Comment Noël traverse-t-il le Liban ?
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Dans un pays marqué par la diversité religieuse et culturelle, Noël demeure l’une des fêtes les plus attendues et célébrées. Au Liban, cette période dépasse le cadre strictement religieux pour devenir un moment de rassemblement national, où les traditions chrétiennes se mêlent à des festivités populaires et à une créativité unique.

Malgré les difficultés économiques et le discours sécuritaire omniprésent, marqué par la crainte d’une escalade militaire entre le Hezbollah et Israël, les rues s’illuminent, et les sapins font le tour du pays. Entre grandes célébrations publiques, activités familiales et traditions plus intimes à la maison, les Libanais fêtent Noël avec grande vocation.

Les racines spirituelles

La célébration de Noël au Liban s’ancre dans une forte tradition chrétienne, portée par les communautés maronite, grecque-orthodoxe et protestante. Le mois de décembre est rythmé par l’Avent, période de préparation spirituelle qui culmine avec la messe de la nuit de Noël. Les églises, décorées de guirlandes et de crèches, accueillent des milliers de fidèles.

Dans les foyers chrétiens, la crèche occupe une place centrale. Plus qu’un simple décor, elle est un symbole vivant: les familles libanaises y ajoutent des figurines artisanales, parfois inspirées de villages locaux, d’oliviers ou de scènes rurales. Cette mise en scène reflète l’attachement à la terre et aux racines.

Les traditions familiales

Ce qui distingue Noël au Liban est son mélange d’Orient et d’Occident. Les influences françaises se retrouvent dans les desserts et les chants, tandis que les traditions moyen-orientales s’expriment dans la cuisine et l’hospitalité. Les décorations rivalisent avec celles des grandes capitales européennes, mais l’esprit familial et communautaire reste profondément libanais.

Le réveillon est un moment de convivialité. Les tables s’emplissent de plats généreux: kibbeh farci, feuilles de vigne, taboulé, mais aussi des mets plus occidentaux comme la dinde rôtie. Les desserts y occupent aussi une place de choix: maamoul aux dattes ou aux pistaches, bûche de Noël héritée de l’influence française, ainsi que meghli, un pudding épicé traditionnellement servi pour célébrer une naissance, rappelant celle du Christ.

Pour certains Libanais, Noël ne se résume pas aux décorations ou aux sorties publiques. Marwan, père de famille, confie à Ici Beyrouth que chez lui, les préparatifs démarrent dès la première semaine de décembre, autour d’un rituel central: le repas de Noël.

«Dès le début du mois, on commence à s’organiser pour le dîner. Toute la famille participe, chacun joue un rôle. Noël, c’est surtout le moment où tout le monde se retrouve», explique-t-il.

Mais au-delà de l’aspect festif, Marwan insiste sur une dimension plus spirituelle, souvent méconnue ou peu visible: le jeûne précédant Noël. Pratiqué principalement dans les Églises orthodoxes et orientales catholiques, celui-ci s’étend traditionnellement du 15 novembre au 24 décembre et constitue un temps de préparation à la Nativité. Une forme de préparation spirituelle à la naissance du Christ, en somme.

«Je jeûne avant Noël. Ce n’est pas quelque chose que tout le monde fait aujourd’hui, mais pour moi c’est important. Ça donne un autre sens à la fête», confie-t-il.

Marwan reconnaît que cette pratique n’est plus systématique : «ce n’est pas une obligation pour tout le monde. Beaucoup ne le font plus, mais chacun vit Noël à sa façon.»

À travers son témoignage se dessine une réalité plurielle: au Liban, Noël se vit autant dans l’espace public que dans les traditions familiales et religieuses. Entre pratiques anciennes et adaptations modernes, la fête conserve une place centrale, façonnée par les choix et les convictions de chacun.

Les décorations spectaculaires

Le Liban est réputé pour ses illuminations grandioses. Chaque ville rivalise d’imagination pour offrir des spectacles lumineux. À travers le pays, les sapins de Noël, les illuminations et les marchés festifs ont investi les places publiques du nord au sud.

