La voie royale de la citoyenneté, un ouvrage de Tarek Mitri

Comment vivre dignement en chrétiens dans le monde arabo-musulman? Telle est la question centrale de l’ouvrage Christians in Arab Politics, Reclaiming the Pact of Citizenship, un petit essai de Tarek Mitri (128 pages), ancien ministre, ancien représentant du secrétaire général de l’ONU en Libye et actuellement recteur de l’Université Saint-Georges à Beyrouth.
L’auteur convient que cette réponse est différenciée, en fonction des pays, des cultures, des régimes politiques et des données démographiques. Mais il précise: «À travers les traumatismes, les déceptions et les incertitudes, il y a toujours eu une troisième voie en contraste avec le chemin choisi par ceux qui optent exclusivement pour un militantisme centré sur les minorités (l’alliance des minorités, NDLR), ou ceux qui choisissent le silence de la peur et de la résignation.»
En gros, indépendamment d’une partie historique qui nous fait voyager à travers les empires, les civilisations, les langues et les communautés des deux derniers millénaires, l’ouvrage – qui regroupe un ensemble de conférences –, propose de transcender le statut de «minoritaire» et plaide, à cette fin, en faveur de la «réinvention» du «pacte de citoyenneté» passé à l’aube de l’histoire de l’islam (VIIᵉ siècle) entre chrétiens et musulmans, avant que le concept de «dhimmitude» ne soit modelé et qu’il n’ordonne les rapports avec les chrétiens en terre d’islam.
Enracinée dans le religieux, cette «réinvention» est également possible, selon Mitri, par le «ressaisissement» de l’esprit de la Nahda du début du XXᵉ siècle, comprise comme accession à la modernité séculière et avènement de la raison critique dans tous les domaines.
Une voie islamo-chrétienne
À ces deux voies, l’une religieuse, l’autre «civile», s’ajoute la voie islamo-chrétienne ouverte par la déclaration sur la fraternité humaine signée en 2019 à Abou Dhabi par le pape François et l’imam d’Al-Azhar, Ahmad el-Tayyeb. Omise par l’auteur, cette voie conforte en particulier l’option religieuse évoquée par l’ancien ministre, puisqu’elle propose très directement le renoncement au profit d’un pacte de citoyenneté, de la loi islamique «classique» qui veut que seuls les musulmans sont des citoyens à part entière d’une société islamique.
«Le concept de citoyenneté, affirme la Déclaration sur la fraternité humaine, se base sur l’égalité des droits et des devoirs à l’ombre de laquelle tous jouissent de la justice. C’est pourquoi il est nécessaire de s’engager à établir dans nos sociétés le concept de la pleine citoyenneté et à renoncer à l’usage discriminatoire du terme minorités (…).»
«Il va sans dire, nuance Tarek Mitri avec réalisme, que l’avenir des chrétiens dans le monde arabe ne dépend pas des contributions dont ils sont capables, mais aussi de l’attention que leurs compatriotes musulmans peuvent leur apporter. Les chrétiens méritent et ont aussi besoin d’une attention qui ne soit pas condescendance, mais conscience d’un bien commun, reconnaissance de la valeur religieuse et culturelle de la pluralité – dont la sauvegarde épargnerait au monde arabe le triste visage de l’uniformité.»

Confiés en gage aux musulmans
Ces lignes sont centrales. À l’appui des propos de M. Mitri, il n’est pas inutile de rappeler qu’une grande figure religieuse chiite disparue, l’imam cheikh Mohammed Mehdi Chamseddine, avait assuré dans son livre Testament, que les musulmans du Liban doivent agir comme si les chrétiens étaient un gage qui leur est confié.
Dans cet ouvrage posthume publié par son fils et légataire spirituel et politique, Ibrahim Chamseddine, il avait avancé: «Je considère qu’il est de la responsabilité des arabes et des musulmans d’encourager, par tous les moyens, les chrétiens d’Orient à retrouver la plénitude de leur présence, de leur efficience et de leur rôle dans le pouvoir de décision et dans le cours de l’histoire; et qu’il existe un partenariat complet dans ce domaine entre les musulmans et les chrétiens, partout où ils pourront se trouver (…). Les instances intellectuelles, politiques et religieuses, les médias, les autorités du monde culturel devront insister, de toutes leurs forces, sur ce point.»
Aujourd’hui, cheikh Abdel Latif Deriane, mufti de la République, avec son affirmation, «le Liban ne serait plus le Liban sans les chrétiens», ne dit pas autre chose.
Fin à la nostalgie de «l’unité arabe»
En tout état de cause, les ouvrages comme celui de Tarek Mitri devraient mettre définitivement fin à la nostalgie de «l’unité arabe», telle qu’elle subsiste inutilement chez certains. L’ouvrage est une critique en soi des idéologies unificatrices où se sont fourvoyés certains pays arabes qui, sous prétexte d’unité, ont cherché à abolir les particularités dans un seul creuset idéologique: le nassérisme et le baassisme en sont les meilleurs exemples. Le Liban a souffert et a perdu beaucoup de temps à cause de cette volonté infantile d’unité presse-bouton. Ne suffisait-il pas aux gouvernants d’unifier dans la justice? Devaient-ils uniformiser dans la sujétion?
En revanche, il n’est pas inutile de relever que la citoyenneté et l’aspiration à l’unité qui l’accompagne peuvent naître sous l’effet d’autres facteurs que le simple volontarisme politique. C’est ainsi qu’elle est apparue naturellement au Liban comme un épisode du «printemps arabe». Nous avons vécu – un bref moment – une prise de conscience pleinement citoyenne de notre identité libanaise, lors du soulèvement populaire de septembre 2019. Malheureusement, ces soulèvements se sont heurtés à des barrages idéologiques qui les ont bloqués. On peut s’en consoler en affirmant que la répression de ce «printemps» et celui des autres printemps arabes ne modifiera pas les bases politiques, culturelles et démographiques de leur apparition historique, et que cette promesse, un jour, sera enfin tenue. Un livre à fréquenter.
(*) Christians in Arab Politics, Reclaiming the Pact of Citizenship de Tarek Mitri, L’Orient des Livres, 128 pages.
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