Des banques zombies?!

Un des attributs bancaires qu’on rencontre fréquemment dans les médias ou sur les réseaux sociaux est le désormais célèbre banques zombies. Comme tout le monde n’est pas familier des croyances vaudous des Antilles, d’où le vocable est originaire (qui désigne là un fantôme ou un revenant), on va se contenter de la seconde définition, donnée par Le Petit Robert: un zombi est «une personne qui paraît vidée de sa substance et dépourvue de toute volonté».
Est-ce que cela s’applique aux banques? Il y a effectivement des ressemblances si on considère que la substance et la volonté ont été fortement mises à l’épreuve dans les banques. Question substance d’abord, on sait ce qui est advenu de ses deux principaux ingrédients: une liquidité en train de s’évaporer, puis une activité de crédit, cœur de l’organisme bancaire, sous perfusion.
Quant au second élément, la volonté, elle a été peu à peu anéantie. Déjà avant la crise, les banques étaient soumises à tout genre de pressions et d’obligations: une taxation sans commune mesure avec les autres secteurs de l’économie; des actions vindicatives de la Syrie puis du Hezbollah sous sanctions; des obligations de placements à la BDL bien au-delà de la réserve obligatoire; des incursions politiciennes comme ils savent bien le faire, là où ils flairent de l’argent.
Puis arrive la période noire à partir de fin 2019, où elles ont perdu presque toute marge de manœuvre, l’occasion rêvée pour les saigner à blanc. Mais, comment cela s’est-il donc passé? Par des épisodes successifs dont voici l’essentiel – une Casa de Papel aux couleurs locales.
1- Pas de loi de contrôle de capitaux, qui devait survenir dès les premiers jours de la crise, comme dans tout pays vaguement normal. Faute de quoi, une ruée bancaire s’est produite au cours des premières semaines, des montants incontrôlés sont sortis, et pas toujours équitablement. Légalement, les banques n’avaient pas le droit de refuser de telles opérations… jusqu’au moment où elles ont dû le faire sous peine de suicide collectif. Première salve de coups.
2- Agressions contre les banques. Corollaires du précédent crime, les agressions armées se sont multipliées, des magistrats se sont déchaînés, des médias enflammaient les foules, des politiques cachaient leur crétinisme atavique en se joignant à la mêlée. Et, une perte bancaire sèche, car des rançons ont dû être versées à des privilégiés londoniens ou des braqueurs locaux, à part les réparations en millions de dollars dans les agences détruites. Deuxième salve de coups.

3- Le défaut de paiement. La bande de Hassane Diab et ses délits d’initiés-profiteurs a décroché la palme d’or de bêtise en faisant un défaut de paiement sur la dette dans le chaos le plus total, alors que l’argent était bien disponible. Les banques, qui en détenaient alors pour 15 milliards de dollars, ont dû les brader à perte. Troisième salve.
4- Les subventions. Une politique mafieuse de subvention de produits a coûté, en comptant d’autres contributions accessoires, 22 milliards de dollars à la BDL selon la Banque mondiale. Autant de pertes pour le système bancaire, y compris pour les placements des banques à la banque centrale. Quatrième salve.
5- Circulaires et lois. Des régulations sont ensuite venues drainer la substance bancaire et anéantir encore plus la volonté des banquiers: dollar étudiant à 1.500 LL; remboursement de crédits en dollars sous ce même taux; des crédits immobiliers en LL qui n’ont plus aucune valeur; des chèques pour rembourser les crédits bancaires en dollars – mais du cash pour restituer des dépôts; versements de cash en LL à des taux surévalués, etc. Une série de salves de la deuxième saison.
Restent que ce panorama révèle un côté tragique, un autre controversé, et un troisième, disons absurde. Le plus tragique est que beaucoup de ces secousses frappant le secteur bancaire ont ébranlé aussi les déposants, les privant de leurs ressources. Le plus controversé est que certains clients ont bien profité, en remboursant leur crédit immobilier ou autre avec des broutilles.
Et, le plus absurde est que des commentateurs, des déposants, des chasseurs de zombis… sont béatement dans un état jubilatoire face aux tourments bancaires («bien fait pour elles», pensent-ils). Or, il ne faut pas être Albert Einstein pour découvrir que le sort des banques et celui des déposants sont irrévocablement liés, pas de salut pour l’un sans l’autre. Ou pour suspecter que cette suite d’évènements ne peut être simplement le fruit du hasard. Mais, c’est ce même Einstein qui avait peu de considération pour la jugeote de l’humanité: «Deux choses sont infinies: l'univers et la bêtise humaine; en ce qui concerne l'univers, je n'en ai pas acquis encore la certitude.»
nicolas.sbeih@icibeyrouth.com
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