In memoriam : Hélène Carrère d’Encausse
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La très grande dame n'est plus.
Madame Hélène Carrère d'Encausse, née Zourabichvili le 6 juillet 1929 à Paris, est décédée à la vigile de la Transfiguration en ce 5 août 2023, dans la même ville. Membre de l’Académie Française en 1990, elle fut la première femme à occuper, jusqu’à sa mort, le prestigieux poste de Madame le «Secrétaire perpétuel» (elle tenait au genre masculin de sa fonction) de la vénérable institution fondée en 1634 par le Cardinal de Richelieu, et qui est la première des cinq académies de l’Institut de France.

Je salue en Madame le Secrétaire perpétuel de l'Académie française, l’incarnation, dans sa personne, de la généreuse universalité de cette culture française qu'évoque Rivarol dans son essai «De l’universalité de la langue française» publié en 1784 à Berlin. L’Académie des Sciences et des Belles Lettres de cette ville avait organisé, en 1783, un concours portant sur le sujet ainsi formulé : «Qu’est-ce qui a rendu la langue française universelle ? Pourquoi mérite-t-elle cette prérogative ? Est-il à présumer qu’elle la conserve?». Madame d’Encausse, de bienheureuse mémoire, demeurera un exemple historique brillant et lumineux de l’idéal de Rivarol. Elle disait elle-même que son identité est exclusivement française mais qu’elle appartenait à deux cultures. C’est en français qu’elle vivait et exprimait cette universalité qui la caractérisait. En cela, elle a su perpétuer, en elle-même, ce legs unique qui fait de la langue française un dépositaire privilégié de la culture hellénistique de l’antiquité tardive et de son exceptionnelle capacité d’assimilation et d’intégration des hommes d’horizons multiples.
Je salue en Madame d’Encausse une très grande amie du Liban. Elle venait régulièrement à Beyrouth où elle était membre du Conseil Stratégique de l’Université Saint Joseph. À Beyrouth, elle se retrouvait chez elle en quelque sorte, en terrain familier parce que cosmopolite.

De famille géorgienne, réfugiée à Paris après la révolution bolchevique, elle est née apatride. C’est à 21 ans qu’elle sera naturalisée française. Jusqu’au bout des ongles, elle demeurera fidèle à son identité française dont elle disait elle-même qu’elle en était une intégration parfaite. La francophonie n’était pas, pour cette très grande dame, un moyen d’exprimer un particularisme identitaire particulier. En elle, la francophonie exprimait la quintessence de sa personne et, surtout, de son cosmopolitisme. Madame d’Encausse est demeurée un témoignage vivant de l’esprit universel largement répandu, au XIX° siècle, en Europe Centrale, Orientale, dans les Balkans ainsi qu’au Levant. Avec elle disparaît une dernière image de notre propre histoire cosmopolite ; celle de Beyrouth la dernière ville ouverte en Méditerranée, aujourd’hui assassinée et réduite à des enclos dont la rusticité est si lourde à porter.
Orthodoxe par son baptême, elle est demeurée, jusqu’à sa mort, fidèle à la foi chrétienne de ses ancêtres. Elle suivait rigoureusement les observances de l’Église orthodoxe.
C’est toute cette diversité chatoyante, chez Madame le secrétaire perpétuel, qui permet de réaliser pourquoi la langue française fait partie du petit club des langues dites de civilisation comme le grec, le latin, l’araméen, l’arabe. J’ai eu l’insigne honneur et privilège de rencontrer, en privé à Beyrouth, Madame Hélène Carrère d’Encausse. J'ai ainsi pu savourer des moments exceptionnels où, dans un français d'une perfection et d’une délicatesse absolues, elle mettait à l'aise son interlocuteur avec sa maîtrise exquise de l'art de la conversation, un art si caractéristique de cette culture française qui, à deux reprises de son histoire, fut une grande langue de civilisation: au XIII° et au XVIII° siècles.
Reposez en paix Madame avec les plus belles figures de notre histoire universelle.
acourban@gmail.com
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