Les exports traînent les pieds

Cela ne va pas du tout, côté exports. Suite à quoi, on entend déjà certains ricaner: «Pourquoi voulez-vous que ça aille, que ce volet économique soit une exception alors que tous les secteurs, et le pays tout entier, ont du mal à prospérer, à dépasser la crise?» La réponse est que, normalement, lors de la dévaluation de la monnaie dans un pays, le schéma classique est que le coût de production diminue (en dollars), la compétitivité augmente et, par suite, l’exportation fleurit. Pas chez nous. Décidément…
Les exports ont toujours oscillé entre 3,2 et 4 milliards de dollars, selon la direction des douanes et le ministère de l’Économie. Deux sources peu fiables, car celles des pays destinataires citent des chiffres un peu différents. Mais on ne va pas chicaner encore une fois sur la médiocrité de nos stats et on va devoir s’en accommoder.
Pour l’année 2023 (les chiffres viennent de sortir), on était à la limite inférieure, autour de 3 milliards de dollars. D’où une couverture export/import de 18% (pour des chiffres import de 17,5 milliards de dollars), ce qui n’augure d’aucune amélioration par rapport aux dernières années ou décennies. Alors qu’en 1974, on en était à 40% de couverture export/import – une occasion pour dire qu’il est possible de faire beaucoup mieux, si et si…
En plus, notre bilan d’exportation comporte deux sous-secteurs problématiques au niveau de la valeur ajoutée. Le premier est la rubrique «pierres et métaux précieux», dont la valeur exportée en 2023 est de 760 millions de dollars… qui ne sont pas tous des bijoux, mais essentiellement des chutes, des pièces usagées, de petits lingots et des plaques, d’origine étrangère puisqu’on n’a pas de mines, réexportés en Suisse pour la certification.
Le second secteur problématique couvre les métaux (non-précieux), près de 400 millions de dollars d’export. Là encore, il ne s’agit pas, du moins en partie, de produits métalliques finis, mais juste de la ferraille, grappillée dans les poubelles et les décharges, ou ramassée par ces vans itinérants, puis exportée telle quelle ou refondue, essentiellement en Turquie.
Mais la question demeure: pourquoi la crise et la dévaluation de la livre ne nous ont pas aidés à exporter plus? Il y a plusieurs raisons:
– Le marché saoudien est toujours fermé à nos produits, depuis qu’on a tenté de les shooter au Captagon. Ce qui est problématique aussi pour le passage vers les pays au-delà si le transport se fait par voie de terre.
– Autre hic concernant le transport terrestre, nos camions sont surtaxés lors de leur passage en Syrie, ce qui diminue la compétitivité de nos produits. Pourquoi cette surtaxation? Pourquoi pas, surtout que notre pro-syrien ministre de l’Agriculture n’y voit pas d’inconvénient. Toujours à la pointe du patriotisme ces Hezbollahis.

– Les industriels ont du mal à développer leurs équipements, faute de crédits. Le fonds Cedar Oxygen, créé il y a quelques années par notre banque centrale et quelques financiers, reste d’une portée limitée au regard des besoins de l’industrie.
– La part de marché, locale, des produits Made in Lebanon, a bien augmenté depuis 2019, en remplacement des produits importés. Ce qui fait que les industriels ont dû donner la priorité à leur marché domestique. Ce transfert aurait été même plus prononcé s’il n’y avait pas eu cette calamité de subvention de 300 produits, pour la plupart importés, pendant des années.
– On a tout le mal du monde à attirer des investissements étrangers en général et vers nos secteurs productifs en particulier. Alors que cet apport est déterminant pour tout pays. Au contraire, il y a eu des désengagements, comme Heineken qui a cédé Almaza (à un héritier de la famille fondatrice Jabre), Allianz qui a quitté la SNA, les investisseurs saoudiens qui ont cédé la pétrolière Wardieh Holding, etc.
– Nos structures bancaires et financières continuent de susciter la méfiance parmi les clients et les partenaires dans le monde, grâce au laisser-aller de nos dirigeants – on ne les remercie jamais assez – qui n’ont pas pu, ou voulu, faire le nécessaire pour crédibiliser de nouveau ce secteur. Ce qui fait que certains producteurs ont dû délocaliser une partie de leurs opérations pour pouvoir conserver et développer leur base de clientèle.
– Dans le temps, des projets de zones industrielles aménagées étaient à la mode, certaines promues par le gouvernement, mais essentiellement financées par des pays ou organismes étrangers. D’autres devaient émaner d’initiatives privées, mais jouissant de facilités fiscales. Maintenant, personne n’en parle plus, les projets sont restés des projets, alors que cela aurait constitué un atout indéniable pour le développement du secteur.
Maintenant, comment remédier, côté exports, à cet état décadent? Certains, qui auraient la répartie facile, rétorqueraient spontanément: en remédiant à cet État décadent! Joli jeu de mots, mais qui ne nous avance pas trop.
Évidemment, le plus simple est de prendre chacun des points ci-dessus (et bien d’autres) et de les traiter comme il faut. Mais, pour cela, il faut d’abord que ces supposés décideurs lisent, comprennent le peu qu’ils ont pu déchiffrer, prennent la décision de réagir, sachent comment le faire et appliquent la bonne méthode.
Cela fait trop de conditionnels et de subjonctifs à la fois. Et je ne suis pas sûr qu’on puisse mettre trop d’espoir dans ce processus. Déjà, l’indicatif présent échappe à la plupart.
nicolas.sbeih@icibeyrouth.com
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