Mikati et le marché d’un milliard d’euros, une affaire conclue au détriment des Libanais
«Un marché de dupes.» C’est ainsi que l’on peut résumer la position prise par le Premier ministre sortant Najib Mikati à la suite de sa réunion, jeudi à midi, avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyer, et le président chypriote, Nikos Christodoulides. Lors de cette réunion, il a bradé le pays pour la somme «modique» d’un milliard d’euros. Le soir même, il annonce, lors d’un entretien télévisé, que «la migration de travail saisonnière» est ouverte aux Libanais dans l’un des pays de l’Union européenne.

Cela signifie-t-il que les Libanais doivent désormais «émigrer saisonnièrement», alors que les Syriens peuvent profiter, au Liban, des quatre saisons?

Cette visite frappe l’Europe, voire la communauté internationale, du sceau de la honte. Les Libanais gardent toujours en mémoire le coût de la présence syrienne qui s’élève à 30 milliards d’euros, voire plus de 50 milliards d’euros selon certaines études.

Cette «hérésie», adjugée par le Premier ministre sortant, a été largement critiquée par plusieurs députés. Georges Okais, membre du bloc parlementaire la République forte (Forces libanaises), a ainsi estimé qu’il s’agit d’une affaire «préoccupante». Dans une interview accordée à notre confrère Houna Loubnan, il a souligné que tout laisse croire qu’une affaire a été conclue au détriment de la souveraineté libanaise et de l’intérêt supérieur national qui résident dans le retour des déplacés syriens dans leur pays.

Si ces soupçons sont infondés, M. Mikati est appelé, par souci de son image, à faire preuve de transparence et d’informer la population de ce qui s’est réellement passé. Ce programme d’aides est-il destiné à faciliter le maintien des déplacés syriens au Liban et à soulager l’Europe de ce fardeau? Ou bien les raisons sont-elles complètement différentes? Parce que, selon Georges Okais, la mesure en question est sujette à caution, tout comme ses objectifs.

Le simple fait de redynamiser l’activité au port de Beyrouth, de collecter les redevances et de contrôler l’évasion fiscale, le gaspillage et la corruption permet de collecter plus de 250 millions d’euros par an. Il est donc inacceptable que la souveraineté libanaise soit le prix à payer. Pour M. Okais, le dossier des migrants syriens est existentiel. Plutôt que d’adopter des mesures drastiques pour contenir la situation, rapatrier les réfugiés et agir de la même manière que les pays qui font face à la même problématique, comme la Turquie et la Jordanie, «nous cherchons à maintenir les déplacés, ce qui signe la fin du peuple libanais», a estimé M. Okais.

De son côté, Élias Hankach, député Kataëb, a rappelé que 5.513 membres du parti sont tombés en martyr pour défendre le Liban et pour éviter qu’il ne devienne un pays refuge pour d’autres peuples, avec la bénédiction de la communauté internationale.

Soulignant, dans une interview accordée à Houna Loubnan, que le pays s’effrite, M. Hankach a noté que le stratagème consiste à l’entraîner encore plus dans le gouffre. Les dirigeants sont «irresponsables» et ils n’ont pas obtenu la confiance du peuple ni celle du Parlement, a-t-il ajouté. «Il est clair que le peuple libanais n’a pas mandaté Najib Mikati pour brader le pays à ses dépens», a-t-il martelé.


«Ce qui nous importe, c’est que les Syriens retournent dans leur pays ou que l’Union européenne fasse preuve de générosité en les accueillant, d’autant qu’ils ne représentent que 0,04% de l’ensemble de la population de l’UE, alors qu’ils forment 40% de la population libanaise», a lancé M. Hankach. Se penchant sur le programme d’aides européen, il a affirmé que «cette initiative est rejetée». «Il est clair qu’on a bradé un pays qui a consenti de lourds sacrifices, a encore martelé M. Hankach. Nous ne resterons pas les bras croisés et nous continuerons à exercer une pression sur la communauté internationale.»

Se penchant sur sa réunion avec le président de la commission parlementaire chypriote des Affaires étrangères, le député Kataëb a souligné qu’il a été convenu de collaborer sur ce dossier qui constitue un danger pour les deux pays. En tant que membre de l’Union européenne, Chypre peut être un allié pour le Liban, a-t-il estimé. Des délégations bilatérales pourraient ainsi aborder cette problématique devant la communauté internationale, d’autant que le Liban, comme tout autre pays, ne saurait la supporter seul.

Quant à Firas Hamdan, député du Changement, il a estimé que le dossier des migrants syriens nécessite «une stratégie claire et des mesures claires qui doivent être prises soit en coordination avec la communauté internationale, soit au niveau local par le biais de politiques gouvernementales, ce qui n’a pas été fait depuis 2011», lorsque les Syriens ont commencé à affluer au Liban. Pour lui, ce dossier est marqué par le chaos et la désorganisation, comme il est exploité pour attirer des fonds au détriment des migrants.

Pour Firas Hamdan, un milliard d’euros ne représentent pas une solution. Il est nécessaire de développer une stratégie claire avec des solutions élaborées par le gouvernement et le Parlement. «Le Parlement manque toutefois de vision et de politique à cet égard», a-t-il dit à Houna Loubnan.

M. Hamdan a en outre souligné l’absence d’un mécanisme clair pour contrôler la manière dont le milliard d’euros sera dépensé. De plus, les parties chargées de mettre en application ce programme d’aides n’ont pas été déterminées.

«Conformément aux textes de loi, toute aide, qu’elle soit sous la forme de don ou de prêt, doit être approuvée par le Parlement, a rappelé M. Hamdan. Le gouvernement ne peut pas en disposer sans son approbation. Nous suivrons de près cette question.»

Notant que cette affaire nécessite une décision de la plus haute autorité de l’État, M. Hamdan a appelé à élire un président de la République dans les plus brefs délais et à former un nouveau gouvernement qui pourra négocier avec la communauté internationale et l’Union européenne, puisqu’un gouvernement d’expédition des affaires courantes ne peut pas faire l’affaire, notamment de la manière dont les choses ont eu lieu jeudi.

«Il ne s’agit pas d’une affaire commerciale, a encore martelé M. Hamdan. Ce dossier doit être abordé avec des critères scientifiques, d’où la nécessité d’une coopération sur les plans politique et technique.» Et de réitérer son appel à élire rapidement un chef de l’État et à exhorter les parties qui paralysent cette échéance, et qui sont responsables de la situation dans laquelle se trouve le pays, à faciliter ce processus.
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