Le wokisme, une nouvelle religion (1/4)
©Document distribué aux enfants d’une école catholique au Liban: la nouvelle notion de famille selon la théorie woke.

Une nouvelle politique à caractère sotériologique s’empare du monde occidental. Ses origines sont universitaires bien qu’antiscientifiques et antiacadémiques. Alliant politique, religion, puritanisme et idéologie, elle nous ramène aux temps les plus obscurs des chasses aux sorcières. Dans cette série de quatre articles, nous allons tenter de mettre la lumière sur cette nouvelle religion qui emporte les élites occidentales.
Nous entendons de plus en plus parler de la nouvelle théorie du genre avec ses hommes «enceintes» et ses femmes barbues. Nous sommes déstabilisés par les grands exodes avec la théorie du «Grand remplacement». L’Europe se métamorphose en autre chose qu’elle-même, et le Liban cède la place à son antonyme. Les Libanais sont devenus étrangers dans leur propre pays qu’on a «tiermondisé».
Encore plus invraisemblable, ce phénomène de familles de la diaspora libanaise qui reviennent s’installer dans leur pays et réinscrire leurs enfants dans les écoles catholiques pour échapper à la folie qui ravage l’enseignement en Occident. Mais voilà que la théorie du genre les rattrape et vient frapper aux portes des écoles libanaises acculées à dépendre des subventionnements du ministère français depuis l’effondrement économique de 2019, et la double explosion de 2020. Sans oublier aussi les exigences du baccalauréat français auquel certaines écoles chrétiennes doivent préparer leurs élèves, et qui se retrouvent parfois en contradiction avec les valeurs de la famille.
Quel est donc cette fièvre qui semble emporter une partie de l’élite intellectuelle et bien-pensante? Quelle est la doctrine de ces personnes qui, au Liban, viennent de s’insurger contre les processions du Vendredi Saint, s’ingéniant à faire un amalgame avec les défilés paramilitaires islamistes? Ils ont été choqués par la ferveur de ce peuple transpercé par tant de maux et qui a décidé de rester debout, armé de sa foi en un Christ crucifié. L’un des donneurs de leçons vient même de tomber des nues en constatant la fermeture des restaurants le Vendredi Saint, faisant mine d’ignorer que c’est là une tradition libanaise qui n’a rien de novateur et qui ne risque donc pas de «changer le visage du Liban» pour reprendre ses termes.
Étymologie
Cette folie furieuse qui prend d’assaut l’Occident est née dans les universités américaines et c’est d’elles qu’elle tire sa légitimité. Et pourtant, elle est loin d’être une philosophie puisqu’elle présente toutes les caractéristiques d’une religion. Cette folie, cette secte, a pour nom le wokisme. Car ses adeptes se disent éveillés et conscients de leur réalité qui abroge toutes les autres réalités désormais désuètes. Ils avaient été désignés au préalable par les expressions SJW (Social Justice Warriors), «Cancel culture» ou encore, dans les années 1980 en France, par «politiquement-corrects». Mais ces formes comportaient des connotations négatives.
C’est donc l’appellation de «woke» qui a fini par prévaloir dès les années 2010. Elle découle de l’afro-américain woken, qui signifie éveillé, conscient, cool, conscientisé, informé, comme l’explique Pierre Valentin dans L’Idéologie woke. Le woke est donc l’élu qui est sorti de la léthargie du reste du monde toujours lesté à une religion moyenâgeuse.
Attributs de la religion
Les wokes ont désormais leurs livres sacrés, leurs rites et leurs symboles. Jean-Francois Braunstein constate que leurs textes sacrés vont de la «théorie de la race et du décolonial» à la «théorie du genre», en passant par «l’intersectionnalité», le vocabulaire inclusif et le postcolonialisme. Leurs rites, écrit-il encore dans La Religion woke, peuvent être clairement identifiables. L’un des plus significatifs consiste à se mettre à genoux afin de demander pardon pour tout le mal commis par la race blanche. Il cite également la cérémonie du «lavement des pieds» organisée à Cary en Caroline du Nord.