Chaque ville semble avoir tenu à marquer l’événement à sa manière. À Zahlé, le sapin monumental devient une véritable installation artistique, pensée comme un symbole de la ville, tandis qu’à Byblos, l’illumination du sapin s’inscrit dans une mise en scène urbaine qui rassemble habitants et visiteurs autour de la place centrale. À Jounieh, les festivités s’étendent sur plusieurs jours, avec un programme rythmé par des parades, des concerts, des activités pour enfants et un marché de Noël animé. De son côté, Batroun confirme son statut de «capitale de Noël» avec l’ouverture de son marché annuel, devenu un rendez-vous attendu.

Parmi les scènes les plus marquantes, certaines parades prennent des allures de zaffeh : des groupes défilent au son des percussions, vêtus de costumes de Noël, mêlant traditions locales et imaginaire festif occidental. Cette fusion donne naissance à une célébration unique, à la fois familière et réinventée.

Les sapins eux-mêmes ne sont pas toujours traditionnels. Leur forme et décoration varient d’une ville à l’autre, reflétant l’identité locale et la créativité des municipalités. Chaque installation semble pensée comme une signature visuelle propre à la ville qui l’accueille.

Ces festivités rassemblent largement. Des villes à majorité non chrétienne participent également à l’ambiance, se parent de lumières et organisent des événements. Dans de nombreux foyers, y compris non chrétiens, Noël devient une occasion de se retrouver autour d’un dîner, de décorer la maison et de partager un moment festif. Plus qu’une fête religieuse, Noël s’affirme ainsi comme une célébration collective, où l’espace public devient le reflet d’un désir commun de joie.

Noël au-delà des appartenances religieuses

Dans le sud du Liban, Noël dépasse souvent le cadre strictement religieux. Originaire de Khiam, une jeune femme de 26 ans, de confession chiite, raconte à Ici Beyrouth une manière de vivre les fêtes qui reflète une réalité largement partagée dans sa région.

« On met le sapin, on prépare un dîner de Noël, on se retrouve tous ensemble. C’est une fête joyeuse pour nous.», explique-t-elle simplement.

Pour cette jeune femme, la dimension religieuse n’efface pas l’essentiel: le besoin de célébrer la vie, surtout dans une région spécialement marquée par des difficultés sécuritaires et économiques graves.

«Les gens du Sud souffrent beaucoup. Justement pour ça, on aime célébrer. On aime les événements qui rassemblent les gens.»

Noël devient alors un prétexte à la convivialité indépendamment des croyances.

Même si ce n’est pas le cas pour absolument tout le monde, toutefois, son témoignage renvoie à une tendance largement observable: au Liban, de nombreuses familles, quelles que soient leurs appartenances religieuses, choisissent de participer à la magie de Noël. Une célébration qui incarne une volonté profonde de vivre ensemble, de joie et, surtout, de paix.

Noël entre joie et distance

Pour certains, la fête de Noël porte aussi une teinte de nostalgie. Mounira, mère de famille, s’apprête à célébrer Noël. Mais cette année, une partie de son cœur est ailleurs: «Ma fille s’est mariée récemment et elle a émigré avec son mari. Elle ne pourra pas venir pour Noël. Elle a eu son enfant récemment, qu’on a à peine vu, et il va fêter son premier Noël loin de nous. C’est comme ça, ce sont les obligations de la vie. On va fêter Noël, mais mon cœur n’est pas au complet», confie-t-elle à Ici Beyrouth.

À travers ses mots, on perçoit cette réalité qui touche de nombreuses familles libanaises: la dispersion des proches à l’étranger, l’absence de ceux qui ont dû partir, et la façon dont cela teinte les célébrations.

Noël libanais, une mosaïque de partages et de résilience

À travers ces témoignages variés, une image claire se dessine: au Liban, Noël est une mosaïque de traditions, d’adaptations et de partages traversant les confessions et les situations personnelles.

Qu’il s’agisse de familles chrétiennes fidèles aux traditions, de familles musulmanes qui adoptent les symboles de Noël pour le plaisir de se réunir, ou de parents marqués par l’éloignement de leurs proches, tous montrent une volonté commune: celle de faire de Noël un moment de joie, et d’espoir pour la paix, même au milieu des défis.

C’est ainsi que se dessine un portrait authentique de la façon dont les Libanais, dans leur diversité, continuent à célébrer Noël.

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