Au paradis des guerriers, sans coup férir!

Ils reviennent! Et à la faveur d’une guerre régionale! Qui aurait cru que les Israéliens allaient remettre le pied au Liban après leur départ précipité en mai 2000? Mais c’est à croire que cette fois-ci, ils s’accrocheront au terrain et s’y maintiendront. Et pas seulement pour 33 jours, comme en 2006.
Tel Aviv a tendu le piège et la République islamique d’Iran a relevé le gant en lançant, en ce début de mois, ses 181 missiles hypersoniques sur le territoire ennemi. Le régime des ayatollahs ne pouvait rester les bras croisés alors que, depuis le 30 septembre au soir, les Israéliens reprenaient leurs incursions dans le sud libanais et assénaient des coups imparables à la hiérarchie comme aux structures militaires du Hezb avec tout ce que cela pouvait entraîner comme déplacement de population civile.
L’État hébreu prétend ne chercher qu’à protéger ses ressortissants du Nord et n’avoir d’autre objectif que de les ramener dans leurs foyers. Mais, en fait, ce n’est qu’un prétexte pour poursuivre sa politique de terre brûlée, car il projette de réoccuper des territoires adjacents aux siens. Sa machine de guerre va ratisser des zones entières pour débusquer l’ennemi. Or, tapis dans leurs caches, les hezbollahis vont leur livrer des combats de guérilleros, c’est-à-dire d’homme à homme(1). Ce sera la «guerre des tunnels» où la haute technicité ne pourra faire la différence.
Un cessez-le-feu à vau-l’eau
Un état des lieux d’avant les incursions terrestres peut nous éclairer: le président américain nous avait prévenus, lors d’une interview sur ABC, qu’au Moyen-Orient «une guerre généralisée est possible», alors qu’aux Nations unies, le président Macron clamait de profundis qu’au Liban «il ne peut y avoir de guerre». Et, qui plus est, Paris venait de nous dépêcher son ministre des Affaires étrangères qui a remis sur le tapis le projet franco-américain d’arrêt des combats. Au total, nous, Libanais, ne sommes pas les laissés-pour-compte de la diplomatie occidentale, comme le seraient, par exemple, les Soudanais. En effet, et jusqu’à hier encore, l’administration américaine s’obstinait à vouloir «mettre en place un cessez-le-feu temporaire de 21 jours entre Israël et le Hezbollah, tout en relançant les négociations en vue d’un accord sur les otages et de mettre fin à la guerre à Gaza»(2). Vaste programme, qui a pris l’eau depuis, et qui aurait exigé que le Hezbollah, dont la direction vient d’être purgée, acceptât les conditions dudit cessez-le-feu avant qu’une trêve formelle ne fût conclue à Gaza(3). Si le nouveau Secrétaire général de la milice chiite venait à y consentir, il perdrait la face alors qu’il est censé faire preuve d’esprit offensif pour raffermir son pouvoir et venger son prédécesseur(4).
Cela dit, comment s’attendre à autre chose qu’à une continuation du cycle de violence et son intensification? On s’imagine mal l’impétrant, le cheikh Hachem Safieddine, faire preuve de flexibilité, comme autrefois Abou Ammar, pour épargner les populations civiles.
Un autre Stalingrad
À l’été 1982, Arafat et ses fedayins furent pris à Beyrouth comme dans une souricière. Ariel Sharon encerclait notre capitale et son aviation la bombardait sans relâche. À cette époque de notre histoire tragique, les civils tombaient, victimes innocentes d’un conflit qu’ils n’avaient pas suscité, même si, de cœur, ils appuyaient les causes arabes. Ni d’une ni de deux, le leader palestinien, très mal inspiré, fit une déclaration fracassante: il proclama que le Fatah allait poursuivre la lutte jusqu’au bout et faire de Beyrouth-Ouest un autre Stalingrad. Affolement et panique à Basta et Tariq al-Jedidé! Ce n’était pas du goût de ces messieurs de la capitale, ces bons bourgeois tenant à leur confort et à la sécurité dans leur bonne ville. Une réunion fut aussitôt organisée au domicile du regretté Saëb Salam avec les dirigeants de l’OLP. Pour la faire courte, l’ancien président du Conseil posa à Abou Ammar une série de questions: «Avez-vous de quoi tenir alors que le blocus affame notre population? Comptez-vous sur une intervention militaire de Hafez el-Assad pour desserrer l’étau? Les Soviets, vos amis, vont-ils intervenir et vous porter secours? Et comme Saëb bey ne recevait pas de réponse, il posa, nous rapporte-t-on, à un Arafat interloqué, la question suivante: «Auriez-vous des armes secrètes qui, une fois déployées, changeraient le cours de la bataille?»
On connaît la suite de l’histoire: exfiltrés et escortés de bâtiments navals américains et français, c’est en Tunisie que finirent ceux qui allaient signer les Accords d’Oslo.
Ça suffit, autrement dit: «kafa, yakfi»

Revenons à notre enfer quotidien et demandons-nous s’il y a dans le personnel politique libanais un homme en mesure d’affronter le satrape adoubé par l’Iran, en soulevant les questions qui fâchent. Quel vieux routier de la politique oserait dire à Hachem Safieddine, ce Secrétaire général en début d’exercice: «Dites donc, samahatak, vous faites fausse route et on ne saurait vous suivre!»(5) Un homme de cet acabit est introuvable dans Beyrouth-Ouest et ce n’est pas non plus le président Berry qui aurait le front de dire: «kafa, yakfi!» 
Ainsi, la situation ira se détériorant, en dépit des objurgations américaines et françaises. En dépit de leur lip service. Et alors, me diriez-vous? Et alors, ce sera bientôt toute une communauté déracinée qui hurlera aux portes des décideurs terrés dans quelque bunker souterrain: «Ça suffit. Rien à voir avec Gaza, rien à voir avec l’Iran!»
Seule cette communauté confessionnelle pourra arracher la paix à ceux qui usurpent le pouvoir dans notre pays!
Youssef Mouawad
yousmoua@gmail.com
1Amos Harel, «Israel set to enter new phase of Lebanon fighting, meaning close combat with Hezbollah», Haaretz, 30 septembre 2024.
2- «Négociations pour éviter l’embrasement entre Israël et le Hezbollah», ICI Beyrouth, 25 septembre 2024.
3- M. Abdallah Abou Habib, notre ministre des Affaires étrangères, à court d’arguments, n’a pas hésité à déclarer que feu le sayed Nasrallah avait accepté la veille de son exécution les termes du cessez-le-feu. Et que, de son côté, Israël avait répondu par l’affirmative… mais, s’étant rétracté, il avait fini par le liquider. Allez savoir.
4- Amos Harel, «Israel hoping Lebanon attacks force Hezbollah to make a deal, but the war may drag on», Haaretz, 25 septembre 2024.
5- Zvi Bar’el, «Nasrallah miscalculated, and Hezbollah’s war with Israel is now in Iran’s hands», Haaretz, 25 septembre 2024.
 
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