Organisation politique ou religieuse? En quoi le Hamas diffère-t-il de Daech?

 
À l’aube du 7 octobre 2023, le groupe terroriste du Hamas, également connu sous l’appellation Ḥarakat al-Muqawama al-islamiya («Mouvement de la résistance islamique»), envoie un déluge de roquettes sur le sud d’Israël, signalant ainsi le lancement de l’opération «Déluge d'Al-Aqsa». Quelques moments plus tard, alors que le peuple hébreu s’éveille dans cette sanglante réalité, on décompte déjà plus de sept cents victimes.
Soutenir les Palestiniens ne signifie pas cautionner le terrorisme
Une semaine s’est écoulée, et tandis que l’État d’Israël assiège aujourd’hui la bande de Gaza, une discordance mondiale émerge sur les réseaux sociaux. La question de l’expression de soutien sur nos comptes Instagram, soit en faveur des Palestiniens, soit des Israéliens (car il semble impensable de pouvoir soutenir les victimes des deux peuples), nous préoccupe tous. On ne prendra pas la peine de souligner la futilité de ce dilemme… Dans ce contexte, une nouvelle fake news se répand sur les plateformes numériques. Soutenir la Palestine reviendrait à soutenir et défendre les instigateurs des attentats de novembre 2015. Outre l’amalgame scandaleux entre civils palestiniens et terroristes du Hamas, l’assimilation du Hamas à d’autres organisations terroristes telles que Daech ne fait que diffuser la désinformation prônée par les militants pro-Israël d’extrême droite. Il y a quelques jours, sur BFMTV, Éric Zemmour déclarait en plein direct que l’on a «importé le Hamas à Arras». Pour autant, Mohammed Mogouchkov, l’assassin de Dominique Bernard, bien qu’inspiré par la situation en Palestine et Israël pour passer à l’acte, n’a aucun lien avec le Hamas. Le groupe terroriste n’est pas non plus responsable de la tuerie du Bataclan. Daech est derrière ces deux attaques, tout comme il est derrière celle de Bruxelles qui a fait deux morts parmi les supporters de foot suédois. Certains argueront qu’en un tel moment, alors que plus de 250 civils ont été sauvagement massacrés à un festival de musique au nom d’une idéologie sœur de Daech, chipoter sur de tels détails semble inopportun. Toutefois, ne pas déconstruire ces mythes contribue à établir un climat de peur en Occident qui ne peut pousser qu’à la folie. Le sang de Wadea al-Fayoume, un enfant de six ans poignardé à mort à Chicago pour être musulman, est aujourd’hui sur nos mains.

