Au firmament de la sainteté, deux nouvelles icônes brillent: Carlo Acutis et les frères Massabki  
©Procession du Saint-Sacrement et des reliques de Carlo Acutis à Bkerkacha dans le Koura.

Les hommes ne peuvent vivre sans icônes. Quels que soient leurs centres d’intérêt, il leur faut une image forte qui les invite à se dépasser, réponde à leur besoin de croire en une autre beauté. Pour un écrivain, cette icône peut être Rimbaud, dont l’image ardente brûle nuit et jour dans la conscience de quelques-uns. Pour un homme de science, ça peut être Einstein, dont l’intelligence a su mettre en équation l’insaisissable énigme de l’espace-temps. L’humanité va quelque part, quelle que soit l’obstination de certains à se croire les seuls enfants du Hasard et du Néant.
L’Église aussi nous propose des icônes: ses saints. La sainteté est la présence et le cheminement de Dieu dans une âme humaine. Parfois héroïque, parfois simple comme bonjour, la sainteté est toujours intrigante. En effet, pourquoi des centaines de personnes de Montréal ont-elles cherché conseil auprès d’un frère André, que ses frères avaient jugé juste bon à être le portier de leur couvent? Pourquoi le corps de saint Charbel est-il resté organiquement vivant après la mort? Comment Marie d’Agréda a-t-elle évangélisé des tribus indiennes du Nouveau Mexique sans jamais quitter la France?
Énigme humaine
La sainteté et ses possibles sont une énigme humaine. Les guérisons obtenues par l’intercession des saints sont un défi que la raison ne peut relever, mais qui ne s’en imposent pas moins à nos sens. Le poète Éluard a pu écrire un jour: «Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous!» Comme «cette obscure clarté qui tombe des étoiles», la sainteté est un oxymore qui rapproche la terre du ciel.
Le pape François vient de reconnaître, par décret, la sainteté de douze fidèles, dont quelques-uns, comme Carlos Acutis et les trois frères Massabki, nous touchent particulièrement. Les dates des cérémonies de canonisation des nouveaux saints seront annoncées à l’issue d’un consistoire (réunion de l’assemblée des cardinaux) prévu le 1er juillet prochain.
Carlo Acutis est un jeune homme né le 3 mai 1991, à Londres, de parents italiens. Il est célèbre pour sa précocité intellectuelle – il a prononcé son premier mot à trois mois, confie sa mère –, sa prodigieuse dextérité informatique et son amour incommensurable de l’eucharistie. Né dans une famille peu pratiquante, le jeune homme avait créé des sites numériques religieux, ainsi qu’une exposition documentant les miracles eucharistiques qui a fait le tour du monde.
Deux guérisons

Foudroyé à 15 ans par une leucémie, Carlo Acutis est en passe de devenir la star contemporaine de la sainteté. Deux guérisons inexplicables médicalement sont attribuées à son intercession: celle, en 2013, d’un enfant brésilien atteint d’une malformation au pancréas et condamné par la médecine, ainsi que la guérison soudaine et inexplicable, en 2022, de Valeria, une jeune étudiante costaricienne victime d’une chute à vélo à Florence.
La jeune femme, 23 ans aujourd’hui, avait été conduite à l’hôpital avec un «traumatisme crânien très grave». Elle guérira complètement et très rapidement, à la surprise des médecins. À l’époque de l’accident, Liliana, sa mère, était partie à Assise pour se recueillir sur la tombe du bienheureux Carlo Acutis. Quelques semaines plus tard, elle était de retour avec sa fille, pour lui dire merci. Mais Jésus a souvent loué les gens simples qui, par la foi, avaient obtenu des choses inespérées! C’est cette deuxième guérison qui a ouvert la voie à la canonisation.
Des reliques du jeune saint au beau visage et aux cheveux de jais bouclés font le tour du Liban depuis 2021. Pas plus tard que la semaine dernière, elles étaient exposées au cours d’une procession eucharistique à Bkerkacha (Koura). Son corps repose dans la cathédrale Sainte-Marie Majeure, à Assise.
Onze martyrs de Syrie
Plus près de nous, géographiquement, le pape François a aussi accepté de proclamer la sainteté des «Onze martyrs de Syrie», béatifiés en 1926, il y a près d’un siècle, par Pie XI. Ces martyrs, huit frères franciscains et trois laïcs maronites, ont été tués les 9 et 10 juillet 1860 à Damas lors des jacqueries lancées contre les populations chrétiennes du Liban et de Syrie, par antagonisme communautaire. Ils ont été passés au fil de l’épée, abattus avec une masse ou massacré à la hache parce qu’ils avaient refusé de renier leur foi et de se convertir à l’islam comme leur demandaient leurs agresseurs.
L’un des martyrs, le père Emmanuel Ruiz, comprenant que la mort était inévitable et craignant que le tabernacle ne soit profané, se rendit à l’église pour consommer les hosties consacrées, quand il fut interrompu par les assaillants. Il plaça alors sa tête sur l’autel où il fut décapité.
Francis Massabki, un riche commerçant, avait prêté de l’argent à l’un des instigateurs des violences. Il lui offrit la vie sauve, s’il acceptait de devenir musulman. Sa réponse fut: «Vous pouvez garder mon argent, vous pouvez prendre ma vie. Mais ma foi, nul ne peut me l’arracher. Je ne peux renier mon Dieu (…). Je suis chrétien.» Les ossements des trois martyrs peuvent être vénérés dans la cathédrale de l’archevêché maronite à Bab Touma, à Damas.
Les martyrs, estime l’Église, ont scellé leur sainteté par le sang. Cet acte de courage les dispense de tout autre miracle. Toutefois, il n’est pas défendu de solliciter leur aide, d’autant que pour nous, Libanais, le seul nom de famille des frères Massabki nous en rapproche singulièrement. Les voilà saints. Les temps noirs que nous vivons devraient nous encourager à solliciter leur aide. «Le saint est le véritable interprète de l’Évangile», dit Benoît XVI. En l’occurrence, il est des vérités pour lesquelles il est valable de donner sa vie.
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