Cerner les contours d’une identité musicale libanaise… Tel est le thème de la Rencontre d’Ici Beyrouth tenue le lundi 19 juin dernier dans le cadre des tables rondes mensuelles organisées par Ici Beyrouth. Deux intervenants, le père Badih el-Hajj, musicologue et ancien doyen de la Faculté de musique et d’arts performatifs de l’USEK, et notre collègue Alain Andrea, critique musical, ont pris la parole au cours de cette table ronde, dirigée par le directeur de la Rédaction d’Ici Beyrouth, Michel Touma. Au cours du débat, un entretien express, en ligne, avec la responsable des affaires culturelles à la mission libanaise à l’Unesco, Mme Zeina Saleh Kayali, a été projeté.

Au début de la rencontre, M. Touma a souligné l’importance du thème de la table ronde en mettant l’accent sur sa dimension macropolitique indirect, en ayant à l’esprit «le» politique et non «la» politique. Il a indiqué dans ce cadre, à l’appui de cette approche, que lors de la Seconde guerre mondiale, un ministre britannique avait interpellé Winston Churchill en lui demandant s’il n’était pas quelque peu «déplacé» de consacrer un budget à la Culture alors que les combats faisaient rage et que Londres était bombardée par l’aviation nazie. Churchill avait alors répondu: «Et pourquoi pensez-vous que nous combattons, si ce n’est, entre autres, pour la Culture».

Michel Touma a souligné dans cette perspective que le choix du thème de l’identité musicale libanaise, qui dénote par rapport aux grands dossiers à caractère macropolitique qui marquent les Rencontres d’Ici Beyrouth, est en quelque sorte un acte de «résistance cultuelle» qui est d'autant plus important que le Liban célèbre le 21 juin la fête de la musique, en dépit des profondes crises en cascade qui secouent le pays. M. Touma a relevé dans ce contexte que le caractère pluraliste et libéral du Liban, pays ouvert sur le monde, a nécessairement un impact sur son identité musicale.

D’entrée de jeu, M. Touma a ensuite demandé à Alain Andréa de définir succinctement les caractéristiques des grandes catégories musicales, de manière à poser les jalons du débat sur la question. M. Andréa a indiqué d’emblée, en substance, que pour répondre à cette question il ne suffit pas d’aborder le sujet selon une approche musicale, mais plutôt musicologique. Il a précisé à cet égard que le Liban se distingue des autres cultures dans le domaine musical par son langage monodique modal, donc à un seul son, comparé aux autres, caractérisées par leur langage harmonique tonal, à plusieurs sons.

Prié, de son côté, de définir ce qui pourrait être perçu comme les caractéristiques de l’identité musicale libanaise, compte tenu du pluralisme de la société libanaise qui est une mosaïque sociocommunautaire, le père Badih el-Hajj a commencé par souligner, en substance, l’impact sur la musique libanaise de trois grandes zones qui constituent le pays: la côte, avec ses grandes villes; la montagne; et la plaine de la Békaa. Le père Hajj a relevé dans ce cadre que les circonstances historiques diverses qu’ont connu ces trois zones à travers l’Histoire ont marqué la musique et les chants apparus dans les régions en question.


Le père el-Hajj a, d’autre part, évoqué les cas où la musique et les chants libanais étaient axés sur des formes de poèmes mis en musique et chantés à plusieurs occasions, comme les mariages et autres célébrations. Il a relevé, à titre d’exemple, le «zajal» (sorte de poèmes populaires rythmés) qui diffère à travers les régions du Liban, précisant que si la musique libanaise peut différer d’une région à l’autre, elle a comme dénominateur commun le dialecte libanais et les thèmes principaux racontés. Les trois principales zones précitées connaissent ainsi parfois les mêmes poèmes comme la دلعونا, d’origine inconnue, mais avec des ajustements mineurs.

Pour sa part, Zeina Saleh Kayali a exposé, lors de l’entretien par vidéoconférence, les caractéristiques de l’identité musicale libanaise, reflet de la mosaïque et du pluralisme libanais, soulignant que Wadih Sabra, qui a composé l’hymne national, a été pratiquement le père fondateur de l’identité musicale libanaise. Son point de vue à ce sujet a été contesté par Alain Andréa qui a reproché à Wadih Sabra d’avoir trop occidentalisé la musique libanaise, au détriment de son âme orientale, ou levantine. Il a ajouté dans ce contexte qu’à son avis «le mandat français a inhibé la dynamique de l’identité musicale libanaise», précisant qu’avec le mandat français et l’émergence de la culture et de la musique occidentales, le Liban s’est imprégné des codes et des formes des musiques étrangères.

Au terme du débat, et en réponse à une question, le père Hajj a évoqué longuement les caractéristiques de la musique des frères Rahbani et la richesse de leur apport au niveau de la musique populaire libanaise, soulignant que leur musique est souvent fondée sur des «thèmes sociaux ou même historiques, comme Fakhreddine» qui reflètent les réalités sociocommunautaires ou historiques du Liban. «Les frères Rahbani et Feyrouz ont transposé au théâtre, en musique et dans le chant populaire traditionnel, le village libanais et les coutumes de la société», a souligné le père el-Hajj qui a indiqué en outre que pour étendre la diffusion de leur musique et opérer une ouverture sur le monde, les frères Rahbani se sont adaptés aux réalités contemporaines sur le plan musical et représentent à plus d’un égard, avec Feyrouz, l’un des principaux piliers de la musique libanaise.

 
Commentaires
  • Aucun commentaire