Conseil des ministres: L’essentiel du débat n’est pas constitutionnel  
S’il est une question à poser sur le terrain juridique, après la tenue du Conseil des ministres lundi, c’est celle de la vérification de l’urgence ou du critère des affaires courantes justifiant les décisions du gouvernement. L'enjeu politique de la réunion est quant à lui distinct du (faux) débat constitutionnel qui a pris forme sous l'impulsion du Hezbollah.  

Le Conseil des ministres convoqué, jeudi, par le Premier ministre démissionnaire Najib Mikati est constitutionnel, bien que le gouvernement soit démissionnaire, à l’ombre d’une vacance présidentielle, s’accordent à relever deux experts interrogés par Ici Beyrouth, rejoints en cela par d’autres analystes qui se sont exprimés sur le sujet dans des médias, y compris ceux de l’opposition. « La seule condition que pose la Constitution pour la tenue de la réunion est liée au quorum des deux tiers des ministres qui doivent être présents, et cette condition a été remplie (malgré le boycottage des ministres relevant du Courant patriotique libre, NDLR) », souligne à Ici Beyrouth le constitutionnaliste Wissam Lahham, professeur de droit constitutionnel à l’Université Saint-Joseph. Il rappelle l’existence de précédents, avant et après Taëf, de réunions de gouvernements démissionnaires. Une jurisprudence du Conseil d’État a en outre validé la tenue de Conseils des ministres pour expédier les affaires courantes ou en cas d’urgence, explique-t-il, estimant que ces acquis sont tout aussi valables en cas de vacance présidentielle.

Les propositions « infondées » du CPL

L’option des décrets itinérants, proposée par le CPL comme une alternative à la tenue du Conseil des ministres, est jugée hors propos par les experts interrogés. Cette pratique avait notamment prévalu pendant la guerre civile, et consistait à appliquer aux décrets censés être pris en Conseil des ministres les conditions de forme des décrets ordinaires, en se limitant aux signatures du président de la République, du Premier ministre et du ministre compétent, explique Wissam Lahham. Or en l’absence d’un président, évoquer un décret itinérant est «ridicule». L’avocat et juriste Hassan Rifaï estime pour sa part que même si chaque ministre devait signer le décret séparément, ce dernier serait sans valeur si le décret n’a pas été débattu en Conseil des ministres.

Autre proposition «infondée, voire risible» du camp aouniste, est celle de notifier au préalable le directeur général du palais présidentiel de la tenue de la réunion au Grand sérail, «comme si le président sortant Michel Aoun avait toujours son ombre à Baabda» et que cela suffisait à garantir la légalité de la tenue du Conseil des ministres, fait remarquer M. Rifaï, en dénonçant l’attribution «ridicule» de compétences inexistantes au directeur général en question.

Le critère d’expédition des affaires courantes  

S’il est une question à poser sur le terrain juridique (l’enjeu politique de la réunion étant une autre affaire), c’est celle de vérifier l’applicabilité en l’espèce du critère de l’urgence ou des affaires courantes. Une telle appréciation relèverait, le cas échéant, du Conseil d’État, indique Hassane Rifaï (fils de l'ancien député et ministre Hassan Rifaï), en citant un arrêt de principe du Conseil d’État libanais en 1969, repris par la Revue de droit public française. Cet arrêt accorde au juge administratif le droit d’apprécier les conditions de «la nécessité» dans l’examen des décisions prises par un gouvernement démissionnaire. «C’est ainsi que la justice administrative se pose en autorité de contrôle et de régulation du travail du cabinet démissionnaire et de ses ministres en l’absence du contrôle ordinaire exercé par le Parlement, le gouvernement démissionnaire n’étant plus amené à rendre des comptes devant le Parlement», écrit l’ancien ministre et expert en droit administratif Hassan Rifaï dans son autobiographie. En tout état de cause, le critère d’expédition des affaires courantes devrait se restreindre à la teneur des décisions ou décrets pris, indépendamment de leur forme, renchérit Wissam Lahham. Autrement dit, la tenue ou non d’un Conseil des ministres n’est pas un indicateur du respect des limites de l’expédition des affaires courantes par le gouvernement démissionnaire.

