «restaurer la confiance de l’enfant en lui-même».


La prise en charge d’un enfant victime d’abus sexuel est un long processus, qui peut durer plusieurs années, et qui implique également l’entourage de l’enfant, principalement sa famille. « Certains enfants vont avoir du mal à se confier, note Mme Gannagé. En accompagnant l’enfant, il faut respecter ses mécanismes de défense, d’autant qu’il peut être dans le déni. En tant que psychologues, notre rôle est de l’aider à s’exprimer, d’atténuer son angoisse, de le sécuriser et de l’aider à avoir de nouveau confiance dans la vie.» Et de poursuivre: «Le rôle des parents est primordial, notamment lorsque l’abus est extrafamilial. Mais lorsque celui-ci est intrafamilial, le rôle des parents devient plus ambigu, d’autant qu’il y a souvent une entente tacite entre les parents. L’abuseur n’est pas dénoncé pour maintenir l’équilibre familial. C’est un problème universel. Dans ces cas, il est plus difficile de venir en aide à l’enfant et le manque d’institutions où celui-ci peut être placé complique encore plus la tâche au Liban.»

De l’importance de la prévention

Un pédophile a souvent recours à des moyens différents pour attirer l’enfant, comme le fait de lui de lui offrir des bonbons, un jus, des douceurs, un café. Il peut aussi recourir à l’intimidation en le menaçant de faire du tort à l’un de ses proches. «C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles un enfant victime d’abus sexuel se tait, constate Roula Lebbos. De nombreux enfants ne dénoncent leur abuseur que des années plus tard, lorsqu’ils sentent qu’un être qui leur est cher, un frère ou une sœur à titre d’exemple, va subir le même sort.»

La prévention reste ainsi primordiale. «Les parents ont un rôle à jouer à ce niveau, insiste Roula Lebbos. Ils doivent apprendre à l’enfant dès son bas-âge comment se protéger, comme par exemple ne laisser jamais personne lui toucher les parties intimes. Ils doivent lui expliquer avec des mots simples la différence entre un bon et un mauvais secret, lui apprendre à dire non et à mettre des limites… Il faut aussi bâtir une relation de confiance avec l’enfant pour qu’il n’ait pas peur de signaler un abus. L’enfant doit être une priorité. Il ne faut pas avoir peur ou honte de signaler un cas d’abus. La loi 422 protège l’enfant et les palais de justice sont désormais tous dotés de salles d’interrogatoires adaptées aux enfants.»

L’école a aussi un rôle à jouer dans la prévention de l’abus qui peut être exercé sur l’enfant. Roula Lebbos souligne que dès 2010, elle a collaboré avec plusieurs établissements pour y introduire des stratégies de protection.
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