Certains ont vu dans le wokisme une sorte d’évolution américaine de la «French Theory» des années 1950-1960 en France, et qui serait revenue en Europe par un effet boomerang. Pourtant, des intellectuels français s’insurgent contre cette hypothèse et démontrent les différences de principe entre la philosophie déconstructiviste et l’idéologie wokiste.
Origines
Là où la première s’amuse à déconstruire l’héritage dans un esprit de continuité évolutive, la seconde opère un rejet catégorique de la pensée des lumières et de toute forme de rationalisme. Là où les déconstructivistes français jouaient avec les normes, remettant tout en question, y compris leur propre pensée, les wokes sombrent dans l’absolue certitude de leur idéologie. Ils se retirent du monde de la philosophie ou de la culture pour adopter les méthodes propres aux prédicateurs du protestantisme puritain.
Loin de toute forme d’académisme, nous sommes bien plus face à une nouvelle vague de purification. C’est un nouveau sursaut puritain qui succède à ceux qui s’étaient traduits en chasses aux sorcières en 1692-1693, et en «Red Scare» (chasse aux communistes) au début des années 1950.
Si, comme dirait Claude Lévi-Strauss, «le savant n’est pas l’homme qui fournit les vraies réponses, c’est celui qui pose les vraies questions», les wokes sont bien partis pour être les plus éloignés possible du monde savant. Le wokisme ne peut rien revendiquer de l’héritage de Michel Foucault, Jacques Derrida ou Gilles Deleuze. Il est esclave de ses convictions là où la philosophie s’élabore dans une perpétuelle remise en question. Michel Foucault n’écrivait-il pas qu’«il y a toujours en nous quelque chose qui lutte contre autre chose en nous»?.  Le wokiste connaît le Bien avec certitude et il le prêche tantôt avec condescendance, tantôt avec totalitarisme.
Le puritanisme
Armé de ses convictions et de la légitimité qui lui est conférée par les chaires universitaires, le woke s’en va-t-en-guerre pour combattre toutes les injustices du monde. Ce n’est, hélas, pas le premier réveil puritain dont a souffert l’humanité, puisque le protestantisme a déjà connu le «Great Awakening» des années 1730-1740, avec le prédicateur anglais Jonathan Edwards et le prédicateur George Whitefield et sa fameuse Lettre aux habitants du Maryland, Virginie, Caroline du Nord et du Sud. Cette vague allait s’exacerber vers la fin des années 1770, où la guerre d’indépendance américaine a fini par se tourner contre l’Église officielle, alliée de l’État anglais.
Une seconde flambée d’idéologies est apparue entre 1790 et 1840. Mais c’est surtout les «Shakers» qui ont proliféré aux États-Unis entre 1830 et 1840, qui attirent plus particulièrement notre attention dans cette analyse du wokisme. Car ils croyaient à la bisexualité de Dieu, ainsi qu’à la prééminence de la femme qui assurerait le contact avec l’au-delà. Ces «Shakers» étaient également contre le mariage et donc contre la valeur de la famille traditionnelle.
C’est Joseph Bottum qui a le premier fait remonter le wokisme au protestantisme puritain. Il y a constaté une notion du péché qui n’est plus individuel comme dans le christianisme, mais qui acquière un caractère collectif. C’est la race blanche dans son ensemble qui doit expier pour son péché historique. C’est l’ensemble des hétérosexuels qui doivent payer pour leur homophobie présumée. Joseph Bottum constate l’infiltration de la foi dans tous les domaines jusque dans la politique. Cette dernière devient dès lors sotériologique. «Quand nous votons, c’est sur la question de savoir comment nos âmes seront sauvées», écrit-il sur les adeptes du wokisme.
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