Hamas-Daech: des convergences trompeuses, des divergences réelles

Le Hamas et Daech, deux organisations terroristes aux idéologies djihadiste et salafiste, semblent œuvrer en faveur d’une cause commune: contrer l’impérialisme occidental et le sionisme tout en aspirant à l’établissement d’un État islamique – en Palestine pour le premier, et de manière plus globale pour le second. Toutefois, leurs motivations divergent fondamentalement. Comme le dit l’adage populaire, le diable est dans les détails… Fondé fin 1987 dans la bande de Gaza, le Hamas émerge en opposition à l’OLP (Organisation de libération de la Palestine), jugée trop séculaire, et fait de l’islam son pilier et du djihad son arme. Pourtant, en tant que branche des Frères musulmans, initialement établie pour fournir l’accès aux soins et à l’éducation aux Palestiniens, le Hamas ne naît pas terroriste. Il consacre ses premières années à la désobéissance civile, l’organisation de manifestations et la production de propagande propalestinienne. Ce n’est qu’en 1993 que le Hamas s’abandonne au terrorisme et, à l’instar d’Al-Qaïda, utilise kamikazes et voitures piégées pour arriver à ses fins.
Les origines du mouvement, empreintes d’un «pacifisme fanatique», ne minimisent guère la brutalité de ses attaques, mais mettent plutôt en exergue sa dimension politique. Tuer des innocents ne peut se justifier, quelle que soit la cause. Toutefois, faire la différence entre la nature «politique» du Hamas et ses motivations «religieuses» nous permet de mieux cerner cet ennemi, et dans ce cas, le djihad est un moyen, et non une fin. En 1987, Le Hamas voit le jour en réaction à la «première Intifada», une série de protestations violentes initiées par la jeunesse palestinienne contre l’État d’Israël, contestant l’occupation de la bande de Gaza depuis la guerre des Six-Jours. Le groupe appelle à la résistance, non au prosélytisme religieux. La trajectoire politique du Hamas est confirmée lorsque l’organisation se lance dans la course aux élections législatives au milieu des années 2000. En parrainant un parti politique qui agit en son nom (le Change and Reform Party), le Hamas remporte 76 des 132 sièges du Parlement palestinien en 2006. À la manière du Front islamique du Salut en Algérie, le groupe cherche à acquérir une légitimité par les urnes, plaidant en faveur du dialogue et de la négociation. L’organisation ira jusqu’à parler de «paix», c’est pour dire… En témoigne la visite en 2006 à Moscou de Khalid Mish’al, alors à la tête du Hamas, qui confirmait que si Israël s’engageait à respecter les frontières définies par l’ONU avant 1967 et évacuait la bande de Gaza, le Hamas était disposé à «prendre les mesures nécessaires pour assurer la paix». Selon Mahmoud al-Zahar, un des leaders du groupe, ce seront les attaques constantes et les obstructions d’Israël qui feront retomber le Hamas dans le terrorisme. Et bien que l’on puisse douter des intentions «louables» du groupe, il est certain qu’il n’est pas animé par le djihad aveugle de Daech.
Le Hamas ne menace pas nos villes européennes, contrairement à Daech
L'ambition de Daech d'établir un califat global est profondément enracinée dans des narrations et des fantasmes religieux qui orientent ses politiques et stratégies, et qui infusent sa propagande. Fasciné par les récits apocalyptiques, Daech provoque les puissances occidentales en capturant des journalistes et en orchestrant leur décapitation en direct sur le web, incitant ainsi ces pays à mobiliser leurs forces en Syrie, car selon leur interprétation, une fois que Rome (et par extension, l'Église) aura rallié quatre-vingts bannières à sa cause, les combattants du califat affronteront ces adversaires occidentaux impérialistes, armés de sabres, sur le territoire de la ville de Dabiq en Syrie. L’ensemble de la stratégie militaire de Daech repose sur de tels fantasmes, attestant de sa nature religieuse et de son sérieux manque de compétence politique – un déficit qui a permis aux forces syriennes et américaines d’anéantir le califat en mars 2019.
Alors quel groupe s’avère être le plus dangereux? Pour l’Europe, la question ne se pose pas. Le Hamas ne touchera pas à nos villes. Malgré les dires d’Éric Zemmour, nous n’avons pas importé le Hamas à Arras. À la différence de Daech, dont les soldats semblent prêts à frapper la France et ses pays voisins à la moindre opportunité, les ambitions du groupe ne dépassent pas les frontières des États palestiniens et israéliens. L’État d’Israël, quant à lui, a tout à craindre du Hamas, et comme dans toute guerre politique, c’est le sang des civils qui se répandra, tant israéliens que palestiniens. D’une certaine manière, le Hamas a déjà remporté cette bataille. En assiégeant la bande de Gaza, en affamant et en déniant à la population ses droits les plus élémentaires, Israël éclipse presque l’horreur des attaques du Hamas. On ne peut tuer des innocents au nom d’autres innocents, et la mort tragique des centaines d’Israéliens sauvagement assassinés par le Hamas ne doit pas être employée pour justifier les attaques perpétrées contre des hommes, des femmes et des enfants palestiniens.

L’État hébreu s’adonne aujourd’hui à un jeu dangereux qui, en retour, ne fait que desservir les peuples israélien et palestinien ainsi que leurs diasporas à l’étranger, désormais victimes d’antisémitisme et d’islamophobie.
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