Hajjar à la place de Oueidate: une garantie pour les politiques?

Si Jamal Hajjar devait succéder à Ghassan Oueidate comme procureur général près la Cour de cassation, ce serait la dernière tentative politico-judiciaire des responsables pour que les dossiers «délicats» qui les concernent restent dans les tiroirs. C’est ce qu’a appris Ici Beyrouth (IB) de sources bien informées. Que se passe-t-il réellement dans les coulisses? Que concoctent l’Exécutif et le Judiciaire?
La fin prochaine du mandat du procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, semble faire trembler certains leaders politiques, parmi ceux qui sont «inculpés dans des affaires à grande échelle, tant sur le plan national qu’international et qui sont, jusque-là, ‘couverts’ par le procureur de la République». C’est par ces propos que des sources proches du Palais de justice qualifient les tractations en cours pour désigner un remplaçant au procureur de la République.
En d’autres termes, et à la lumière des multiples dossiers «délicats», qui engagent la responsabilité de bon nombre d’entre eux et qui sont rangés dans les tiroirs de M. Oueidate – comme confié à IB – les responsables politiques remuent ciel et terre pour garantir l’accession, à la tête du Parquet, du juge Jamal Hajjar, président de la 6ᵉ chambre pénale de la Cour de cassation. Un magistrat qui n’est pas censé leur donner du fil à retordre.
Dix-sept jours les séparent du départ à la retraite, le 22 février prochain, du procureur général. Le temps ne joue donc pas en leur faveur. «Un deuxième Oueidate (incarné par la personne de M. Hajjar), contre le pourvoi à quelques postes vacants au sein de la magistrature: tel est le deal pour lequel œuvrent actuellement les parties prenantes et, plus particulièrement, le ministre sortant de la Justice et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM)», affirme-t-on, de même source.
Dans les milieux du CSM, sollicités par Ici Beyrouth, on n’a pas complètement démenti l’information en rejetant toutefois l’aspect «transactionnel» de l’affaire: «il n’est un secret pour personne que le CSM travaille, avec le ministère de la Justice, pour pourvoir cinq principaux postes vacants, notamment au sein du Parquet, de l’Inspection judiciaire et du Parquet militaire. Cette démarche a cependant été suspendue actuellement, du fait de l’absence justifiée – et pour force majeure –, de l’un des membres du CSM, aux réunions», selon les sources interrogées. Et de poursuivre: «Les interprétations de cette initiative sont multiples et peuvent aller dans tous les sens. Le CSM n’est pas impliqué dans ce genre de ‘deal’.»
Silence juridique et interprétations intéressées

La loi sur la magistrature judiciaire du 16 septembre 1983 est claire concernant la désignation, par décret ministériel, du procureur général près la Cour de cassation (articles 26 et 31 de la loi). C’est en cas de vacance du poste que le problème se pose. Tous les juristes s’accordent à dire qu’il est du devoir du Conseil des ministres de procéder à la nomination du procureur général, sur proposition du ministre de la Justice. «Le gouvernement actuel étant démissionnaire et ne jouissant pas de la confiance du Parlement, ses fonctions se limitent exclusivement à l’expédition des affaires courantes. Toute nomination est donc considérée illégale», souligne l’ancien président du Conseil d’État, Chucri Sader.
Face à ce scénario, les avis juridiques sont partagés. Certains juristes interrogés par Ici Beyrouth considèrent que, dans un tel cas de figure, la solution réside dans une affectation provisoire, décidée conjointement par le CSM et le ministre de la Justice. Solution qu’avait refusée, rappelons-le, le juge Jamal Hajjar, lorsqu’il avait été question de procéder à la formation d’une assemblée plénière, qui peine à être composée depuis le blocage – en mars 2020 – du projet des permutations judiciaires par l’ancien chef de l’État, Michel Aoun.
Une troisième voie, basée sur l’interprétation des articles 24, 25, 26 et 28 (ce dernier renvoyant également aux articles 19, 20 et 21) de la loi sur la magistrature judiciaire, permettrait, selon certaines sources judiciaires, la nomination, par le premier président de la Cour de cassation (qui est également le président du CSM), Souheil Abboud, d’un magistrat à la tête du Parquet. Ce magistrat serait le président de l’une des chambres de la Cour de cassation ou conseiller à la Cour de cassation.
Ces deux derniers recours, à savoir l’affectation d’un magistrat délégué par le CSM et le ministre sortant de la Justice, Henri Khoury et la nomination par le président du CSM, sont «absolument illégaux et concernent uniquement les juges ordinaires et non pas le procureur général de la République», selon une source judiciaire. Les textes de loi (notamment l’article 36 de la loi sur la magistrature judiciaire) prévoient, toujours selon cette source, qu’«à défaut d’être nommé par décret pris en Conseil des ministres, le procureur est remplacé par le magistrat le plus haut gradé, parmi les juges de la même institution», c’est-à-dire le Parquet dans ce cas. Or, le juge le plus haut gradé est la présidente de l’Institut des études judiciaires, Nada Dakroub, de confession chiite (cette précision est nécessaire parce que l’on sait qu’il est de coutume, depuis l’accord de Taëf, que le poste de procureur général près la Cour de cassation soit attribué à un magistrat sunnite).
Il y a quelque temps, le bruit a couru que la magistrate Dakroub, par ailleurs nièce du président de la Chambre, Nabih Berry, aurait refusé d’assumer une telle responsabilité, mais des sources judiciaires ont confirmé, à IB, que cette rumeur n’était pas fondée: «Mme Dakroub s’est entretenue avec les responsables, leur assurant être prête à remplir la fonction de procureur».
En fait, il semble que c’est M. Berry qui ne souhaite pas qu’elle assume cette mission.
Aujourd’hui, au moment où les discussions tournent autour de la conformité ou pas des procédures applicables pour assurer l’intérim à la tête du Parquet, aux textes en vigueur, les parties prenantes font fi de ces textes et essaient de les contourner pour se protéger contre les poursuites judiciaires dont ils font l’objet en faisant en sorte que le juge Jammal succède au procureur Oueidate.
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