La validité des décisions du Conseil des ministres

Une question qui risque toutefois d’alimenter la querelle entre le CPL et le Premier ministre démissionnaire porte sur les effets de ce qui a été décidé en Conseil des ministres lundi. S’il s’agit de décisions, celles-ci ne nécessitent pas la signature du président, à moins qu’elles ne requièrent la forme d'un décret pour être exécutées. Dans ce cas, en l’absence d’un président, une décision nécessiterait la signature du Premier ministre sortant et des ministres compétents, estime Wissam Lahham, s’alignant sur des avis d’autres experts en la matière. Si le ministre compétent fait partie des huit ministres ayant boycotté le Conseil des ministres lundi, il est possible qu’il s’abstienne de signer le décret, si sa signature est exigée. «C’est l’une des failles de Taëf qui n’a pas prévu de délai au contreseing ministériel», même si le ministre bloquant le décret dérogerait ainsi au principe de la collégialité gouvernementale, relève l’expert.

«Frangié favorisé»

Mais jusqu’où le CPL ira-t-il pour contester l’initiative du Premier ministre sortant de tenir un conseil des ministres, qu’il dénonce comme une normalisation anticonstitutionnelle de la vacance présidentielle ?


Il est presque de notoriété publique que cette initiative a répondu à une volonté du Hezbollah et d'Amal, à un moment critique de l’échéance présidentielle où le Hezbollah, dont dépend le déblocage de l’échéance, doit trancher en faveur de la candidature de l’un ou l’autre de ses alliés chrétiens.

La convocation d’un Conseil des ministres viserait avant tout à limiter les gesticulations du chef du CPL, Gebran Bassil, mû par ses velléités présidentielles, et à favoriser ainsi, face à lui, le chef des Marada Sleiman Frangié.

La démarche de Najib Mikati préparerait ainsi le terrain à la candidature de ce dernier, croit savoir un opposant sunnite indépendant, sans toutefois écarter la disposition du Hezbollah à adhérer à un compromis sous parrainage franco-américain en faveur d’un candidat en l’apparence centriste mais qui ne serait pas opposé aux intérêts iraniens au Liban.

Les dégâts d’un faux débat  

Certes, la convocation du Conseil des ministres a réussi en partie à placer le CPL face à ses contradictions. Celles notamment de contribuer à bloquer la présidentielle, tout en se posant en défenseur des prérogatives du président.  « Il y a l’urgence de combler de multiples vides institutionnels», pas que présidentiel, provoqués en partie par le camp aouniste, estime Hassane Rifaï.

Les experts regrettent ainsi que le débat autour de la réunion du gouvernement Mikati soit un faux débat constitutionnel, servant seulement à servir les desseins politiques des uns et des autres. «Si l’ex-président Michel Aoun avait réussi à former un gouvernement à sa mesure avant son départ de Baabda, aurait-il contesté la tenue du Conseil des ministres ?», s’interroge Wissam Lahham.

Mais un faux débat constitutionnel, surtout lorsqu’il est voulu par le Hezbollah, n’est pas sans provoquer des dégâts. En l’occurrence, la querelle chiito-chrétienne autour de la présidentielle (le président de la Chambre, chiite, Nabih Berry étant accusé de bloquer l’échéance en exigeant le quorum renforcé à tous les tours de la séance électorale) s’est transformée en querelle sunnito-chrétienne autour des prérogatives du Conseil des ministres en l’absence d’un président.

Un glissement d’une querelle identitaire à une autre, rendue possible par la solidarité (mise en relief d’ailleurs par les médias du Hezbollah) des partis chrétiens de l’opposition avec le CPL. Ce dernier doit tenir mardi une réunion pour expliquer son positionnement.

La tenue du Conseil des ministres aura servi ainsi son objectif de diversion.

Et c’est conscient sans doute de ce risque que le patriarche maronite Mgr Béchara Raï avait nuancé ses propos dimanche en évoquant la tenue du Conseil des ministres.  «Ce gouvernement sortant est supposé expédier les affaires courantes de la population, mais pas servir les agendas des partis et des blocs politiques», avait-il déclaré, en évitant l’écueil de la surenchère chrétienne maniée par le CPL sur le terrain constitutionnel.
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