À la veille de 2026, dans les rues de Beyrouth, une même question revient, posée simplement mais chargée de sens: que retenez-vous de 2025? Et, en effet miroir, qu’attendez-vous de l’année à venir? Des Libanais racontent 2025 telle qu’ils l’ont vécue: une année de guerre, de crise économique et de désillusion morale, mais aussi de résistance et de lucidité. À travers leurs mots, se dessine le portrait d’un pays épuisé, suspendu entre survie et attente de changement.
Face à cette année éprouvante, chaque personne rencontrée exprime à sa manière son vécu, ses espoirs et ses inquiétudes, offrant un portrait à la fois intime et collectif de 2025.
Une année lourde, faite de survie et de contradictions
Pour Kareen, 2025 au Liban a été «une année lourde, pleine d’incertitudes et de fatigue accumulée», mais aussi marquée, paradoxalement, par une capacité presque irréelle à tenir debout.
«On a vécu avec des tensions permanentes, une économie bancale, des systèmes bricolés porteurs de survie… Pourtant la vie a continué, les gens ont continué à travailler, à aimer, à créer, à espérer. Et comme si cela ne suffisait pas, 2025 a voulu se terminer avec son symbole le plus absurde et typiquement libanais: cet embouteillage infernal, interminable, qui résume parfaitement notre situation: bloqués, mais toujours dans l’espoir d’aller de l’avant!»
Ce sentiment de survie permanente revient dans de nombreux témoignages. Nazira ne retient «rien de 2025 mise à part la guerre, les obus et les destructions».
Riad évoque «une période de misère, emplie de souvenirs douloureux». Balkis parle d’«une année horrible», marquée par la guerre, la pauvreté et une économie à terre, tout en dénonçant le manque criant de solidarité au sein de la société.
Un monde sans boussole morale
Au-delà du Liban, Nathalie dresse un constat plus global. Selon elle, 2025 a été «une année où la déshumanisation du monde s’est encore accentuée».
«Les drames se sont succédé, souvent réduits à des chiffres, des “dossiers”, des rapports, pendant que l’indifférence gagnait du terrain. On a vu, de plus en plus clairement, à quel point tout est affaire d’intérêts personnels, de calculs froids, de rapports de force, bien plus que de principes, de valeurs ou de vies humaines. 2025 a donné le sentiment d’un monde qui avance sans boussole morale, où la compassion devient sélective, conditionnelle, parfois même suspecte. Un monde où l’on s’indigne à géométrie variable, où la souffrance n’existe que lorsqu’elle sert un récit, une stratégie, un agenda. Et où l’humain, trop souvent, passe après.»
Ce regard lucide et désabusé trouve un écho chez d’autres. Karl parle de 2025 comme d’un «grand tournant», une année de bascule où l’ordre mondial et l’intelligence artificielle ont profondément redessiné les équilibres.
Paul, à l’inverse, choisit de se concentrer sur l’essentiel: les petits moments du quotidien, qui prennent une valeur particulière lorsque tout semble si fragile. «Cette année m’a rappelé que même dans l’incertitude, on peut trouver du sens et de la beauté dans ce qui nous entoure», confie-t-il.
Hagop, plus optimiste, retient quant à lui des avancées institutionnelles: un président, un Premier ministre, un Parlement et un gouvernement. «On a des bases solides», estime-t-il, même si elles restent imparfaites.
Dans un registre plus politique, Oliver considère également 2025 comme une étape importante. Il estime que le pays a franchi un cap sur le long chemin vers le rétablissement de son autonomie, l’unification et la consolidation de son désarmement. Il espère que cette dynamique se poursuivra en 2026, avec la poursuite des réformes nécessaires pour regagner la confiance internationale, garantir que les armes restent entre les mains de l’État, et permettre le retour de la sécurité, de la paix et d’une amélioration durable de la situation économique.
La fracture économique et la peur d’un nouvel effondrement avec la «Gap Law»
Sur le plan économique, l’espoir du début de l’année a rapidement laissé place à l’inquiétude. Joe se souvient en effet, d’un début 2025 porteur d’attentes, avec l’élection d’un nouveau président de la République et la formation d’un gouvernement après plusieurs années de vacance.
Mais cet espoir s’est estompé, explique-t-il, avec l’émergence du projet de loi dit de la «Gap Law», qu’il juge profondément injuste.
«Cette loi ne rend pas du tout justice aux citoyens libanais qui ont fondé tous leurs espoirs dans le système financier et qui, finalement, se retrouvent sur le plancher», confie-t-il, redoutant qu’elle ne provoque une «déception indescriptible» si elle venait à être adoptée définitivement.
Pour 2026, Joe espère la concrétisation de projets politiques, économiques et sociaux capables de relancer le pays et de le replacer sur l’échiquier régional et international, tout en appelant à l’abandon de ce texte, déjà approuvé en Conseil des ministres et toujours en attente d’examen parlementaire.
2026: espérer sans s’illusionner
Quant aux attentes pour 2026, elles oscillent entre espoir mesuré et profonde méfiance.
Kareen dit espérer autre chose qu’un simple instinct de survie: davantage de stabilité, de clarté et une dignité retrouvée. Nathalie n’attend «pas naïvement un miracle», mais souhaite moins d’illusions et plus d’actes concrets.
Elle ajoute: «Ce n’est pas par pessimisme, mais c’est la réalité telle qu’elle se présente. Si 2026 devait toutefois offrir quelque chose, ce serait peut-être cela: moins d’illusions, mais davantage de vérité. Moins de grands discours, mais plus d’actes. Et, à défaut d’un monde plus juste, au moins des individus qui refusent de se laisser complètement déshumaniser eux-mêmes.»
Riad se dit confiant à la lumière des déclarations du président Joseph Aoun pendant que Nazira espère que «quelque chose de bien se passera», tout en refusant de se nourrir de faux espoirs.
Droite dans ses bottes, Balkis souhaite avant tout que le Liban continue d’exister, que la guerre cesse et que la paix prévale dans le monde.
Pour Hagop, une condition demeure essentielle à toute reconstruction: la stabilité. Sans elle, affirme-t-il, rien ne peut se construire, ni dans un pays ni dans un foyer.
Karl résume l’incertitude ambiante en une formule lapidaire: «2026: la nouvelle ou la dernière ère.»
Leçons intimes et vœux personnels
Au-delà du politique et de l’économique, 2025 a aussi laissé des traces personnelles. Karim dit avoir appris à ne faire confiance à personne et à placer la santé mentale et physique, ainsi que la famille, au cœur de ses priorités.
Paul souhaite devenir plus régulier dans le sport et poursuivre ses objectifs professionnels.
Maria, enfin, formule un vœu simple et essentiel pour 2026: que sa mère, gravement malade en 2025, reste en vie.
À travers ces voix fragiles mais tenaces, les Libanais apparaissent suspendus entre épuisement et lucidité, entre colère et espoir fragile. Plus qu’une promesse, 2026 est attendue comme une épreuve, avec malgré tout le désir persistant que quelque chose, enfin, bascule. Pour le meilleur. Du moins, on l’espère.




Commentaires