La Palestine: que lui vaut la reconnaissance diplomatique?

Pour s’épanouir, un individu a besoin d’être reconnu. Mais cela ne dépend pas uniquement de sa libre volonté. C’est le regard de l’autre qui le concrétise, le fixe et le désigne! Et à l’égal des individus, les communautés, les groupes religieux et les ethnies ont un droit naturel de s’affirmer dans leur singularité. Mais c’est encore une fois, aux yeux d’autres entités, que l’acte de confirmation intervient pour leur octroyer soit un statut définitif, soit un statut inachevé ou bancal. Et n’est-ce pas dans l’ordre des choses qu’un pays veuille figurer sur la liste des États reconnus, entretenir des relations diplomatiques avec d’autres personnes morales de droit international et disposer d’un siège à l’ONU? Pourquoi accepterait-il d’être ignoré et recalé quand le concert des nations peut lui accorder la pleine reconnaissance juridique?
Il en est désormais ainsi: une nation demeure bâtarde tant qu’elle n’est pas portée sur les fonts baptismaux des Nations unies.
En l’espèce, l’exemple de la nation des Kurdes est probant. Ces derniers, fussent-ils entité culturelle, groupe linguistique ou conglomérat de tribus belliqueuses, ont pu croire qu’un seul et même État allait les rassembler à la fin de la Première Guerre mondiale. Ils furent déçus et, pour leur malheur, disséminés entre la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Ce n’était pas pour leur porter bonheur ni pour assurer la paix civile aux quatre pays dont ils devinrent les ressortissants, puisqu’ils allaient constituer des foyers de turbulence sans fin. On pourrait en dire autant des Palestiniens de la Nakba de 1948: ils n’allaient pas accepter indéfiniment leur qualité de réfugiés appointés par l’Unrwa. Ils furent à deux doigts de renverser le régime hachémite en Jordanie (1970) et allèrent, bien qu’ils s’en fussent défendus, jusqu’à déchirer le tissu social fragile du Liban à partir de 1975, et détruire son équilibre précaire. Par ailleurs, s’ils s’étaient tenus à carreau en Syrie, c’est qu’ils avaient affaire à Hafez el-Assad qui n’aurait pas reculé devant leur éradication.
La longue marche
Or, que voyons-nous là? Sous les décombres de Gaza, la chance est-elle en train de sourire aux vaincus de la guerre de 1948? Voilà que l’Espagne, l’Irlande et la Norvège viennent enfin d’admettre la Palestine comme État indépendant, suivies de la timide Slovénie qui vient de lancer une procédure à cet effet. Aujourd’hui, plus de 140 États reconnaissent la Palestine dans ses frontières de 1967. Seulement voilà, sur ladite liste pas une de grandes puissances occidentales ne figure!
Quelles conclusions en tirer? Mais d’abord un rappel des principales dates qui constituèrent autant d’étapes jalonnant la «longue marche» vers l’accomplissement supposé, n’en déplaise à l’extrême droite israélienne. Le 15 novembre 1988, Yasser Arafat avait déclaré unilatéralement «l’établissement de l’État de Palestine» avec Jérusalem pour capitale. Mais le leader de l’OLP s’exprimait à Alger, à la tribune du Conseil national palestinien qui tenait lieu de Parlement en exil. Dans la foulée, l’Algérie fut le premier pays à reconnaître l’indépendance de l’État proclamé, suivie par 75 autres États. Et ce n’est que bien plus tard en 2011 que l’admission de cet État «incertain» fut acquise à l’UNESCO. Cela dit, c’est surtout le jour du 29 novembre 2012 qu’il faut considérer comme celui d’un vote historique: la Palestine avait été admise comme État observateur à l’ONU même si elle n’avait pas été reconnue, pour autant, comme membre à part entière de ce forum. Il n’empêche cependant qu’à l’époque, cette reconnaissance internationale fut considérée comme une victoire. Quoique sans lendemain! Le long et amer parcours allait se poursuivre, la cause palestinienne alternant succès et échecs. Rappelons qu’hier encore, en date du 18 avril 2024, l’adhésion de la Palestine à l’ONU à titre de membre à part entière fut déclinée par le Conseil de sécurité sur opposition des États-Unis, qui fit usage de son droit de veto.
Ce verrou qu’est le veto américain
En droit international public, la reconnaissance diplomatique est un «acte juridique international en vertu duquel un État reconnaît un autre État, ou un gouvernement, de façon officielle». Céline Bardet ne manque pas de le rappeler tout en précisant que ladite reconnaissance est également un acte politique1. De même qu’elle est, en tout état de cause, un acte symbolique, qui a sa signification propre et qui laisse son empreinte dans les esprits. Mais soyons réalistes: que valent toutes les reconnaissances des pays du monde occidental si les États-Unis n’accordent leur satisfecit?

Dès le 22 novembre 1974, la résolution 3236 de l’Assemblée générale des Nations unies avait réaffirmé «les droits inaliénables du peuple palestinien en Palestine, y compris le droit à l’autodétermination sans ingérence extérieure, le droit à l’indépendance et à la souveraineté nationale comme elle avait réaffirmé le droit inaliénable des Palestiniens de retourner dans leurs foyers et de récupérer leurs biens…»2. Plus de cinquante ans se sont écoulés avant que ne se mettent en branle les susdites initiatives espagnoles, irlandaises, norvégiennes et slovènes. Et c’est à se demander: que vont-elles apporter à la cause palestinienne, sinon l’expression d’un peu plus de sympathie ou d’une inflexion dans le climat général qui prévaut?
«Peanuts» ! Seule la conjonction violente du 7 octobre et de la réaction disproportionnée d’Israël a pu remettre la question brûlante de la Palestine sur le tapis. Prises de court, certaines nations occidentales, dont les États-Unis, viennent de ressortir du placard la formule des «Deux États». Or cette solution est plus problématique qu’on ne le croit. Elle conduirait à des négociations sans fin. Comment arracher à leurs nouveaux foyers des colons juifs en Cisjordanie? Ils n’ont pas arrêté de s’y installer à partir de la guerre des Six Jours et leur nombre avoisine désormais les cinq cent mille! Un fait accompli, alors que le droit international bannit toute annexion par la force.
Alors qu’on se le dise bien: ce ne sera pas en application des grands principes ni des textes proclamés que la question de Palestine sera réglée. Et même si la Charte des Nations unies proclame le droit des peuples à l’autodétermination et dispose que toute occupation militaire est illégale, la justice en l’espèce ne sera pas réparatrice, ou restaurative si l’on préfère!
La résolution du conflit, si elle a lieu, se fera au niveau politique et non pas juridique. Les clefs de la question restent aux mains des États-Unis s’ils arrivent à faire plier Israël3.
Youssef Mouawad
yousmoua@gmail.com
1.« Palestine: que peut le droit ? parlons-en avec C. Bardet, J. Soufi et O. Bronchtein », France 24, 29 mai 2024.
2.Rachel Fink, «Explained: What does recognizing Palestine as a state mean?», Haaretz, 3 Juin 2024.
3.Aluf Benn, «Israel has a way of standing up to the US and getting away with it», Haaretz, Podcast, 21 mai 2024.
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