Un musée de l’Économie?! Il fallait y penser. À Paris, quartier Malesherbes, il existe vraiment, prenant l’appellation abrégée de Citéco (pour ‘Cité de l’Économie’). Sans le vouloir, sa dénomination réveille chez nous des images de la vie quotidienne. Tout un chacun peut alors aligner des idées extraites de son vécu.
Dans un tel musée, on peut exposer des reliquats de l’époque ancienne, d’il y a à peine quatre ans, en passe de s’acheminer vers un musée: la livre, les chèques, les cartes bancaires… allant parfois jusqu’aux banques elles-mêmes, dépouillées sciemment de leurs fonctions au détriment de tous. Rien qu’à voir leurs devantures qui ont gardé parfois des affichettes de promotion, de crédits ou de facilités diverses, devenues obsolètes.
On peut même aller plus loin et faire figurer dans ce musée des institutions d’État devenues des antiquités. De sorte que leurs responsables eux-mêmes changent de statut. On peut ainsi désigner le conservateur du musée de l’Électricité, le conservateur du musée de la Sécurité sociale, le conservateur du musée des Travaux publics…
Après cet intermède ludique et au-delà, le musée parisien nous rappelle à quel point on s’est éloigné de la vraie économie. Le ‘mini-boom’, selon l’appellation du patronat créée pour désigner le rebond relatif de la consommation ces derniers mois, n’échappe pas à la règle des musées. Prenons donc la peine de lister les distorsions de notre économie actuelle versus une économie normale, telle qu’exposée dans le musée parisien. Et constater par suite ce qu’il faudrait faire pour, un jour, revenir à la normalité, avant que cet insolite devienne la norme acceptée par tous.
- D’abord, quelques chiffres et observations empiriques nous indiquent que le rebond constaté de la consommation concerne essentiellement la consommation de survie (produits de supermarché), puis quelques services et loisirs (éducation, santé, restauration). La composante consommation de biens durables est en revanche en chute libre. Il en est ainsi pour l’immobilier, les voitures, et même les gros équipements de la maison. Échappent à cette tendance les produits électrogènes, par nécessité: solaires, batteries, UPS…
- L’économie souterraine ou informelle a largement pris le dessus, estimée à 50 ou 60%. Déjà significative au Liban, elle est devenue presque la règle, dopée par les trafics en tout genre, mais aussi par l’absence prolongée des services de l’État. En France, elle se situe entre 3 et 4%.
- L’économie du cash, estimée à 45% du PIB par la Banque mondiale pour les transactions en dollars, dépasse largement ce niveau si l’on inclut les livres libanaises. À titre de comparaison, les billets et pièces au niveau mondial ne représentent que 10% de la monnaie, qui se compose principalement d’écritures sur des comptes bancaires. C’est la ‘monnaie scripturale’, qu’on dédaigne désormais en considérant qu’elle ne vaut rien.
- L’absence de l’activité bancaire a bloqué le phénomène bien connu de l’effet multiplicateur de l’argent. Qui veut dire quoi? Pour faire simple, si quelqu’un dépose 1.000 dollars en liquide, la banque peut à partir de cette somme multiplier les opérations de crédit et de dépôt en faveur des individus ou entrepreneurs, par des transferts électroniques ou des chèques. C’est le principe même de la fonction bancaire. Et c’est comme cela que cette somme en liquide aura à la fin dix fois plus son pendant de comptes scripturaux. D’où la proportion de 10% mentionnée ci-dessus. Il n’empêche que c’est une invention phénoménale pour doper l’activité et la croissance – dont nous sommes désormais privés.
- L’État comme acteur économique incontournable s’est volatilisé, et avec lui son rôle de régulateur, de redistributeur des richesses, et de facteur de croissance grâce aux infrastructures, tombées aussi en débris. Même les technologies élémentaires s’acheminent vers notre musée des antiquités et des brocantes.
- On peut poursuivre en alignant tour à tour les différents thèmes du musée parisien: des échanges aux marchés, des régulations à la concurrence… Et arriver à la même conclusion d’anormalité de notre situation.
Mais ne tombons pas non plus dans la déprime. Car il y a un avantage à ce musée s’il est créé chez nous. C’est de pouvoir, comme dans un musée de Cire, y déposer des politiques qui ont encore la mentalité de l'antiquité, ou qui diffusent des nuisances économiques. Ou encore qui ont un QI en-dessous du seuil de pauvreté. Il y aura de quoi remplir des bâtiments.
nicolas.sbeih@icibeyrouth.com
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