Les Houthis, pour faire monter les enchères

 
Sacrés Houthis, vous avez cherché noise à la flotte américaine et à celle de sa Gracieuse Majesté. «Utterly shocking», se serait exclamé le Nelson de Trafalgar, face à des va-nu-pieds imposant leur loi à Bab al-Mandeb. Il y a cent ans et plus, la marine britannique patrouillait en mer Rouge comme dans le Golfe persique et accordait sa protection aux roitelets de la côte. Et pour l’exemple, les pirates pris en flagrant délit dans ses eaux chaudes étaient pendus au mât d’artimon!
«Que les temps sont changés!» Sitôt leur indépendance acquise, les indigènes ont repris leurs vieilles habitudes, les insurrections étant ataviques en ces lieux. Et voilà que les Houthis rebelles sèment le chaos, interrompent les voies d’approvisionnement de l’Europe et narguent avec des drones de la première génération, à moins de 600 dollars la pièce, la fine fleur de la technicité occidentale.
Diables de Houthis et veinards que vous êtes! L’histoire va vous retenir pour avoir perturbé les flux commerciaux, à telle enseigne que les navires de commerce doivent faire un détour le long des côtes de l’Ouest africain pour se rendre à destination. Le canal de Suez, qui constitue un enjeu stratégique, va devenir de moins en moins fréquentable: le volume en tonnes métriques de marchandises y transitant a jusque-là diminué de 40%. On n’en a jamais vu de pareil depuis son inauguration par Ferdinand de Lesseps en 1869(1). De quoi faire dire au ministre de la Défense du Royaume Uni: «Trop, c’est trop»(2).
Brève histoire du Yémen
Si, d’après un rapport d’Amnesty International de 2019, le Yémen est l’un des «pires endroits au monde pour une femme», il ne faut pas perdre de vue que c’est également l’un des pires endroits pour engager une campagne militaire avec infanterie et blindés. Dans les années soixante du siècle dernier, Gamal Abdel Nasser s’était cassé les dents dans les massifs montagneux de ce pays, connu dans l’Antiquité comme l’Arabia Felix. Ces zones du Nord-Ouest sont imprenables et leurs populations récalcitrantes y vivent en perpétuelle dissidence. À l’opposé du raïs égyptien, Ibn Saoud, victorieux sur tous les fronts, se refusa dans les années 1920 de poursuivre sa marche triomphale dans le Yémen. Il se contenta d’arracher à ce dernier quelques provinces. Sage fut sa décision, alors que le jeune prince Fayçal, plus tard roi d’Arabie saoudite, voulait en découdre une bonne fois pour toutes avec l’imamat zaydite qui était au pouvoir.
Quand les frappes aériennes sont inefficaces
Pour le général Aïdarus al-Zubaïdi, les ripostes des aéronavales US et britannique ne dissuaderont jamais les Houthis de poursuivre leur campagne(3). Des frappes en représailles ne vont pas modifier l’activisme belliqueux des insurgés, quelles que soient leurs pertes en hommes ou en matériel. À son idée, ces rebelles continueront de perturber la libre circulation dans la mer Rouge tant qu’ils seront à la solde de l’Iran. En sa qualité de haut responsable du gouvernement yéménite, reconnu par les Nations unies et en guerre ouverte avec ses révoltés qui occupent la capitale Sanaa, cet officier de carrière considère que seule une campagne militaire avec des troupes engagées au sol peut se révéler efficace. Il ne souhaite pas que se répètent les erreurs de la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite et les EAU, qui s’acheva par un cessez-le-feu en 2022.
Les flottes ne peuvent investir les nids d’aigle

L’affaire est longue, car on imagine mal des barges de débarquement alliées dans le détroit de Bab el-Mandeb. Ni les US Marines ni les Royal Marines ne vont prendre d’assaut le port de Hodeïda. Alors, si l’on va envisager un blocus maritime des côtes yéménites par les escadres occidentales, on doit également s’attendre à une pluie d’obus et de drones s’abattant sans préavis sur ces mêmes escadres. Les navires de la coalition auront beau répliquer, ils ne feront pas taire les rampes de lancement des Houthis, rampes desservies par des instructeurs iraniens.
En d’autres termes, l’Iran est le maître du jeu. Et c’est probablement pour soulager le Hezbollah, coincé dans le Sud libanais, que les ayatollahs de Téhéran ont choisi, en ce moment précis, l’escalade en mer Rouge. Ou alors pour faire monter les enchères?
 Sacrés Houthis, vous n’êtes que des pions sur l’échiquier. Comme le sont vos «condisciples» du Hezbollah!
Youssef Mouawad
yousmoua47@gmail.com
      1. Sauf pour la période qui a suivi la guerre de juin 1967 et jusqu’en 1975, date de réouverture du Canal.
     2. «Attaques des Houthis en mer Rouge: «Trop, c’est trop», lance le ministre britannique de la Défense», Ici Beyrouth, 10 janvier 2024
     3. Patrick Wintour, «Airstrikes against Houthis are not enough, says Yemeni official», The Guardian, 15 janvier 2024.
 
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